Montparnasse au fil des plans

Difficile d’imaginer que l’actuel quartier très urbanisé du Montparnasse n’était que champs et chemins de terre, il n’y a pas si longtemps. Découvrez cette évolution au fil de plans.

Ce plan, réalisé en 1705, représente Paris et ses environs sous le règne de Louis VII le Jeune (1120-1180) (source : Gallica.fr)

J’ai eu envie de savoir depuis quand Montparnasse ressemble à ce que je connais aujourd’hui, et quelles traces du paysage passé, je pourrai dénicher. Évidemment pas de photos avant 1839 et pas des films avant 1895, mais une fois de plus internet, et plus précisément wikipedia, est un puits sans fond pour dégoter des informations et notamment des cartes. Cet article regroupe une sélection de plans se focalisant sur la zone de Montparnasse.

XIIème siècle

Le plan qui illustre en ouverture cet article représente Paris et ses environs sous le règne de Louis VII le Jeune (1120-1180). Difficile de délimiter la zone qui deviendra, quelques siècles plus tard, le quartier du Montparnasse. Pourtant en y regardant de plus près, on repère l’abbaye de St Germain, les églises St Sulpice et Notre-Dame-des-Champs. On note également l’hôtel de Vauvert, résidence au milieu des vignes du roi Robert le pieux (972-1031). Ce vallon n’est autre que ce que nous connaissons aujourd’hui comme le Jardin du Luxembourg. À la mort du roi Robert, le château de Vauvert, abandonné, tombe rapidement en ruine et devient une véritable cour des miracles. L’expression populaire aller au diable Vauvert viendrait de là.
En 1257, le roi Louis IX concède le terrain de Vauvert aux Chartreux qui y établissent un monastère.

1380

Au fil des plans, il est intéressant de remarquer l’avancée de l’urbanisation et le recul de la campagne et des champs cultivés. Vous noterez que leur orientation n’est pas toujours la même. Parfois le nord est à gauche et parfois il est en haut.
Le couvent des Chartreux fondé en 1257 est aussi un point de repère utile. Il se trouvait à l’emplacement de l’actuel jardin du Luxembourg et a perduré jusqu’à sa démolition de 1796 à 1800.
La ligne bleue rajoutée matérialise la rue de Vaugirard présente depuis fort longtemps. Le rond bleu indique la butte connue sous le nom de mont de la Fronde ou Mont de Parnasse, en référence à la montagne du centre de la Grèce, site particulièrement vénéré dans l’Antiquité qui surplombe la cité de Delphes.
Le chemin courbe qui sillonne presque en parallèle au muret du clos des Chartreux et qui aboutit à la rue de Vaugirard deviendra la rue Notre-Dame-des-champs.

Détail du plan de la ville de Paris en 1380 par Henri Legrand. La route indiquée en bleu est la rue de Vaugirard, le cercle bleu matérialise la colline qui plus tard sera nommée Mont-Parnasse. Entre les deux se trouve le couvent des Chartreux (source : David Rumsey Map Collection).

1657

Sur ce plan de 1657, le long de la rue de Vaugirard on trouve le Palais du Luxembourg qui a été construit sur le terrain d’un hôtel particulier du XVIe siècle et qui appartenait à François de Piney, duc de Luxembourg. On remarque également le moulin des Chartreux. Mais ce qui saute aux yeux c’est le regroupement de personnes aux alentours du Mont de Parnasse ou Mont de la Fronde. Il semblerait qu’on y venait pour s’exercer au lancer de pierres.

Détail de la carte de Paris en 1657, réalisée par Johannes Janssonius. En bleu, la rue de Vaugirard et la colline du Mont de Parnasse ou de la Fronde (source : Geheugen van Nederland).

