L’accident du dirigeable PAX, le 12 mai 1902

A la fin du 19e siècle, ils sont nombreux à tenter de dompter les airs. Ces pionniers font de grandes avancées avec leurs ballons dirigeables, parfois au péril de leur vie, comme le brésilien Augusto Severo et le français Georges Saché qui s’écrasèrent avenue du Maine.

Le dernier essai à la corde avant la tragique ascension du PAX le 12 mai 1902 (photo : Gribayédo – source : La Vie au grand air, 17 mai 1902)

A l’aube du 20e siècle la compétition bat son plein pour être le premier à dompter les airs. Depuis le premier vol d’un être humain en 1783, réalisé par les frères Joseph-Michel Montgolfier (1740-1810) et Jacques-Étienne Montgolfier (1745-1799) et leur ballon à air chaud, tout l’enjeu est de pouvoir se diriger dans les airs et d’évoluer le plus rapidement possible, plutôt que de subir les aléas du vent.

Plusieurs pionniers du domaine sont français, comme les frères Anne-Jean Robert (1758–1820) et Nicolas-Louis Robert (1761-1828), Henri Giffard (1825-1882), Henri Dupuy de Lôme (1816-1885), Charles Renard (1847-1905) et Arthur Krebs (1850-1935).

Lancé par Charles Renard et Arthur Krebs, le dirigeable Le France quitte Chalais-Meudon le 9 août 1884 et, pour la première fois au monde, va réussir un circuit complet dans les airs, soit 8 km en 23 minutes. Gravure publiée dans le Journal illustré du 7 septembre 1884 (source : Comité de sauvegarde des sites de Meudon, bulletin n°37, 1978)

Pourtant le 19 octobre 1901, après plusieurs tentatives infructueuses, c’est un brésilien, Alberto Santos-Dumont (1873-1932), qui remporte la compétition dotée de 100 000 francs lancée par le mécène Henry Deutsch de la Meurthe (1846-1919), en parcourant en trente minutes la distance entre Saint-Cloud et la Tour Eiffel avec son dirigeable n°6.

Le dirigeable n°6 de Santos-Dumont doublant la Tour Eiffel, en octobre 1901 (crédit : P. Raffaele – source : « La navigation aérienne » de Joseph Lecornu, 1903, Gallica-BnF)

Devant un tel exploit, dont la gloire ne manquera pas de rejaillir sur le pays tout entier, le député du parlement brésilien Augusto Severo propose de lui voter un prix de 100 000 reis (15 000 francs) pour l’encourager à continuer ses expériences.

Qui est Augusto Severo ?

Dans La Revue parue fin 1901, voici comment Georges Caye présente l’aéronaute brésilien Augusto Severo de Albuquerque Maranhão (1864-1902) : « M. Auguste Severo n’a pas encore 40 ans, il est marié et père de sept enfants. A l’inverse de M. Santos-Dumont, c’est un homme de haute stature (il pèse 102 kilos, juste le double de son célèbre compatriote). Il est député au Parlement brésilien depuis 1891 et, comme homme politique, il occupe une situation très importante dans son pays. Il appartient à l’une des meilleures familles républicaines du Brésil et est un orateur très distingué. Depuis l’âge de 18 ans il s’occupe d’aérostation. […] En 1894, M. Severo a fait construire à Rio un grand dirigeable le Bartholomeo de Gusmao… »

Augusto Severo en 1902 (source : Musée de l’Air et de l’Espace)

Dans Le Figaro (19 janvier 1902), sous la plume de Thomas Beyle, on peut lire que Augusto Severo était « l’un des artisans les plus vigoureux de l’émancipation des esclaves et de la révolution républicaine, cinq années de suite rapporteur du budget de la marine, orateur redouté. » Il prend congé de ses fonctions de député pour venir à Paris et « organiser une hasardeuse expédition, dont il fait seul tous les frais et qui va lui couter plus de cent mille francs. »

A Paris, Augusto Severo a le projet de faire construire un nouveau ballon dirigeable de sa conception qu’il baptise PAX (la Paix). Arrivée le 5 octobre 1901 à Paris, il commande la construction du PAX aux ateliers Lachambre et en moins de deux semaines fait ériger dans le quartier de Vaugirard, un hangar de 35 mètres de long, 17 mètres de haut et 15 mètres de large.

