Les sculptures funéraires du cimetière Montparnasse

Parcourir le cimetière du Montparnasse à la recherche de sculptures emblématiques est une activité comme une autre quand on est en manque de musée…

Place centrale du cimetière du Montparnasse

Je lisais récemment un article sur les rebondissements judiciaires du conflit qui opposent les pouvoirs publics aux héritiers de Tania Rachevskaïa, suicidée le 12 décembre 1910 par chagrin d’amour*.

La photo de Tania Rachevskaïa sur sa tombe au cimetière du Montparnasse (crédit : Les Montparnos, février 2021).

L’objet de la discorde ? La sculpture qui orne la tombe de la jeune exilée russe de 23 ans : deux amants enlacés qui s’embrassent. Évidemment il ne s’agit pas de n’importe quelle œuvre. Le Baiser a été réalisé par le sculpteur franco-roumain, Constantin Brancusi (1876-1957).

Le Baiser de Brancusi sur la tombe de Tania Rachevskaïa, avant que la sculpture ne soit recouverte d’un coffrage en bois (source : Wikimedia commons).

A l’époque, arrivé à Paris en 1905, Brancusi ne s’est pas encore fait un nom et la sculpture a été achetée 200 francs par la famille de la défunte. Depuis les six héritiers souhaitent la récupérer pour la vendre à un marchand d’art, arguant que l’œuvre n’a pas été faite spécifiquement pour la tombe. Le 21 mai 2010, la sculpture et son socle formant stèle sont classés par arrêté. La procédure dure depuis plus de 10 ans. Jusqu’à présent, la justice avait toujours donné raison à l’État, mais un arrêt du 11 décembre 2020 de la cour administrative d’appel de Paris accorde aux héritiers le droit de récupérer l’œuvre. En juillet 2021, le Conseil d’État considère que la sculpture ayant été achetée dans l’unique but d’être scellée sur la tombe de la jeune femme, elle constitue un monument funéraire indivisible. À ce titre, ce monument doit être considéré comme un immeuble par nature au sens de la loi, ce qui autorise l’État à l’inscrire comme monument historique sans l’autorisation de ses propriétaires (décision du 2 juillet 2021).

Ce Baiser n’est pas unique, il en existe des dizaines de versions, réalisées entre 1907 et 1945 par l’artiste. L’œuvre n’en reste pas moins estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Ce reportage de France 3 réalisé en 2019 résume l’affaire, avant le rebondissement de décembre 2020.

Piquée par la curiosité, j’ai voulu voir de quoi il s’agissait. Un gardien du cimetière Montparnasse, à qui je demandais où se trouvait la tombe, a tout de suite refroidit mes espoirs. Depuis 2018, la sculpture est sous un coffrage en bois, surveillée par plusieurs caméras.

La tombe de Tania Rachevskaïa (concession n° 191P1910, section 22, n° 265) au petit cimetière du Montparnasse. « Le Baiser », la sculpture de Constantin Brancusi est sous le coffrage en bois (crédit : Les Montparnos, février 2021).

Déçue de ne pouvoir admirer l’œuvre de Brancusi, je décide de poursuivre ma déambulation en quête des autres sculptures remarquables du cimetière. En voici une sélection, non exhaustive :

La tombe du sculpteur César Baldaccini, dit César (1921-1998), 3e division (crédit : Les Montparnos, déc. 2020)
« L’Oiseau » de Niki de Saint-Phalle, en hommage « A mon ami JeanJacques, un oiseau qui s’est envolé trop tôt, Niki« , 18e division (crédit : Les Montparnos, janv. 2021)
Sur la tombe de Ricardo Menon, décédé en 1989, Niki de Saint-Phalle compose, pour son assistant et ami, un chat en mosaïque d’environ 1,50 m de haut, 6e division. L’épitaphe a été rédigé par l’artiste : « À notre ami Ricardo qui est mort trop tôt, beau, jeune et aimé » (crédit : Les Montparnos, février 2021)
La tombe du géographe Antoine Haumont (1935-2016), sculptée par Etienne Pirot, dit Etienne, 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sur la tombe du sculpteur Léopold Kretz (1907-1990) une de ses œuvres, « Le prophète », a été placée le 4 février 1991, 14e division (crédit : Les Montparnos, février 2021).
Buste réalisé par le sculpteur André-Almo Del Debbio (1908 – 2010) qui a longtemps eu son atelier impasse Ronsin dans le 15e arr., près de celui de Constantin Brancuși. Sa sépulture se trouve dans la 6e division du cimetière Montparnasse (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« La Douleur » par Henri Laurens (1885-1954), sculpteur, sur sa sépulture, 7e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sculpture d’oiseau de Denis Mondineu, sur la tombe du peintre Gérard Barthélémy (1937-2002), 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« Le Pèlerin » (1992) de Baltasar Lobo (1910-1993), sur la tombe du sculpteur espagnol de la Nouvelle École de Paris, 8e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sur la tombe de Alex Berdal (1945-2010), peintre sculpteur, prix de Rome, son « Poisson-sirène », au dos duquel on peut lire la phrase énigmatique « Il fait son choix d’anchois et dine d’une sardine », 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Tombe de Laurent Simonpaoli, dit Laurent (1965-1994), et Yves Simonpaoli, dit Paoli (1928-2018), 15e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sépulture de Cicero Dias (1937-2003), peintre brésilien, 9e division (crédit : Les Montparnos, août 2010).
La sculpture de la tombe d’Honoré Champion (1846-1913), libraire et éditeur, a été réalisée par Albert Bartholomé (1848-1928), 3e division (crédit : Les Montparnos, février 2021).
Tombe-monument de la famille Charles Pigeon (1838-1915) inventeur et entrepreneur qui a produit et commercialisé un appareil d’éclairage portatif à essence breveté, ininflammable et inexplosible, reconnaissable par le dessin d’un pigeon posé sur un globe terrestre tenant en son bec une lampe. Sur cette tombe Charles-Joseph Pigeon est représenté sur un lit à colonnades avec sa femme Marie, tenant un carnet et ayant la révélation -réelle ou légendaire- de ce qui allait devenir son invention. L’œuvre classée à l’Inventaire des Monuments Historiques est non signée, 22e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« Les disparus ne sont pas des absents » (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).