1717

Fondé en 1667, l’observatoire de Paris, dont la construction s’est achevé en 1672, apparait sur ce plan de 1717 et le parallèle de l’observatoire à 48° 50’10 » est matérialisé. Près de la barrière de Vaugirard, les moulins de la pointe et de la Tour sont représentés. Le futur boulevard du Montparnasse n’est pas totalement dessiné. Le chemin de Meudon devient la rue de Seve (Sèvres) après le passage de la barrière du même nom. D’autres chemins mènent aux communes voisines comme Vaugirard, Clamar (Clamart), Vanvre (Vanves), Chastillon (Châtillon), Mont Rouge (Montrouge) ou Bourg la Reyne (Bourg-la-Reine). On note que l’actuelle rue du Cherche-midi, se nomme en 1717 la rue de Chasse midy. Depuis 1705, la rue Notre-Dame-des-champs est clairement indiquée. En plus du couvent des Chartreux, de l’église et du séminaire de St Sulpice, on remarque de nombreux établissements à caractères religieux, comme le séminaire des missions étrangères, les bénédictins de Notre-Dame-des-prez, la communauté des filles du St Esprit, de Notre-Dame-de-la-consolation, de la Visitation, les Pères de l’Oratoire, les Capucins, les Ursulines… Le long du Faubourg St Jacques, les églises et chapelles se succèdent les unes après les autres.

Détail du plan de Paris, ses faubourgs et ses environs en 1717 par Nicolas de Fer (crédit : Stephen S. Clark Library – source : University of Michigan Library)

1788

En 1784, il est décidé de faire entourer la ville de Paris d’une muraille destinée non pas à la défense, mais à la perception de l’octroi, impôt prélevé sur les marchandises entrant dans la ville. Le mur des fermiers généraux est édifié en quelques années à partir de 1784. Muni de 57 passages, appelés barrières, le mur est gardé par les employés de l’octroi. Pour la zone qui nous concerne le tracé de la muraille, alors au milieu des champs, suit approximativement les actuels boulevards Garibaldi, Pasteur, Vaugirard, Edgar-Quinet, Raspail et Saint-Jacques.
On remarque que les actuels boulevard du Montparnasse et boulevard Raspail qui font partie des boulevards du Midi dont la construction est prescrite en 1704 par Louis XIV, amorcée vers 1720 et achevée au début des années 1760, sont indiqués comme Nouveau Boulevard sur ce plan.
Sur le bord gauche du plan, près de la rue de Vaugirard et en face du moulin de la pointe, se trouve la pension de l’enfant Jésus. C’est à cet endroit qu’ouvrira en juin 1802 l’hôpital des enfants malades.

Détail du plan de la ville et des faubourgs de Paris en 1788 par Louis-Joseph Mondhare. On note le mur d’enceinte de Paris qui traverse les champs en vert (source : Barry Lawrence Ruderman)

1837

Sur ce plan de 1837, le couvent des Chartreux a disparu. A la place on trouve la pépinière du jardin de Luxembourg. Un enclos carré délimite au sud du boulevard Montparnasse le cimetière de Montrouge, qui deviendra le cimetière du Montparnasse, et à deux pas se situe un théâtre dans une rue qui deviendra la rue de la Gaité. Le long du mur des fermiers généraux, le nom des barrières est clairement inscrit : Sèvres, Fourneaux, Vaugirard, Maine, Montparnasse, d’Enfer. A gauche de la chaussée du Maine sont mentionnés plusieurs moulins à vent, le moulin de la citadelle, le moulin de beurre et le moulin neuf.
On note que le chemin de fer n’a pas encore fait son apparition, puisque l’embarcadère du Maine ne rentre en fonction qu’à partir de 1840.

Détail du plan topographique de Paris en 1837, réalisé par Alexis Donnet (source : Gallica.fr)

1849

L’enceinte de Thiers (hachurée en bleu sur le plan ci-dessous) est créée entre 1841 et 1844 autour de Paris, à la suite de l’approbation par le président du Conseil et ministre des Affaires étrangères de l’époque, Adolphe Thiers. Cette enceinte fortifiée, appelée plus familièrement les fortif’, se situe alors entre les actuels boulevards des Maréchaux (à l’origine la « rue Militaire ») et le futur emplacement du boulevard périphérique. Bien que hors du territoire qui nous intéresse sur ce blog, il est important de le savoir pour la suite de l’histoire. À noter en passant : à l’extérieur du mur d’enceinte, de son fossé et de sa contrescarpe se trouvait une bande de terre de 250 m de large désignée comme zone non constructible. Elle fut occupée par des bidonvilles dès la fin du XIXe siècle, avec l’abandon de sa fonction militaire. Cette bande était désignée comme la Zone, les miséreux habitant là étant appelés les zoniers, ou plus péjorativement les zonards.

