Les moulins de Montparnasse

En consultant les plans du 18e siècle, on constate que Paris compte de très nombreux moulins. Quelles traces reste-t-il de ces moulins à vent dans le quartier du Montparnasse ?

Estampe du moulin des Chartreux par Martial Deny (source : Musée Carnavalet)

A une époque reculée, on avait coutume de dire que pour établir une nouvelle cité, trois métiers étaient indispensables : le forgeron, le charpentier et le meunier. Quand on regarde ce plan de 1730, on note la présence de très nombreux moulins dans la zone encore champêtre du sud de Paris qui deviendra plus tard le quartier du Montparnasse. Le succès de ces moulins ne tient pas seulement à leur farine. Le meunier n’avait qu’un pas à faire pour produire des feuilletés et devenir cabaretier, car « la galette a le don d’échauffer les gosiers. » Charles Sellier raconte, dans Le Rappel (15 décembre 1885), que « la position pittoresque de la plupart des moulins, les ombrages dont le plus souvent ils étaient entourés en avaient fait autant d’agréables séjours où les citadins de toutes les époques ont aimé venir gouter les plaisirs de la danse et les joies de la bouteille. » Dès le moyen-âge, les cabarets à l’enseigne d’un moulin quelconque étaient devenus très populaires.

Détail du plan Roussel de 1730. Les points bleus indiquent les moulins dans les environs du Montparnasse et le cercle bleu est l’emplacement de la butte de gravas surnommée Mont Parnasse. A noter que tous les moulins en maçonnerie sont désignés, sur ce plan, sous le nom de tours. Jusqu’alors les anciens plans de Paris n’indiquaient que les moulins en bois. Il est probable que les moulins de pierre ne datent que du 17e siècle. (source : Bibliothèque spécialisée de la ville de Paris)

Charles Sellier poursuit en disant que le nombre de moulins à vent était tellement important qu’il « épouvanterait les don Quichottes les plus intrépides. » Et aussi que « le branle continuel de leurs ailes devait animer de façon supérieurement pittoresque le panorama parisien. »
Mais quelles traces trouve-t-on encore de nos jours de ces moulins ?

Les dessins et gravures sont de précieux documents pour se faire une idée du paysage avant l’urbanisation du quartier Montparnasse. Ici les moulins derrière les Chartreux par Albert Flamen (1620-1674) (crédit : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet)

Dans le 14e arrondissement, il y a la rue du Moulin-vert qui relie l’avenue du Maine à la rue de Gergovie et la rue du Moulin de la vierge qui débute rue Raymond Losserand et se termine en impasse, le jardin du Moulin des trois cornets auquel on accède par la rue Raymond Losserand ou la boulangerie du moulin de la vierge, rue Vercingétorix, mais la trace la plus marquante est sans doute la tour du Moulin de la Charité qu’on trouve au cœur même du cimetière Montparnasse (division 9).

Sur ce dessin non daté de la rue de l’Ouest, dans le 14e arrondissement, la rue du Moulin de Beurre est indiquée. De nos jours, il s’agit de la rue Texel qui débute place de Catalogue et se termine rue Raymond Losserand (crédit : anonyme – source : Musée Carnavalet)

Le moulin de la Charité ou moulin Moliniste

Au milieu du cimetière du Montparnasse, se tient le seul survivant de la trentaine de moulins qui se dressaient autrefois sur la plaine de Montrouge. Cette tour ronde en pierre d’environ quinze mètres de hauteur, percée de deux portes et au toit en poivrière, est située sur un tertre dans la neuvième division du cimetière du sud.