Cette sélection sera augmentée au fur et à mesure des découvertes. Et je suis évidemment à l’écoute de vos suggestions que vous pouvez partager avec nous en commentaire ci-dessous.

Plan affiché aux entrées principales du cimetière du Montparnasse permettant d’identifier les divisions et la localisation des sépultures de personnalités.

*Le roman de Sophie Brocas, Le Baiser (Julliard, 2019), raconte cette histoire sous la forme d’un journal fictif.

Pour en savoir plus : Le site du cimetière du Montparnasse sur lequel on peut trouver différents plans (les sépultures les plus demandées, les femmes célèbres, le parcours accessible aux personnes à mobilité réduite), la liste des personnalités inhumées au cimetière du Montparnasse, l’article de l’Express (5 janvier 2019) et le podcast de l’Express (2019).

17 réflexions sur « Les sculptures funéraires du cimetière Montparnasse »

  1. Bonjour, et merci pour l’histoire de Brancusi…Il manque le chat autre sculpture de Niki de St Phalle et dans la même allée en face la pierre tombale sculptée de Topor (il court et sa vie s’échappe de sa valise ouverte ) et qu’est-ce qu’on a fait de la tombe de Wolinski ? Anonymisée par suite de vandalisme ?

    1. Merci Guesdon pour ces suggestions : Le chat de Ricardo (6e division), la tombe de Roland Topor (14e division) et celle de Georges Wolinski (4e division).
      Lors de ma prochaine balade dans le cimetière j’irai faire des photos pour les ajouter dans la sélection.
      Je pense que je ferai un article spécifique pour les dessinateurs, car j’ai déjà repéré Pascin.

    2. Non, je l’ai vue aujourd’hui, 28 avril. Elle est parfaitement restaurée et n’est pas anonyme. L’inscription indique qu’il a été assassiné lors de l’attentat de Charlie Hebdo.

  2. merci — tres interessant mais les photos sont un peu petites, je n’ai pas trouvé comment zoomer alors faudra que j’aille voir lors d’un séjour a paris que j’espère proche !! belle découverte en tout cas grace a vous !

    1. Merci Claude pour votre commentaire. J’ai modifié l’article, vous pouvez à présent cliquer sur les photos pour les afficher en plus grand. Lors de votre passage à Paris, n’hésitez pas à vous balader dans le cimetière du Montparnasse, vous y découvrirez certainement d’autres sculptures qui attireront votre regard.

  3. Faut-il penser que toutes les sculptures dans les cimetieres pourraient être réclamées par des descendants ? Depuis l’antiquité , les gisans, les rois de France…Depuis quant un objet une oeuvre d’Art acheté et donne appartient-elle a une tierce personne ? n’etait-il pas la volonte de l’amant d’honorer sa maitresse par un cadeau portrait de leur couple ? Faut ouvrir les tombes pour en extraire des objets précieux pour les donner aux descendants ? Je suis pour la restitution mais ici ce n’est pas le cas. Je ne comprends pas ?

    1. En ce qui concerne la tombe d’Yves et Laurent Simonpaoli, la sculpture est une reproduction d’une œuvre de Laurent, La Main de corail. Elle est présentée au Lazaret, musée Marc Petit en Corse. Quant à son père Yves, il était peintre.
      Une autre sculpture est visible sur la tombe des parents et de la sœur d’Yves Simonpaoli, en 15e division également contre le mur. C’est un corps féminin.

