Le VEC, vous connaissez ?

Dans les années 1970, le parking de la rue de Rennes à Paris expérimente un système innovant de transport de personnes appelé VEC et dont on peut encore voir les traces de nos jours.

Si vous êtes usager du parking souterrain du 153 bis rue de Rennes à Paris dans le 6e arrondissement, vous avez certainement emprunté cette étrange rampe d’accès piéton pour en sortir ou pour récupérer votre voiture. Une rambarde à mi-hauteur sépare deux zones distinctes dont l’une peinte en claire, celle où le piéton se déplace actuellement, est surélevée par rapport à l’autre peinte en noir.

Une courte séquence vidéo postée sur YouTube en février 2020, mais qui est peut-être plus ancienne, montre qu’avant sa rénovation, les piétons circulaient sur la zone en contrebas et que le parcours est très sinueux avec au moins deux virages, un à gauche puis un autre à droite.

Vous commencez à me connaitre, il ne m’en fallait pas plus pour investiguer. Mais je ne savais pas bien par où commencer. C’est finalement la bonne fée Sérendipité qui m’a offert la réponse. Au détour de mes recherches sur le web et les réseaux sociaux sur l’histoire de Montparnasse, je suis tombée sur le blog d’un jeune centenaire, ancien ingénieur civil des Mines, Docteur ès sciences en génie mécanique, Marcel Kadosch. C’est une mine d’informations notamment pour celles et ceux qui voudraient approfondir les aspects techniques de cette histoire. On le retrouve aussi dans l’émission Parigo de France 3 Paris Ile-de-France, diffusée le 18 septembre 1921, mais qui n’est malheureusement plus visible en ligne sauf un extrait sur Twitter et Facebook.

Cette histoire débute dans les années 1970 lorsque la Fédération nationale d’achat des cadres (FNAC), fondée en 1954, envisage de s’installer au 136 de la rue de Rennes, sur le site de l’ancien Grand bazar de la rue de Rennes. Anticipant une hausse de l’affluence et afin d’éviter le stationnement sauvage dans la rue, les pouvoirs publics mettent une condition à cette installation avant de délivrer le permis de construire : trouver un parking. La FNAC négocie alors le sous-sol du Collège Stanislas tout proche pour créer un accès à un parking existant juste en face du magasin et ainsi drainer le flux des usagers vers la zone commerçante.

Emplacement de l’entrée du parking au 153 bis rue de Rennes. La FNAC se trouve sur le trottoir d’en face quelques mètres plus haut sur ce plan.

Par contre pour sortir une fois leur voiture garée, les usagers du parking ne peuvent emprunter un ascenseur, sous peine de déboucher au milieu de la cour de récréation du collège. Un escalator ou un tapis roulant sont envisagés, mais comme il faut contourner un site classé des catacombes puis la piscine souterraine du collège, ces moyens sont rendus impossible.

Un appel d’offre est lancé pour un système de transport de passagers (People mover) dont le gabarit aller-retour ne dépasserait pas 2,75 mètres sur une pente de 8% avec un virage sur la gauche de rayon 15 mètres aussitôt suivi d’un virage sur la droite de même rayon, dessinant un S.

Dans le quotidien Le Monde du 24 octobre 1973, on peut lire que c’est la société anonyme VEC (domiciliée à Maurepas) qui a été choisie pour relever ce défi. Pour parcourir les 110 mètres qui séparent le parking de la sortie piéton et vice versa, le système prévoit de comporter dix-huit véhicules de deux places se succédant à 10 secondes d’intervalle. La capacité serait de 360 passagers à l’heure pour un coût de 8 000 F par mètre de voie double. Ce qui fait dire aux dirigeants de la FNAC que « le confort donné au client ne coûte rien. »

En 1972, le système VEC avait déjà été testé pendant deux mois sur un tronçon de 170 mètres sur la dalle de La Défense. Vous pouvez vous faire une idée avec cette archive diffusée dans l’émission Parigo de France 3 Paris Ile-de-France :