La tour du moulin de la Charité dans l’enceinte du cimetière du Montparnasse, division 9, est aujourd’hui vide (crédit : Les Montparnos, février 2021)

Ce moulin aurait été élevée au début du 17e siècle dans la ferme des frères hospitaliers de la Charité, dits de Saint-Jean de Dieu, pour subvenir aux besoins de leur communauté. A cette époque le cimetière n’existait pas encore. On peut lire dans Beaux-Arts (20 décembre 1929), sous la plume de Paul Jarry, que « le meunier, homme pratique, ne tarda pas à se faire quelques profits en servant la galette et le vin clairet, et bientôt le moulin devint le rendez-vous assidu des partisans molinistes. » Après l’expulsion des jésuites en 1762 et pendant la Révolution, la dispersion des frères Saint-Jean de Dieu, le moulin de la Charité reste ouvert et est reconverti en guinguette(1).

Un ancien moulin servant d’habitation aux gardiens au cimetière Montparnasse dessiné par Léon Leymonnerye (1803-1879), 13 juin 1851 (crédit : musée Carnavalet).

En 1824, il est englobé par le cimetière du Montparnasse qui s’agrandit et devient la demeure du gardien. A la fin du 19e siècle, les bâtiments du moulin se dégradent, il faut l’évacuer et les démolir. Ne reste plus que la tour du moulin dont le conseil municipale décide la restauration en 1899 sur l’insistance de la commission du Vieux Paris.
Au décès d’Antoine Bourdelle, en 1929, sa veuve demande que le moulin devienne une sépulture privée. La commission du Vieux Paris a estimé que la dépouille de l’illustre sculpteur méritait un tombeau plus digne de sa renommée et qu’il convenait de laisser au moulin son aspect historique et traditionnel. Dans cette perspective, cette relique parisienne a été classée monument historique par un arrêté du 2 novembre 1931.

Sur ce plan topographique par Alexis Donnet datant de 1837, on peut voir que l’ancien moulin de la Charité est à l’intérieur de l’enceinte du cimetière de Mont Rouge ouvert en 1821.

Le moulin des Chartreux

Beaucoup de couvents avaient aussi un moulin dans leurs jardins. Ainsi un moulin montre sa pointe et ses ailes derrière le mur qui longe le clos des Chartreux.

Sur cette peinture de « L’Enclos des Chartreux » par Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet (1715-1893), on peut voir le moulin des chartreux tout à gauche (crédit : musée Carnavalet).

Le moulin de la Pointe

A la jonction du chemin de Vaugirard et du chemin des Tuileries, sur le territoire de Plaisance, nous rencontrons le moulin de la Pointe, vis-à-vis de l’Enfant-Jésus, il est en avant-garde d’un groupe d’autres moulins, qui sont le moulin Vieux, et le moulin Neuf.

Gravure du moulin de la Pointe sur le chemin de Vaugirard, réalisée en 1702 (crédit : Alain Manesson-Mallet)

Le moulin des trois cornets ou moulin Janséniste

A l’angle de l’avenue du Maine et de la rue de Vanves (actuelle rue Raymond Losserand), ce moulin était le repère des jansénistes.

Vue des environs de Paris et du moulin janséniste prise sur la route d’Orléans (source : BnF – Gallica)

Le moulin de Beurre ou moulin des plaisirs

Parmi les moulins célèbres pour leurs joyeuses beuveries et ses parties fines, il y avait le moulin de Beurre, qui doit son nom au propriétaire qui s’est enrichit en y vendant du beurre, mais où il n’y avait plus de moulin dans les derniers jours de sa splendeur. Ce cabaret situé à deux pas de la barrière du Maine a été fondé un peu avant 1789, mais c’est seulement sous l’Empire et la Restauration (1814-1830) qu’il commence à être florissant.