  4. La tombe portant le poisson sirène est celle de l’auteur
    Alex Berdal, peintre sculpteur, prix de Rome, 1945-2010

  5. Bonjour à vous… Et bravo pour toutes vos photos de ces sculptures étranges !
    Ce mot de « sculpteur » m’amène à vous ; j’enquête actuellement sur un certain Léon Rodolphe AMIEL (1848-1917) qui fut sous-préfet durant la IIIème République, sculpteur, et poète féru d’art. En 1907, au seuil de la retraite, il envoya au poète Sully Prudhomme (1839-1907) une série de sonnets de son crû, décrivant des tableaux et sculptures visibles alors au Musée du Luxembourg (la plupart se trouvent désormais au Musée d’Orsay). Le premier Prix Nobel de Littérature, charmé de leur élégance précise et ingénieuse, persuada son éditeur, Alphonse Lemerre, de les publier.
    Il en sortit un recueil de 172 pages, appelé modestement « Sonnets » (1907), qui fut suivi deux ans plus tard (1909) d’une suite appelée « Nouveaux sonnets » éditée après la mort de Sully Prudhomme, qui avait semble-t-il préface le premier ouvrage.
    Sa tombe m’intéresse. J’aimerais savoir si lors d’une prochaine visite, vous pourriez la photographier et/ou repérer les noms et dates des personnes enterrées avec lui… J’habite en province, et je monte rarement à Paris. De plus, je ne connais pas le cimetière, et j’ignore si je retrouverais cette sépulture, bien que j’en connaisse l’emplacement exact : le caveau est situé dans la 14ème division, 1ère ligne est, n°3 par le Nord.
    Y sont enterrés (pour ce que j’en sais) son père : Mr François Isidore Léonard Victor AMIEL (mort le 24 Octobre 1882), lui-même (mort le 3 juillet 1917) et peut-être sa mère (morte le 15 Octobre 1865). Mon sous-préfet, Léon-Rodolphe, était marié avec une certaine Marie : peut-être repose-t-elle à ses côtés ? Si oui, j’ignore sa date de décès, ni s’ils ont eu des enfants qui seraient inhumés également…
    Ces renseignements, si vous les trouvez, m’avanceront énormément, car j’envisage de consacrer un ouvrage à ce sonnetiste, et j’aimerais tenter de retrouver d’éventuels descendants susceptibles d’avoir des archives, des lettres ou une photographie montant à quoi il pouvait ressembler.
    Je jette cette bouteille à la mer, en espérant qu’il en sortira quelque chose… Un grand merci !
    Thierry Chevrier (Rethondes, Oise)

    1. Bonjour Thierry,
      Lors d’une prochaine visite au cimetière du Montparnasse, je tenterai de recueillir les informations dont vous avez besoin. Je vous invite également à consulter le compte Twitter @StefDesVosges (https://twitter.com/stefdesvosges) à qui j’ai parlé de votre requête.
      Bonne investigation !

      1. Quelle bonne surprise !
        Je n’ai peut-être pas activé le bouton qu’il faudrait, aussi je n’ai pas eu connaissance tout de suite de votre prompte et aimable réponse… Mais je m’en réjouis fort, évidemment.
        Mon enquête ayant légèrement progressé depuis le 8 Août, je rajoute quelques éléments que j’ai découverts, et qui pourraient peut-être aussi figurer sur cette tombe.
        Sa maman s’appelait (nom de jeune fille) Henriette Hortense Rannier, et notre poète sous-préfet était marié, et son épouse « Marie » était née Marie Paula Desprez. Il semble (je n’en suis pas sûr) qu’elle lui ait survécu. Si elle est enterrée avec lui, ce fut donc après 1917.
        Enfin, j’ignore encore si Marie et Rodolphe AMIEL ont eu des enfants, mais un petit indice laisse imaginer qu’ils ont pu avoir un fils prénommé Georges. Selon la logique des choses, ses dates à lui pourraient avoisiner [1870-1945].
        Bien sûr, cette tombe est ancienne : elle est peut-être illisible, effacée.
        Mais il n’y a que vous qui pourrez me le dire, si vous la repérez…
        Recevez un immense merci pour votre gentillesse.
        Cordialement, Thierry

    1. Bonjour Robert,
      Merci pour le lien. Je viens de mettre à jour l’article avec cette info 😉
      Bonne journée,

  6. Que de laideurs prétentieuses sur ce tombes de gloires du moment, dont l’éternel souvenir ne passera pas deux générations ! Rien à voir avec l’art funéraire du XIXe siècle, avec ses pittoresques lieux communs. C’est à croire que l’exhibitionnisme est le seul moyen pour certains d’accéder à l’immortalité.
    A ce propos, que sont devenus les bustes de la famille Cornil, de la petite, morte à neuf ans, et de son frère mort en 1916 à 19 ans ? Retirés par les descendants dans un mouvement d’impiété ?
    Quant aux chats, on les a chassés.
    Ce cimetière n’est plus ce qu’il fut, comme Montparnasse d’ailleurs.

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