Les ateliers de constructions aéronautiques de Henri Lachambre, fabricant de ballons de baudruche, aérostats, etc. , 24 passages des Favorites à Vaugirard (15e arr.), en août 1883. (crédit : dessin d’Albert Tissandier – source : Wikimedia)

Dans La Revue encore, on trouve une description assez détaillée de l’aérostat : « Le ballon de M. Severo est en forme de cigare, mais peu allongé et asymétrique. Il mesure 30 mètres de largeur et une longueur de 12 mètres à sa plus grande section transversale. Son volume est sensiblement de 2000 m3. […] Dans l’espace inférieur est disposée la nacelle qui pénètre jusqu’au grand axe de l’aérostat. […] L’ossature est construite en bambou et aluminium et l’ensemble est entouré d’une enveloppe protectrice. » Le ballon sera gonflé à l’hydrogène, ce qui lui donnera une force ascensionnelle de 2 200 kilos environ, comme on peut le lire dans L’Événement du 28 janvier 1902.

Carte postale de la nacelle du ballon de Augusto Severo devant la hangar des ateliers Lachambre, à Vaugirard. Évidemment cette photo a été prise bien avant le 12 mai 1902.

Ce qui caractérise l’aérostat de Augusto Severo est la disposition des hélices de propulsion. Je fais appel à mes maigres souvenirs de science physique pour comprendre sa logique. La force propulsive doit être supérieure pour vaincre la résistance de l’air et faire avancer le ballon. Jusque-là, la propulsion s’opérait depuis la nacelle, tandis que la résistance s’exerçait principalement sur le ballon, ce qui pouvait générer de l’instabilité. L’idée de Severo est de placer ces deux forces sur le même axe central du ballon.

Les plans primitifs du PAX, le dirigeable de Augusto Severo (source : La Revue, 2e trimestre 1902)

Pour obtenir ce résultat Severo a placé la nacelle le plus près possible du ballon et l’hélice propulsive de 6 m de diamètre à la poupe sur le grand axe et à la proue est fixée une hélice plus petite de 3 m de diamètre destinée à chasser l’air à l’avant du ballon pour réduire les frottements et la résistance. Avec ce dispositif on pouvait craindre que la nacelle avance moins vite que le ballon, entrainant une inclinaison vers le sol. Pour y remédier, Severo ajoute une hélice compensatrice à l’arrière de la nacelle.

Afin de pouvoir diriger le ballon, il remplace le gouvernail par deux hélices disposées l’une à l’avant et l’autre à l’arrière de la nacelle dans des tubes ad’hoc dont les axes sont perpendiculaires à l’axe avant-arrière du ballon. « Ces hélices lorsqu’on les met en mouvement, permettent de déplacer l’aérostat à droite ou à gauche, c’est-à-dire de le diriger. »

J’ajouterais simplement que la force motrice était produite par deux moteurs à pétrole construits tout spécialement par le motoriste Buchet : l’un de 16 chevaux (150 kg) placé à l’avant pour les hélices avant et l’autre de 24 chevaux (250 kg) placé à l’arrière pour transmettre le mouvement à l’hélice de propulsion et aux hélices arrières (compensatrice et de direction). Severo aurait préféré des moteurs électriques, mais des contraintes de temps et d’argent l’ont fait opter finalement pour des moteurs à pétrole. Pour les passionnés du sujet, je vous recommande la lecture des deux articles de La Revue, dont vous trouverez les liens à la fin de cet article, car il y a de nombreux autres détails sur la conception du PAX.

Messieurs Buchet et Severo examinant un des moteurs du PAX sous le hangar (photo : P. Raffaele – source : « La navigation aérienne » par J. Lecornu)

Avec le PAX, Augusto Severo avait pour ambition de faire le tour de Paris en suivant les fortifications puis de se promener au-dessus des rues et des boulevards, faisant ainsi la démonstration de la maniabilité de son ballon. Mais en janvier 1902 lorsque les journalistes défilent au hangar de Vaugirard, Severo n’a pas encore pu faire ses essais, certains détails de conception devant encore être réglés.

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Augusto Severo et son fils dans le hangar de construction du PAX (source : Getty Images)

Fin avril – début mai 1902, le PAX est prêt. Il aura coûté au final 150 000 francs. Severo guette les conditions météorologiques favorables qui lui permettront de programmer son vol. En attendant, il reçoit de bonne grâce les visiteurs venus admirer le magnifique aérostat dans son hangar. Sa cordialité lui vaut la sympathie de tous, comme le raconte Joseph Lecornu dans son livre sur la navigation aérienne.