Marcel Kadosch raconte que le système VEC a été élaboré en 1970 par François Giraud, un ingénieur passé par la société Bertin & Cie, promoteur de l’Aérotrain. Le système entièrement basé sur des principes physiques élémentaires, n’utilise ni ordinateur, ni microprocesseur qui n’existe pas encore à l’époque, mais de simples relais électriques. Ces véhicules, qui ne sont munis d’aucun moteur, sont portés par un convoyeur, une sorte de courroie faite d’éléments articulés qui lui permettent de prendre des courbes. Le convoyeur est mu par des moteurs électriques linéaires transportant d’un bout à l’autre de la ligne des véhicules de deux places. A chaque extrémité de la ligne, une plaque tournante permet le retournement des véhicules du quai d’arrivée au quai de départ. Les moteurs électriques linéaires sont des inducteurs (primaires) disposés au sol le long de la voie tous les 5 mètres entrainant à la vitesse de 5 mètres par seconde des induits (secondaires) réduits à de simples plaques de cuivre. Ainsi les éléments composant la chaine de convoyeur sont des plaques de cuivre portées par des patins en bois ou en plastique glissant dans deux rails en U.
Un mode accélération-décélération est prévu pour prendre en charge les usagers à la vitesse de 0,35 m par seconde au point de départ, puis accélérer jusqu’à 5 mètres par seconde, pour finalement ralentir à nouveau pour permettre aux usagers de descendre au point d’arrivée.

Mais la configuration du parking de la rue de Rennes a donné du fil à retordre aux ingénieurs, si bien que lorsque la FNAC ouvre ses portes le 12 mars 1974, le people mover n’est pas encore en service. Marcel Kadosch raconte encore que les techniciens qui travaillaient d’arrache-pied sur le site, étaient confrontés aux remarques sans indulgence des usagers du parking.

A la fin des années 1970, le VEC, un système de transport de passagers par petites cabines de 3 places permettait aux usagers du parking de parcourir les derniers mètres soit vers la sortie du côté de la rue de Rennes, soit vers leur véhicule stationnée au parc souterrain. (source : brochure de la SA VEC)

Finalement le système VEC a été évalué en novembre 1976 par une commission d’homologation désignée par le Secrétariat d’État aux transports, représentant l’Institut de recherche des transports (IRT) et la Région autonome des transports parisiens (RATP). Il a été exploité pendant deux ans entre 1977 et 1978, transportant environ un million d’usagers par an.

Le VEC à Montparnasse est resté au stade du prototype qui n’a pas duré assez longtemps pour que les usagers le réclame. Et aujourd’hui presque tout le monde a oublié qu’il y avait un tel système pour parcourir les 110 mètres de la rampe d’accès du parking de la rue de Rennes.

Les sources pour cet article : le blog de Marcel Kadosch : « Essais et démonstration du système VEC » (9 octobre 2019), « Une technologie simple : VEC » (31 octobre 2019), « Le système Vec à la Fnac : des embuches » (1er mars 2020), une série d’articles dans Le Monde : « Un système de transport automatique constitué de véhicules à deux places va être installé dans la capitale » par Dominique Verguèse (24 octobre 1973), « Le piéton accéléré » par Dominique Verguèse (31 octobre 1973), « À Paris, rue de Rennes, des véhicules automatiques pour les clients de la Fnac » par Dominique Verguèse (29 novembre 1974), « Disneyland sous le collège Stanislas » (30 novembre 1974) ainsi que l’émission Parigo sur les métros oubliés et lignes disparues (France 3, 18 septembre 2021), « Il y a 50 ans La Défense testait un système de transport hectométrique innovant » (Defense-92.fr, 19 juillet 2022).

Le Grand bazar de la rue de Rennes

Qui pourrait imaginer qu’au début du 20ème siècle, au 136 rue de Rennes à Paris, à la place du bâtiment de la Fnac, existait un splendide édifice Art nouveau hébergeant la quintessence du commerce moderne de l’époque ?

A la fin du 19ème siècle, dans son roman Au bonheur des dames, Émile Zola parle des « cathédrales du commerce moderne », les grands magasins. Dans le contexte de compétition entre les enseignes, plusieurs d’entre eux ont vu le jour dans des quartiers à fort potentiel, comme le Palais de la Nouveauté, boulevard Barbès en 1856, le Printemps, depuis 1865 sur le boulevard Haussmann ou la Samaritaine, fondée en 1870 rue de Rivoli. Implanté rive gauche se trouve également depuis 1852, le Bon marché. En 1906, le Grand bazar, de style Art nouveau, sort de terre rue de Rennes.

L’entrepreneur et homme d’affaires français, Eugène Corbin (1867-1952), fils d’Antoine Corbin, fondateur des Magasins réunis, a considérablement développé le modeste bazar familial nancéien pour en faire une chaîne de grands magasins. Également collectionneur d’art, il est un mécène majeur du mouvement Art nouveau de l’École de Nancy. En 1905, avec d’autres actionnaires, il confit à l’architecte Henry Gutton (1874-1963), la construction d’un nouveau magasin sur la rue de Rennes, à proximité de la gare Montparnasse et juste à côté de l’immeuble Félix Potin ouvert en 1904.