Dessin du Cabaret de la Mère Saguet par Aglaüs Bouvenne, vers 1870-1880 (source : Musée Carnavalet)

Vers 1818, il était tenu par la mère Saguet et certains hôtes étaient célèbres comme Adolphe Thiers (1797-1877), le statuaire David d’Anger (1788-1856), Eugène Delacroix (1798-1873), Hippolyte Bellangé (1800-1866), Alexandre Dumas (1802-1870), Victor Hugo (1802-1885), Sainte Beuve (1804-1869), Louis Boulanger (1806-1867), Victor Pavie (1808-1886), Alfred de Musset (1810-1857), Théodore Rousseau (1812-1867). La mère Saguet surnommait Hugo, l’enfant sublime. Dans la revue Pêle-Mêle (9 juin 1929), Gaston Dery rapporte les propos de Victor Hugo à propos du moulin de Beurre de la mère Saguet :

La mère Saguet s’est retirée des affaires après 1840, mais on raconte que tous les ans, le jour de sa fête, elle quittait sa retraite et venait reprendre la castrolle, comme elle disait. Ce jour-là, tous ses contemporains gais lurons rappliquaient. La vogue du moulin de Beurre a fait succomber beaucoup d’autres guinguettes situées dans les mêmes parages. D’autres ont disparus en 1820 par suite de l’agrandissement du cimetière Montparnasse, comme le moulin janséniste (moulin des Cornets), le moulin moliniste (moulin de la Charité), celui de Bel-Air, puis le moulin d’Amour.

Après diverses vicissitudes, en 1848, le moulin de Beurre est encore un restaurant-guinguette, mais d’allure plus familiale. Il est démoli en 1881.

Démolition de la ferme du Moulin de Beurre pour le percement de la rue Bourgeois, dessinée par Henri-Napoléon Michel, 1885 (crédit : Musée Carnavalet, Histoire de Paris).

Le moulin d’Amour

Tout près de la barrière d’Enfer, il y avait le moulin d’Amour, habité par Elie Catherine Fréron (1718-1776), le critique, qui n’eut qu’une gloire, celle d’être l’adversaire acharné de Voltaire, et cette gloire l’a tué.
Ce moulin a disparu depuis 1917.

Tour de l’ancien moulin Arc-en-ciel qui devient un guinguette appelée le moulin d’Amour, 26 av. d’Orléans, actuellement 26 et 28 avenue du Général Leclerc (crédit : Fédor Hoffbauer, vers 1901-1905 – source : Musée Carnavalet)

Le moulin des bondons

Dans Le Petit Journal daté du 29 mai 1877 (p.2) , on peut lire : « Le vieux Paris s’en va petit à petit. Le fameux Moulin des Bondons, situé rue Sainte-Eugénie, à Plaisance, vient de disparaitre, par suite du percement de la rue jusqu’à la rue d’Alésia. Tous les parisiens ont connu ce moulin. C’était le rendez-vous des compagnons limousins, bourguignons et auvergnats, dont la distraction favorite était le jeu de quilles. C’était aussi le refus de repris de justice qui formaient les habitués de la maison, pendant la nuit. Depuis longtemps, le moulin des Bondons avait perdu sa clientèle, et était devenu, dans les derniers temps, un établissement peu fréquenté. »

Une ribambelle de moulins

Sur le plan en tête de cet article on peut voir de nombreux autres moulins, dont voici la liste :

  • Le moulin de la tour des fourneaux
  • Le moulin vieux
  • le moulin neuf
  • Le moulin de la tour de Vanves
  • Le moulin à tour des Maturins (ruine)
  • Le moulin des Charbonniers
  • Le moulin de Fort-vêtu
  • Le moulin de la Citadelle
  • Le Petit moulin
  • Le moulin du Pavé
  • Le moulin de Ficherolle
  • Le moulin des carrières
  • Le grand moulin de Monsourri
  • Le petit moulin de Monsourri
  • Le moulin de la Marjolaine
  • Le mouline à tour de la Tombe Isoire
  • Le moulin du Bel Air
Les moulins de la Tombe-Issoire et de la Marjolaine au début du 19e siècle (crédit : Lefranc / Dopter – source : « Vie et histoire XIVe arrondissement », 1988)

Si au fil de mes lectures et recherches, je trouve des gravures sur ces moulins, je complèterai cet article. Et si de votre côté vous connaissez des sources d’information, indiquez-les moi en commentaire !

