Georges Méliès à Montparnasse

L’histoire de Georges Méliès, considéré comme le père des effets spéciaux au cinéma, est surtout attachée au théâtre Robert-Houdin dans le 9ème arrondissement de Paris ou à ses studios de la Star film, aujourd’hui disparus, à Montreuil-sous-Bois. Pourtant l’inventeur du spectacle cinématographique a aussi passé quelques années dans le quartier du Montparnasse…

Georges Méliès dans la boutique de jouets avec un dessin rappelant son fameux film de 1902, « Le voyage dans la lune ».

Lorsqu’on est passionné de cinéma ou qu’on le pratique en amateur, on croise forcément la route de Georges Méliès (1861-1938) à un moment ou à un autre.
Qui n’a jamais vu cette représentation, maintes fois copiées, de la Lune qui s’est pris une fusée dans l’œil ?

Détail d’un photogramme du film « Un voyage dans la Lune » (1902) de Georges Méliès.

Méliès et la magie… du cinéma

Georges Méliès est né le 8 décembre 1861 à Paris. Son père est dans l’industrie de la chaussure. Après son baccalauréat (1880) et son service militaire (1881-1882), il part en stage à Londres en 1884, mais se prend de passion pour la magie et devient prestidigitateur amateur. De retour en France, il épouse en 1885, Eugénie Genin (1867–1913). Pour vivre, il donne des séances d’illusionnisme au cabinet fantastique du Musée Grévin et présente des numéros au théâtre de magie de la galerie Vivienne, en 1886.

En 1888, lorsque son père se retire des affaires au profit de ses fils, Georges Méliès utilise sa part de l’entreprise familiale pour racheter le théâtre Robert-Houdin (8 boulevard des italiens, 9ème arr.) et y représente des saynètes magiques. Il conçoit de nouveaux spectacles d’illusion et rapidement le succès est au rendez-vous.

Originaire de Vaujours (Seine et Oise), Jehanne d’Alcy(1) (1865-1956), jeune veuve, s’installe à Paris. Elle fait partie du personnel du théâtre Robert-Houdin lorsque Méliès l’achète en 1888. Sa petite taille, sa minceur l’avait fait engager pour tous les truquages et escamotages, car elle devait disparaître dans une cache très étroite.

Tête de Jehanne d’Alcy dans le rôle de la marquise pour « La Source enchantée », saynète magique créée au théâtre Robert-Houdin en octobre 1892.

Antoine Lumière qui tient boutique passage de l’Opéra, convie son voisin Georges Méliès à la présentation d’une invention de ses fils, Auguste et Louis. Le 28 décembre 1895, au Salon indien du Grand Café de l’hôtel Scribe, 14 boulevard des Capucines, dans le 9ème arrondissement de Paris, il découvre alors le Cinématographe Lumière. Le destin de Méliès vient de basculer. Enthousiaste, il tente d’acheter l’appareil, mais les frères Lumière sont inflexibles. Leur invention n’est pas à vendre, prétextant qu’elle causerait sa ruine (finalement plutôt prémonitoire). Mais Méliès n’en démord pas. Il perfectionne un appareil d’Edison acheté à Londres et à partir d’avril 1896, des pièces cinématographiques figurent à l’affiche du théâtre Robert-Houdin.

Un jour qu’il filme place de l’Opéra, la caméra se bloque et, lorsqu’il la remet en marche, les passants et les véhicules se sont déplacés. Lors de la projection, on voit donc les passants se métamorphoser subitement et un omnibus Madeleine-Bastille se transformer en corbillard, avec la famille qui suit derrière : c’est la naissance des scènes à transformation, qu’il utilisera dans de nombreux films, avec bien d’autres procédés comme les caches, les miniatures, le gros plan, les objectifs à foyers différents, le fondu ou la surimpression.

Pour moi, c’est le caractère artistique du cinéma qui me sollicitait. C’est dans ce sens-là que j’ai travaillé pendant deux décades ou peu s’en faut, de 1896 à 1914 et, je puis bien le dire puisque tout le monde le reconnaît, j’ai eu le bonheur de trouver la plupart des procédés de mise en scène qui, de nos jours encore, sont à l’honneur.

Georges Méliès, 1932

Retrouvez sur la chaine La Manie du cinéma, un condensé de la vie de Georges Méliès en 7 minutes chrono.