Carte postale du Pax sous son hangar.

La journée du 12 mai 1902

La suite de l’histoire est racontée en détail par Georges Caye dans La Revue. Dès la fin avril 1902 et pendant cinq jours, Severo procède au gonflement du ballon afin d’être prêt pour les essais. Après plusieurs jours de conditions météo défavorables, une première sortie est possible dans la matinée du dimanche 4 mai et une seconde le mercredi 7 mai, pour un essai à la corde. La propulsion et la direction sont testées mais le ballon est captif, retenu au sol par des cordes. Les résultats sont concluants. La puissance de propulsion est tellement importante que quinze hommes ne suffisent pas à retenir le ballon au sol et il faut arrêter l’essai de propulsion pour éviter que les ouvriers ne soient projetés contre le mur de clôture du site d’essai. Le temps s’étant couvert et la pluie ayant commencé à tomber les expériences sont interrompues.

Premier essai de l’aérostat dirigeable de M. Severo, le 4 mai 1901. Dans un premier temps le PAX est retenu par des cordes (photo : P. Raffaele – source : L’Illustration, 10 mai 1902)

Les jours qui suivent toute l’équipe de Severo et quelques témoins passionnés, se donnent rendez-vous à quatre heures du matin au parc aéronautique de Vaugirard, le site d’envol. Parfois la météo permet de faire quelques essais, mais ça n’est que le lundi 12 mai 1902 que les conditions sont réunies.

Le parc aéronautique de Vaugirard avec le hangar du PAX que Augusto Severo a fait ériger en 15 jours (source : tokdehistoria.com.br)

La nacelle était conçue pour trois aéronautes. L’équipage devait se composer de Augusto Severo, lui-même, son ami Álvaro Reis (fils de l’ingénieur Manuel Pereira Reis) et Georges Saché, le mécanicien de 25 ans. Mais afin de disposer de plus de lest, Severo décide de partir seul avec son mécanicien et de laisser au sol Reis quelque peu dépité. Pourtant cette décision sauvera la vie d’Álvaro Reis.

Álvaro Reis, Augusto Severo et Georges Saché, les aéronautes du PAX (source : La Revue, 2e trimestre 1902)

A 5h15 du matin, ce 12 mai 1902, le ballon sort de son hangar. A 5h25, il quitte le sol, d’abord retenu par des cordes, le temps de s’assurer que moteurs et hélices fonctionnent correctement. Après un dernier adieu à ses amis et un baiser envoyé à sa femme et à son fils ainé présents, le PAX s’élance porté par le vent et décrit des boucles dans les airs afin de tester les hélices de direction.

Georges Caye témoigne qu’à cet instant « la plus grande joie régnait parmi les spectateurs que l’heure matinale n’avait pas effrayés et le signal convenu ayant été donné par M. Severo, tout le monde s’apprêtait à gagner les automobiles pour se rendre au champs de manœuvres d’Issy-les-Moulineaux. »

La chute du PAX après l’explosion. Vue prise depuis le parc aérostatique de Vaugirard (source : La Revue, 1902)

Il poursuit : « Tout à coup un cri déchirant jaillit de toutes les poitrines. Le ballon était en feu ! Une lueur sinistre, partie de l’extrémité arrière de la nacelle, s’élevait vers l’aérostat qui s’enflammait subitement. Une effroyable détonation [provoquée par la combustion subite de 2 300 m3 d’hydrogène] parvenait jusqu’à nous tandis que le Pax et ses deux aéronautes s’abîmaient avec une vitesse vertigineuse à travers l’espace et tombant d’une hauteur de plus de 400 mètres, venaient se broyer effroyablement sur l’avenue du Maine. »

Il me serait impossible de décrire la douleur qui envahit tous ceux qui assistèrent à ce spectacle horrible, plus horrible et plus triste pour nous qui entourions la femme et l’enfant de l’infortuné Severo, pour nous qui venions de serrer la main des deux victimes de cette catastrophe, pour nous qui passions si brusquement de la joie du succès à l’horreur de la mort…

Georges Caye, dans La Revue
Les débris du PAX en travers de l’avenue du Maine, à Paris, 14e arr. (crédit : Ruckert – source : « La vie au grand air » du 17 mai 1902, Retronews)

Le Petit Journal (13 mai 1902) relate comment la catastrophe a été gérée avenue du Maine. Après le premier effroi, plusieurs témoins de l’accident accourent pour porter secours aux aéronautes. Je vous épargne les détails. Les deux hommes sont morts sur le coup. La police immédiatement prévenue fait évacuer les cadavres. Peu à peu plusieurs milliers de badauds viennent voir ce qui se passe.