Comparaison entre la gravure réalisée en 1702 et une vue actuelle sur Google Earth. A gauche il s’agit de la rue de Vaugirard et à droite de la rue du Cherche-Midi. Les deux rues se croisent au métro Falguière. On peut ainsi plus aisément déterminer l’emplacement du Moulin de la Pointe dans ce qui est aujourd’hui le 15e arrondissement.

(1)Aux moulins des Grésillons, on débitait du vin désigné sous l’expression pittoresque de bouillon à l’oseille, mais plus connus sous le qualificatif de guinguet. De là a certainement dérivé le mot guinguette.

Les sources de cet article : « Une anecdote sur M. Thiers » (Paris, 4 septembre 1882), « Le Vieux Paris – Les moulins à vent » (Le Rappel, 15 décembre 1885), « Revue anecdotique – Tavernes à la mode » (Le Monde illustré, 31 juillet 1886), « Le moulin de la charité » (Le Soleil, 1er juillet 1899), « Le moulin de la Charité » (Le Petit Bleu de Paris, 27 avril 1899), « Vierge de la rue de Vanves, n° 102 » dans « Les vierges de Paris » par J. de M. (1899), « Pêle-Mêle à table, un cabaret romantique » (Le Pêle-Mêle, 9 juin 1929), « Le Moulin du Montparnasse » (Beaux-arts, 20 décembre 1929), « Le moulin de la charité » (revue Les trois monts, février 1930), « Le moulin de Beurre et le cabaret de la mère Saguet » par Charles Merki (Mercure de France, 15 novembre 1932), « La Tour du moulin de la Charité au cimetière du Montparnasse est classée monument historique » (Le Journal, 27 mars 1934), « Un cabaret à Montparnsse » (Le cri du peuple Paris, 20 juin 1942), « Histoire et dictionnaire des 300 moulins de Paris » de Alfred Fierro (1998), l’article de Paris Zig Zag et le blog Histoires de Paris : Le moulin de la Mère Saguet (28 décembre 2020), Le Moulin de beurre (31 décembre 2020), Le Moulin Janséniste (18 avril 2021), Le Moulin d’amour (20 avril 2021), Le Moulin de la Vierge (21 avril 2021), Le moulin des lurons (22 avril 2021), Le Moulin de Fortvêtu (24 avril 2021), La querelle des jésuites et des jansénistes (25 avril 2021),Les moulins de Montparnasse (26 avril 2021).Quelques plans où les moulins apparaissent : plan de Delagrive (1728), plan de Roussel (1731), plan de Deharme (1763), plan de Jaillot (1775) et plan de Verniquet (1792).

7 réflexions sur « Les moulins de Montparnasse »

  1. 1971 j’étais sergent de ville comme ils disent dans le 14 eme. J’ai beaucoup aime cet arrondissement ,j’en garde beaucoup de nostalgie. Paris a une âme qui vous prend et ne vous laisse plus jamais.. Un de mes ancêtres est mort sur la montagne Sté Geneviève en 1606, il s’appelait Bernard De Bluet d’Arbere .

  2. Passionnante cette rétrospective sur les moulins de Montparnasse.
    Merci infiniment pour ce voyage dans le temps, votre arrière, arrière grand-père qui était meunier en Lorraine, aurait été très ému s’il avait pu le lire.

  3. Bonjour,
    Il y a aussi le Moulin de l’Amour : https://fr.wikipedia.org/wiki/Moulin_de_l%27Amour

    Un article de la Voix du 14ème cite certains moulins que vous n’avez pas mentionné : http://lavoixdu14e.blogspirit.com/archive/2019/10/24/la-grande-histoire-de-montrouge-et-du-petit-montrouge-chapit-3142963.html

    Un article intéressant sur La rue du Moulin-Vert dans La Voix du 14ème : http://lavoixdu14e.blogspirit.com/archive/2008/12/20/la-rue-du-moulin-vert.html

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