Détail du plan de Paris et ses environs dans les années 1840, par George Bradshaw (source : Norman B. Leventhal Map Center Collection). L’enceinte fortifiée de Thiers, hachurée en bleu, a été construite entre 1841 et 1844.

On note, sur ce plan de 1849, la présence de la gare de chemin de fer de l’Ouest au niveau du boulevard Montparnasse, ainsi que la ligne ferroviaire qui en part.
Au sud du boulevard, les chemins de campagne deviennent des rues auxquelles on donne des noms, aujourd’hui disparus : rue du grenier aux fourrages, rue du champ d’asile, … Le boulevard Raspail s’appelle alors le boulevard d’Enfer et n’a pas encore été prolongé au-delà du boulevard Montparnasse. Le boulevard Edgar-Quinet n’a pas encore pris son nom – pas étonnant puisque l’historien, poète, philosophe et homme politique français, Edgar Quinet (1803-1875), est encore bien vivant -. L’avenue du Maine s’appelle encore la Chaussée du Maine. Une rue de l’ouest existe (l’actuelle rue d’Assas) mais elle longe un bout du jardin du Luxembourg. Le cimetière de Montrouge est devenu le cimetière du Sud. Par contre on a déjà, et depuis un certain temps, les rues de la Gaité, du Montparnasse, de Notre-Dame-des-champs, du Cherche-midi, de Sèvres et bien entendu la rue de Vaugirard qui est notre fil bleu depuis le début.

1863

Napoléon III demande que soient annexés à Paris les faubourgs se situant entre l’ancienne enceinte du mur des fermiers généraux et l’enceinte de Thiers. Découlant de cette demande expresse, la loi du 16 juin 1859, dite loi Riché du nom de son rapporteur, porte sur l’extension des limites de Paris jusqu’à l’enceinte de Thiers et provoque la suppression de onze communes du département de la Seine. Ainsi au 1er janvier 1860, cette annexion est effective et donne à Paris le contours qu’on lui connait à peu près actuellement. La commune de Vaugirard et une partie de celle de Montrouge deviennent des quartiers de Paris et composent les 14ème et 15ème arrondissements. A cette occasion le mur très impopulaire des fermiers généraux sera démoli par le préfet Haussmann, Paris passant alors de 12 à 20 arrondissements.

Détail d’une carte touristique de Paris, en 1863. La capitale est alors divisée en 20 arrondissements. Le quartier qui nous intéresse est à cheval sur les 6ème, 14ème et 15ème arrondissements (crédit : J. N. Henriot – source : Geographicus Rare Antique Maps)

On remarque que le Cimetière du Montparnasse, initialement carré, s’est étendu, que la rue de Rennes s’arrête à la rue de Vaugirard, et que le 14ème arrondissement s’est particulièrement densifié.

1916

Depuis l’inauguration du métropolitain en juillet 1900, les cartes présentent souvent les lignes disponibles. Sur ce plan de 1916, les lignes 4, 5 (la ligne 6 d’aujourd’hui) et A sont en service, la future ligne 10 ne sera inaugurée qu’en décembre 1923. L’actuelle station Sèvres Babylone s’appelait alors Bd Raspail, pouvant prêter à confusion avec la station Raspail des lignes 4 et 5. La station Maine et la place du Maine prendront le nom de Bienvenüe le 30 juin 1933 en hommage au père du métro, Fulgence Bienvenüe.
En comparaison au plan précédent, on note que les grands travaux du Baron Haussmann sont passés par là. La rue de Rennes a été prolongée jusqu’à Saint-Germain-des-près et le boulevard Raspail, jusqu’au boulevard Saint-Michel, transformant radicalement le paysage du quartier. La rue Notre-Dame-des-champs est l’une des rares rues non rectilignes du quartier. Le cimetière Montparnasse est à présent traversé par la rue Émile Richard. Le boulevard de Vanves et une partie du boulevard de Montrouge ont pris le nom de Edgar-Quinet depuis 1879, en hommage à l’écrivain et historien. La chaussée du Maine est devenue une avenue. L’ancien boulevard des Fourneaux qui débouche sur l’arrière de la gare Montparnasse se nomme à présent boulevard Vaugirard. Dans le quartier de Plaisance, une gare aux marchandises a vu le jour.