Illustration réalisée par Achille Beltrame (1871-1945) représentant l’évacuation par la police des victimes de l’accident du PAX, avenue du Maine.

Également prévenus, le colonel Renard, directeur de l’établissement d’aérostation militaire de Chalais-Meudon, et son frère le commandant, arrivent en automobile au bout de trente minutes. De concert avec M. Lachambre, ils font enlever les débris de l’épave qui bloquent la circulation sur l’avenue du Maine et les font porter au hangar de Vaugirard.

Photographies de l’accident du Pax en 1902 à la hauteur du 79-81 avenue du Maine (14e arr.) près de la rue de la Gaité à Paris (crédit : Jules Beau – source : Gallica-BnF)

Spécialistes ou amateurs, tous commentent l’événement et avancent des hypothèses sur les raisons de l’accident. Certains vont même jusqu’à dire qu’il était prévisible étant donné les choix techniques faits par Severo. Je m’abstiendrais d’émettre un avis, mais une fois encore la lecture de La Revue permet d’avoir quelques éléments d’explication que les plus férus voudront certainement lire.

En attendant la veuve de Severo reste seule avec ses sept enfants à élever et se retrouve dans le plus grand dénuement, la fortune de son mari ayant été entièrement engloutie dans le PAX. Émus par cette situation, l’Aéro-Club et l’Auto-Club de Paris lancent une souscription afin de recueillir des fonds au bénéfice des familles des deux victimes, Severo et Saché.

Cet accident a tellement marqué les esprits, que Georges Méliès, pionnier du cinéma, en fit la même année une reconstitution dans « La catastrophe du ballon », film muet d’une minute malheureusement perdu, mais qui apparait au catalogue de Méliès.

En 1913, une plaque commémorative est installée sur la façade de l’immeuble du 79 avenue du Maine. Depuis la construction d’un nouvel immeuble à cet endroit, la plaque se trouve à l’entrée de l’hôtel à cette adresse.

Le Brésil a rendu plusieurs hommages à son compatriote. Des places et même un aéroport portent son nom. Un timbre postal commémore aussi cette désastreuse journée du 12 mai 1902.

De nos jours…

De tout temps la conquête des airs a donné lieu à des accidents. Le dernier qui a marqué les esprits est certainement l’explosion en 2003 de la navette Columbia détruite lors de sa rentrée dans l’atmosphère après une mission de deux semaines, entrainant le décès des sept membres d’équipage. La différence c’est que, de nos jours la nouvelle frontière est l’Espace.

Seule trace du souvenir de ce funeste accident du PAX est les noms des victimes donnés à deux rues du 14e arrondissement qui se rejoignent, proches de l’avenue du Maine, les rues Severo et Georges Saché.

En savoir plus …

Inauguration le 21 mars 2023 du Hangar Y rénové à Meudon
L'épopée du Hangar Y
A défaut de pouvoir se rendre aux ateliers Lachambre ou au hangar du PAX aujourd'hui disparus, visitez le hangar Y, haut lieu de la construction de dirigeables situé au cœur de la forêt de Meudon. Longtemps laissé à l'abandon, le site a été récemment rénové et propose en ce moment "L'épopée du Hangar Y", une exposition en réalité mixte sur l'essor de l'aéronautique en lien avec l'histoire du lieu. Plus d'infos

Les sources pour cet article : « Le dirigeable de M. Severo » par Georges Caye (La Revue, 4e trimestre 1901, p. 550-554), « Le nouveau dirigeable » par Thomas Beyle (Le Figaro, 19 janvier 1902), « Le ballon dirigeable de M. Severo » (Le Journal, 24 janvier 1902) « La question des ballons » (L’Événement, 28 janvier 1902), « Une catastrophe dans les airs » (Le Petit journal, 13 mai 1902), « M. Severo’s airship explodes while over Paris » (The New York Herald, 13 mai 1902), « Une catastrophe aérienne, Mort de M. Severo » (La Vie au grand air, 17 mai 1902), « La catastrophe du Pax » par Georges Caye (L’Illustration, 17 mai 1902), « Le drame du Pax et les mérites de Severo » (La Revue, 2e trimestre 1902, p. 548-557), « La navigation aérienne, histoire documentaire et anecdote » par Joseph Lecornu (Librairie Nony et Cie, 1903, p. 465-467), « La chute du Pax – 90ème anniversaire (Revue d’histoire du 14ème, p.33-44, 1992), « Auguste Severo et Georges Saché » (La Voix du 14ème, 26 novembre 2008), La marche de l’histoire : les dirigeables (France Inter, 8 août 2012), « O Último voo de Augusto Severo » (3 mai 2014).