Ce bâtiment à structure métallique était le plus important édifice dans le style de l’École de Nancy présent dans la capitale et constituait en quelque sorte son manifeste. Les poutrelles métalliques de l’immeuble proviennent des ateliers de la rue de Vaugirard d’Armand Moisant (1838-1906), ingénieur et principal concurrent d’Eiffel. Les constructions en structure métallique semblent répandues à l’époque comme on peut le voir aussi à l’église Notre-Dame du travail inaugurée en 1902.

Situé au 136 de la rue de Rennes, à l’angle de la rue Blaise Desgoffe, le magasin est inauguré en grande pompe le 29 septembre 1906.

Grâce à la variété de leurs produits, à leur méthode de vente moderne et à la qualité de leur cadre, les grands magasins accueillaient une grande diversité de clients.

L’architecte a voulu une façade entièrement vitrée avec un encadrement métallique peint en vert foncé. Les vitres couvrent la hauteur des deux étages principaux, le plancher intermédiaire est en recul de 0,80 m de la façade et l’architecte prévoit des tablettes vitrées sur toute la hauteur pour servir de vitrine. Au dessus est l’étage de réserve, la façade y présente des parties pleines en briques cachées par des plaques de verre noir sur fond doré. La crête de couronnement est formé de fers en U et en T avec des ornements de cuivre repoussé.

Vue générale de l’intérieur du Grand bazar de la rue de Rennes (Paris, 6ème arr.) à 9h du matin le jour de l’inauguration le 29 septembre 1906.


A l’intérieur la tonalité des peintures est blanc ivoire et or. On trouve le grand hall sous verrière typique des grands magasins au temps ou l’éclairage artificiel était insuffisant. Le grand escalier est lui aussi caractéristique des magasins de l’époque qui ne connaissaient pas les escalators. Il n’y a qu’un ascenseur au fond du magasin. L’étage de réserve est masqué par une frise de staff (moulure).
Le plancher du rez-de-chaussée est en pente pour éviter les marches à l’entrée du magasin car il y a 1,20m de différence de hauteur entre la rue de Rennes et la rue Blaise-Desgoffes.

Visite officielle à 11h le jour de l’inauguration du Grand bazar de la rue de Rennes (Paris, 6ème arr.), le 29 septembre 1906.

Le bâtiment s’élevait sur cinq niveaux : un sous-sol, un grand espace au rez-de-chaussée et trois niveaux en galerie au-dessus. Un grand escalier central divisait l’espace en deux. Il permettait d’accéder aux galeries du premier et deuxième étages par des ponts-galeries.

Bien que situé à l’angle de deux rues, le bâtiment n’offre pas de dôme d’angle comme c’est le cas dans les autres grands magasins construits à la même époque.

En revanche, vingt-quatre épis sont dressés en amortissement des piles des travées. Sur un peu plus de cent mètres de façade, dix-sept épis, nettement plus élevés, reçoivent de petits fanions triangulaires et colorés ou des réclames sous formes de bannières.

Comme l’attestent différentes coupures de journaux, toutes les occasions sont bonnes pour proposer des animations et faire venir les clients, comme pour le premier anniversaire du Grand bazar en septembre 1907 ou lors des fêtes de noël.

Qu’est devenu le Grand bazar ?

En 1910, le Grand bazar devient les Grands Magasins de la rue de Rennes, puis la propriété des Magasins Réunis dans les années 1920.

Pendant la 1ère guerre mondiale, les vitrines du Grand Bazar étaient protégées contre les bombardements, comme on peut le voir sur cet autochrome du 10 mai 1918 (crédit : Auguste Léon – source : Département des Hauts-de-Seine, musée Albert-Kahn, Archives de la Planète, A 14 037 S).

Les Magasins réunis au 136 rue de Rennes (Paris, 6ème arr.). On reconnait juste à côté l’immeuble Félix Potin et l’ancienne gare Montparnasse au bout de la rue.

Vers 1960, une nouvelle façade plus banale est plaquée sur la façade d’origine de style Art nouveau.

Le bâtiment originel est détruit en 1972, puis reconstruit. En 1974, l’édifice devient un magasin Fnac, le premier magasin de l’enseigne à Montparnasse qui propose des livres.

La bâtiment au 136 rue de Rennes abrite de nos jours la Fnac et Uniqlo (crédit : Les Montparnos, octobre 2020).

Mes sources : l’article de Olivier Vayron « Dômes et signes spectaculaires dans les couronnements des grands magasins parisiens : Dufayel, Grand-Bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine. » (2015), Wikipédia, les blogs Paris projet ou vandalisme et Paris 1900, l’art nouveau.