Détail de la carte-Campbell, le nouveau plan de Paris et banlieue indiquant toutes les voies nouvelles ainsi que les lignes du Métropolitain et du réseau Nord-Sud exploitées ou en construction (crédit : Editions Blondel La Rougery – source : Stanford Librairies)

1944

Sur ce plan de 1944, le quartier ressemble beaucoup à ce que l’on connait aujourd’hui. Il faut observer dans le détail pour remarquer les différences. Par exemple on note que l’impasse du Maine accessible par l’avenue du même nom a été percée et s’appelle à présent rue Bourdelle en hommage au sculpteur qui avait son atelier à cet endroit. Rue de Sèvres l’hôpital Laennec n’a pas encore fait l’objet d’un vaste programme immobilier achevé en 2014. A l’angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-midi existe encore une prison militaire qui sera remplacée plus tard par la Maison des sciences de l’homme. Rue Vercingétorix, l’église Notre-Dame-du-Travail, inaugurée en 1902, est bien mentionnée. Au 167 boulevard Saint-Michel, le bal Bullier est devenu en 1935 la piscine Bullier (actuel emplacement du Crous).

Détail du plan de Paris en 1944 par le service des cartes de l’US Army (crédit : U.S. Army Map Service – source : The University of Texas at Austin)

Aujourd’hui

De nos jours les plans utilisés sont souvent numériques, accessibles depuis internet ou nos téléphones portables, et enrichis d’informations cliquables.
Par rapport au plan de 1944, le plus gros changement est le quartier du projet Maine-Montparnasse réalisé dans les années 1960-1970. La gare ferroviaire a quitté les abords du boulevard Montparnasse pour se retrouver au niveau de l’avenue du Maine. Le jardin Atlantique a été créé au dessus des voies. La tour Montparnasse et son centre commercial occupent l’espace laissé par la gare de l’Ouest.

J’espère que ce voyage dans le temps autour du quartier du Montparnasse vous aura captivé autant que moi. Si vous avez des informations à ajouter ou si vous repérez un plan qu’il serait intéressant de mentionner, n’hésitez pas à mettre les liens en commentaire et à préciser quels aspects vous ont interpelés.


NB : Un ami me signale le site Remonter le temps de l’IGN où il est possible de comparer des cartes et des vues aériennes de différentes époques.
Ci-dessous, une carte d’état-major (1820-1866), à gauche, est comparée à une photographie aérienne (2006-2010), à droite. Les espaces de verdures sont le jardin du Luxembourg au nord et le cimetière Montparnasse plus au sud.

Mise à jour du 21 décembre 2020


Quelques repères historiques :
De 1784 à 1790 : construction du mur des fermiers généraux
De 1841 à 1844 : construction de l’enceinte de Thiers
De 1853 à 1870 : travaux haussmanniens

1er janvier 1860 : extension de Paris à 20 arrondissements
1870 : guerre franco-allemande
mars-mai 1871 : insurrections de la commune de Paris
Juillet 1900 : inauguration de la 1ère ligne de métro

2 réflexions sur « Montparnasse au fil des plans »

  1. C’est un excellent article. Le travail sur les cartes est très intéressant, mais pas toujours facile à restituer. Là, le texte reste très clair, bravo.
    J’ai remarqué aussi les nombreuses évolutions des jardins du Luxembourg qui changent à la fois de taille et de forme. On voit bien également sur la carte de 1380 que l’urbanisation se fait le long de grands axes qui mènent à Paris, avec des constructions sur plusieurs centaines de mètres le long de cet axe.

    1. Merci Matthieu d’avoir pris le temps de lire l’article et de poster un commentaire. Effectivement il y a des cartes fascinantes notamment quand elles matérialisent l’évolution de densité des habitations.
      Bonne remarque concernant le jardin du Luxembourg, il faudra que j’en parle dans l’article qui sera consacré au jardin prochainement…

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