Le déraillement du Granville-Paris, le 22 octobre 1895

Ce jour-là, le train en provenance de Granville et à destination de Paris, n’est pas parvenu à s’arrêter et la locomotive a traversé la façade de la gare Montparnasse pour finir sa course sur la place de Rennes…

La photo de couverture de cet article provient du site Paris en images (crédit : Henri Roger / Roger-Viollet).

Le 22 octobre 1895, le train no 56, parti de Granville à 8h45, doit normalement arriver à 15h55 sur la voie 6 de la gare Montparnasse (alors appelée gare de l’Ouest), à Paris. Le convoi, tracté par une locomotive à vapeur opérée par un mécanicien et un chauffeur, est constitué de trois fourgons à bagages, d’un wagon postal et de dix voitures de voyageurs, dont une voiture-salon. En effet, en gare de Briouze (Orne), le convoi fait un arrêt imprévu, pour qu’on lui attèle un wagon-spécial qui ramenait à Paris Albert Christophle, député de l’Orne, et accessoirement gouverneur du Crédit foncier de France. La manœuvre engendre plusieurs minutes de retard.

Lors de son passage à Versailles-Chantiers, le train accuse un retard de sept minutes sur son horaire. Il en regagne deux lorsqu’il aborde l’avant-gare de Paris-Montparnasse, mais malgré des tentatives, ne parvient pas à s’arrêter à temps. Suscitant l’affolement général en pénétrant sous le hall à une vitesse d’environ 40 km/h, il pulvérise le butoir, puis transperce le béton du terre-plein situé au bout des voies et le mur de la façade surmonté d’une cloison vitrée et traverse la courte terrasse surplombant la place de Rennes et défonce son balcon. Emportée par son élan, la locomotive bascule dans le vide et son extrémité avant s’enfonce dans le sol à l’emplacement d’une station de tramway, détruisant un kiosque-abri. Il est exactement 16h, comme en témoignaient les pendules électriques de la gare, toutes arrêtées lors de l’accident.

Le bilan

Malgré la violence de l’accident, il ne provoque qu’un seul décès, celui d’une marchande de journaux installée à la station de tramway, Marie-Augustine Aiguillard, 39 ans, mère de deux enfants de 5 et 9 ans, écrasée à la fois par une pierre tombée de la façade et par le cendrier de la locomotive qui récupère les cendres et les scories du foyer. Son mari déclare : « Elle est morte, tuée sur le coup. Elle tricotait, assise sur les marches de la buvette. »

Heureusement l’abri était vide de voyageurs au moment de l’accident et le tramway bondé de la ligne de Montparnasse à Étoile qui y stationnait en attente du départ était éloigné du point de chute par ses chevaux, affolés par le fracas provoqué par l’évènement. Madame Pelletier, tenancière d’un kiosque à journaux accolé à la façade juste dans le prolongement de la voie 6, s’est enfuit à temps en voyant le convoi foncer sur elle. Le mécanicien Guillaume Pellerin et le chauffeur Victor Garnier, ont été projetés hors de leur machine lors du choc avec le butoir, le premier à droite dans l’entrevoie, le second à gauche sur le quai, ont subit de légères blessures.

Coupures de presse de l’époque. Retrouvez les articles sur le blog de Gallica.

Les voitures du train, dont la décélération brutale aurait pu provoquer un télescopage, sont restées sur les rails, retenues à la fois par l’effet du frein à air dont la canalisation s’était rompue et par celui du frein à main du fourgon de queue. Leurs passagers ont été victime de quelques contusions sans gravité.