L’immeuble Félix Potin

Rue de Rennes, impossible de passer à côté de l’immeuble Félix Potin sans le remarquer, tellement son architecture dénote par rapport aux bâtiments environnants. Pendant longtemps il était en piteux état, les mosaïques se délitaient, les corniches manquaient de se détacher et des filets de sécurité le balafraient. Depuis sa restauration en 2017-2018, il est à nouveau resplendissant. Découvrez son histoire au travers d’archives…

Au 140 rue de Rennes, à l’angle de la rue Blaise-Desgoff, en levant les yeux on ne peut manquer la tourelle d’angle, couronnée d’un campanile (certains parlent de bouchon de champagne), où se lit toujours le nom de Félix Potin. Pour les moins de 30 ans, Félix Potin était une enseigne française de distribution créée par l’épicier Félix Potin au milieu du XIXe siècle, et qui perdura jusqu’à la fin du XXe siècle.

Qui est Félix Potin ?

Jean Louis Félix Potin (1820 – 1871) est le fondateur de l’enseigne française de distribution du même nom. Né à Arpajon, il monte à Paris en 1836 où il est commis épicier pendant huit ans. Il s’installe à son compte en 1844 au numéro 28 de la rue Neuve-Coquenard dans le 9e arrondissement de Paris. Sa conception novatrice du métier d’épicier fait son succès. Parmi ses innovations il y a le respect du client, les prix fixes, la vente à la gâche et au comptant, la réduction des intermédiaires, la livraison à domicile, …

L'immeuble Félix Potin, rue de Rennes à Paris, vers 1900
L’immeuble Félix-Potin au 140 rue de Rennes, vers 1905, alors que la tour Montparnasse et l’immeuble de la Fnac n’existent pas encore. Au bout de la rue Rennes, on reconnait l’ancienne gare Montparnasse. Sur la droite, on note que le Grand Bazar, inauguré en 1906, n’existe pas encore (Crédit: © Neurdein/Roger-Viollet).

Après le décès du fondateur en 1871 et de sa veuve 1890, ce sont leurs fils et gendres qui continuent l’aventure. Le développement de l’enseigne passe par l’ouverture de nouvelles succursales et par la construction de l’immeuble monumental de la rue de Rennes qui ouvre en 1904. Cet immeuble, œuvre de l’architecte Paul Auscher (1866 – 1932), est le premier grand magasin à utiliser le béton armé dans sa construction.

Le bâtiment est une grande surface alimentaire de six étages richement décorée en style Art nouveau qui propose notamment un « service de cuisine pour la ville » avec son rayon traiteur.

La disposition à l’intérieur du magasin a été voulue aérée et ordonnée afin de permettre une circulation facile. Un des premiers tapis roulant permet d’accéder à un salon de thé et à un salon de photographie situés à l’entresol. Malheureusement je n’ai trouvé aucune archive de l’intérieur du bâtiment à cette époque. On peut éventuellement se faire une idée du possible agencement intérieur en consultant celui de l’établissement Félix Potin du boulevard Sébastopol en 1931.

Mosaïques de la façade Art nouveau de l'immeuble Félix Potin, rue de Rennes
Les mosaïques de la façade art nouveau de l’immeuble Félix Potin ont été réalisées par Henri Bichi (1855 – ??), mosaïste italien installé à Paris, actif au moins entre 1889 à 1908 (Crédit : Les Montparnos, mai 2020).

A la fin des années 1970, l’enseigne TATI, en pleine expansion, s’installe rue de Rennes dans l’immeuble Félix Potin. Mais c’est surtout l’attentat du 17 septembre 1986 qui coûta la vie à sept personnes et fit une soixantaine de blessés qui reste dans les mémoires. Une plaque apposée en façade rappelle ce triste événement.

Après le départ du magasin TATI en avril 1999, le bâtiment a été remanié, mais le nom Félix Potin en façade est resté car depuis le 15 janvier 1975, la façade et la toiture sont classées monuments historiques. Après TATI, les enseignes se succèdent (Monoprix, Zara) et le propriétaire actuel est AGF.

Rue de Rennes à Paris, vers 1900
Dans l’enfilade de la rue de Rennes sur la gauche, on devine l’immeuble Félix Potin à sa tourelle d’angle. Paris (VIème arr.), vers 1900. (Crédit : © Léon et Lévy / Roger Viollet)

Pour en savoir plus sur Félix Potin, consultez la page wikipedia ainsi que le site Félix Potin. Pour le bâtiment, voir aussi les sites L’Art Nouveau, Le piéton de Paris.