L’enquête

Interrogés immédiatement après l’accident, le mécanicien et le chauffeur invoquèrent une panne du frein à air type Westinghouse, qui avait normalement fonctionné lors du ralentissement sur les aiguillages de la gare d’Ouest-Ceinture, puis au passage à niveau de la rue de la Procession, mais s’était révélé défaillant à celui de la rue du Château, quelques centaines de mètres avant l’arrivée. Ils avaient bien tenté de réduire leur vitesse, qui était alors de 65 km/h en renversant la vapeur et en sablant, tout en sifflant pour demander aux conducteurs d’actionner le freinage d’urgence, mais ces manœuvres s’étaient avérées insuffisantes pour arrêter le convoi à temps.

A la postérité

Cet accident ferroviaire est l’un des plus connus, même à l’international. On en retrouve la mention dans le film de Martin Scorsese Hugo Cabret (2011) et dans la scène d’introduction du film Edmond (2019) d’Alexis Michalik. On peut également en voir une réinterprétation par le graffeur Brusk sur le site des travaux du centre commercial Gaité-Montparnasse à deux pas de la gare.

En 2018, sur une proposition d’Olivier Landes, fondateur d’Art en Ville, le graffeur Brusk a réalisé une fresque éphémère réinterprétant l’accident ferroviaire de 1895 (crédit : Les Montparnos, octobre 2020).

Les sources pour cet article : « L’accident de la gare Montparnasse » (Le Temps, 24 octobre 1895), le blog de Galllica, le site RetroNews et la page Wikipedia.

La Libération de Paris débute à Montparnasse, le 25 août 1944

Lors de la libération de Paris le 25 août 1944, le général Leclerc, qui dirigeait la 2ème division blindée, établit son poste de commandement dans la gare Montparnasse. C’est là que fut proclamée la reddition des troupes allemandes.

Le boulevard du Montparnasse en plein confinement en raison de l’épidémie de Covid-19 (crédit : Les Montparnos, mars 2020)

Au début du confinement du printemps 2020, le boulevard du Montparnasse était désert, seules de rares voitures circulaient sporadiquement. Un passant qui comme moi est sorti faire quelques courses, s’étonnant de ce silence, me dit que ça lui fait penser au 14 juin 1940, lorsque les parisiens s’étaient enfermés chez eux sachant que les allemands allaient entrer dans la capitale.
Loin de moi l’idée de comparer la crise du Covid-19 avec la seconde guerre mondiale, mais en ce jour anniversaire de la Libération de Paris, la remarque de cet inconnu me revient en mémoire.

Pendant les quatre années de l’Occupation de Paris, les panneaux de signalisation sont en allemand comme ici au carrefour Montparnasse-Raspail, devant le restaurant La Rotonde. (Crédit : Pierre Jahan / Roger-Viollet)

Si comme pour moi, vos cours d’histoire du lycée sont un peu loin, cette vidéo, réalisée en 2018 à partir d’archives, résume en 5 minutes les temps forts de la libération de Paris :

Débarqués le 6 juin 1944 en Normandie, les alliés avancent difficilement vers l’Est. Les parisiens s’impatientent et veulent passer à l’action. Un climat insurrectionnel émerge. Les cheminots, les forces de l’ordre, les postiers, les ouvriers se mettent en grève. Le 18 août, le colonel Henri Rol-Tanguy, chef régional des Forces françaises de l’intérieur (FTP-FFI), appelle à l’insurrection. Le lendemain des barricades se dressent, des bâtiments officiels tombent aux mains des résistants et les affrontements sont de plus en plus violents.

Une barricade de la rue de Rennes, au croisement des rues Saint Placide et Vaugirard (6e arr.), le 25 août 1944 (Crédit : Pierre Jahan / Roger-Viollet).
La même barricade de la rue de Rennes, au croisement de la rue Saint-Placide (6e arr.), le 25 août 1944 (Crédit : LAPI / Roger-Viollet).

Face à l’insurrection parisienne, le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, qui préconisait d’abord de contourner Paris, se rend compte le 20 août de l’urgence de la situation et Charles De Gaulle finit par le convaincre d’envoyer des renforts français. Le 22 août 1944, la division blindée (DB) du général Leclerc fonce sur la capitale et après deux jours et deux nuits de combats aux abords de la ville, la 2ème DB entre le 24 août dans Paris, suivi par la 4ème division d’infanterie américaine. Le 25 août 1944, le général Leclerc établit son quartier général dans la gare Montparnasse. Elle constituait un endroit sûr, disposant de lignes de communication en état de marche.

Chars de la division Leclerc arrivant à la gare Montparnasse. Guerre 1939-1945. Libération de Paris. Paris, 25 août 1944 (Crédit : Neurdein / Roger Viollet).
Les blindés de la 2ème DB du général Leclerc le long de la gare Montparnasse (Crédit : Pierre Jahan / Roger-Viollet).
Un char de la 2ème DB du général Leclerc dans le quartier Montparnasse (Crédit : LAPI / Roger-Viollet).
Les drapeaux français réapparaissent aux fenêtres comme ici rue du Cherche-Midi, 25 août 1944. Guerre 1939-1945. Libération de Paris (Crédit : Pierre Jahan / Roger-Viollet).
Blindés de la 2ème DB du général Leclerc garés le long de la rue de Rennes, 25 août 1944. Guerre 1939-1945. Libération de Paris. (Crédit : Pierre Jahan / Roger-Viollet).

Le général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire de la garnison allemande à Paris, est capturé dans l’après-midi à l’hôtel Meurice, son quartier général, situé Rue de Rivoli. Il signe l’acte de capitulation à la Préfecture de Police, sur l’Île de la Cité, puis est transféré à la gare Montparnasse pour signer l’acte de reddition de l’ensemble des forces allemandes sous son commandement.

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Cette photographie recoupée pour rendre l’instant plus solennel et faire disparaître le personnage de droite, le sous-lieutenant Braun absent lors de la reddition de von Choltitz, n’est en réalité pas la photographie de la reddition car il n’existe aucune photographie de cet instant. Cette image a été prise dans le bureau 32 donnant sur la voie n°3 de la gare Montparnasse et serait, d’après Alfred Betz qui se serait confié à Pierre Bourget (« Paris 44, occupation, libération, épuration« ), l’instant où von Choltitz fait une lettre de réclamation pour retrouver sa cantine personnelle qui aurait disparue à l’hôtel Meurice. Entrant alors dans la pièce, un photographe américain a immortalisé la scène et l’image a été publiée avec comme légende : « Von Choltitz signe la capitulation ».

Plaque apposée à l'emplacement de l'ancienne gare Montparnasse (Crédit : Les Montparnos)

Le général Leclerc signe quant à lui au nom du gouvernement provisoire de la République française, et une copie fut également signée par le colonel Rol-Tanguy. Le général de Gaulle est accueilli à la gare Montparnasse par Leclerc qui lui remet l’acte de capitulation de Von Choltitz.

Dans ce film muet conservé par l’INA, De Gaulle retrouve Leclerc à la Gare Montparnasse, ainsi qu’Henri Rol-Tanguy, Marie-Pierre Koenig et Jacques Chaban Delmas. Le Général se rend ensuite à l’Hôtel de ville (où il prononcera son célèbre discours « Paris libéré » qui sera retransmis à la radio).

Cet article illustré de quelques images prises dans le quartier de Montparnasse retranscrit très imparfaitement ce qu’a du être cette intense journée du 25 août 1944 pour les parisiens. Heureusement de nos jours, et j’espère encore pour longtemps, la seule occasion de voir des chars à Montparnasse est pour le 14 juillet.



Jusqu'au 1er juillet 2018, le Musée du général Leclerc de Hautecloque et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin était situé au niveau du Jardin Atlantique au-dessus de la gare Montparnasse. Malgré cette localisation symbolique au regard de l’Histoire, le musée souffrait d’un  manque de visibilité. Depuis il a déménagé sur la place Denfert-Rochereau, dans l’un des deux Pavillons Ledoux, qui abritait l’ancien poste de commandement du colonel Rol-Tanguy, responsable régional des FFI pour l’Ile-de-France et meneur de la résistance parisienne. Le nouveau Musée de la Libération de Paris – musée du Général-Leclerc – musée Jean-Moulin a été inauguré officiellement le 25 août 2019 à l'occasion des 75 ans de la Libération de Paris.(Crédit photo : Les Montparnos, août 2019) 

Plusieurs des photographies qui illustrent cet article ont été prises par Pierre Jahan (1909-2003).

« En tant que membre du Comité de la presse clandestine, je me suis trouvé mobilisé le 20 août 1944 sous les ordres d’une grande gueule de journaliste qui, la veille, s’était offert deux galons de lieutenant.  » Vous devez être partout où ça tire « , consigne d’autant plus facile que ça tirait de tous côtés. « 

Pierre Jahan

Pour en savoir plus sur la libération de Paris, consultez les sites Wikipédia, Libération de Paris – 19-25 août 1944, L’histoire par l’image.