Pour faire ses films, Méliès exerce tous les métiers : scénariste, décorateur, metteur en scène, acteur. Et lorsqu’il n’est pas devant la caméra c’est aussi lui qui tourne la manivelle. A l’écran, on retrouve aussi Jehanne d’Alcy qui joue tout naturellement dans les premiers films de Méliès et devient ainsi la première star du monde.
Au commencement, le public était friand des scènes à trucs, puis Méliès en vint aux fééries, comme pour La Chrysalide et le papillon (1901). Il reconstitue en studio des actualités truquées comme La visite de l’épave du Maine (1898) ou L’éruption du Mont Pelé (1902). Les histoires se développent et les films s’allongent. Il aborde le film de genre scientifique et géographique avec Le voyage dans la Lune (1902) ou A la conquête du Pôle (1912).

Au début tous ses films étaient tournés en plein air. Il fallait attendre le soleil et craindre la pluie. L’activité se développant, les commandes affluant, il faut tourner tous les jours, quelle que soit la météo.

A la fin du mois de septembre 1896, Méliès fait construire, au milieu du jardin potager de sa propriété de Montreuil-sous-Bois, une grande salle vitrée de tous côtés, le studio A.

Le studio de Montreuil est le premier à posséder une machinerie complète uniquement créée en vue de la réalisation de films avec mise en scène, scénario, acteurs et décors, et Georges Méliès est le premier à construire un atelier de prises de vues pour y réaliser des films destinés à être projetés en spectacle public, c’est pour cela qu’il a le titre de « premier studio du monde ». Le studio B est construit en 1905.

En près de deux décennies, la manufacture de films de Méliès, la Star Film(3), dont la devise est « Le monde à la portée de la main », produit plus de 500 films qui sont distribués internationalement, notamment grâce à sa succursale de New York.

La fin de la magie ?

Méliès cesse toute activité cinématographique en 1913. En mai de cette même année, il perd sa femme et reste seul avec ses deux enfants Georgette, 25 ans (née le 22 mars 1888), et André, 12 ans (né le 15 janvier 1901).

Lorsque la guerre de 1914 éclate, le théâtre Robert-Houdin, devenu un cinéma avec séance de prestidigitation le dimanche seulement, est fermé dès le début des hostilités par ordre de la police.

La scène du théâtre Robert-Houdin avant sa réfection en 1901.

De son côté Jehanne d’Alcy, approchant de la cinquantaine, sa carrière d’actrice terminée, a obtenu en 1914 la gérance d’une petite boutique en bois située d’abord sur le trottoir, puis dans le hall de la gare Montparnasse. Elle y vend des chocolats, des bonbons et des jouets. Elle a aussi réussi à dénicher un petit appartement donnant sur le square Jolivet dans le 14ème arrondissement, à deux pas de la gare, meublé de quelques objets rappelant sa splendeur passée.

Georges Méliès transforme le second de ses studios de prises de vues de Montreuil-sous-Bois en théâtre. C’est le théâtre des Variétés-Artistiques qui fonctionnera de 1915 à 1923. Sa fille Georgette, qui avait débuté à 9 ans dans les premiers films de son père, en devient la directrice et l’animatrice.
Mais la contrefaçon, la concurrence, les problèmes financiers, la première guerre mondiale et les créanciers ont eu raison de lui. Endetté, Méliès est contraint de vendre la propriété familiale de Montreuil-sous-bois qui comprend ses deux studios, sa maison d’habitation, ses décors, ses costumes…

Facture datant du 6 février 1906 à l’entête de la « Manufacture de films pour Cinématographes G. Méliès », située au 13 Passage de l’Opéra à Paris.

En 1922, le théâtre Robert-Houdin fait partie des expropriations dans le cadre du prolongement du boulevard Haussmann.

En 1923, la famille Méliès quitte définitivement Montreuil-sous-Bois. La propriété est vendue par lots, le premier studio du monde subsiste encore quelque temps mais est finalement démoli en 1947. Toutes les caisses contenant les films sont vendues à des marchands forains et disparaissent. La collection complète des cinq cents négatifs des films tournés par Méliès sont cédés à un récupérateur pour en extraire le celluloïd et les sels d’argent. Méliès lui-même, dans un moment de colère, brûle son stock de Montreuil.

En 1924, Méliès est appelé à Sarrebruck par la direction du Cercle des Mines de la Sarre. Il est chargé de reconstituer tout le matériel de leur grand théâtre détruit par les Allemands lors de leur retraite. En cinq mois, il reconstruit avec son fils, André, toute la machinerie disparue et refait tous les décors.

Sauf-conduit de Georges Méliès pour se rendre en 1924 à Sarrebruck en Allemagne (capture extrait du DVD « Georges Méliès », Fechner Productions / Studio Canal, 2008).

Georges et Jehanne à Montparnasse

En 1925, Méliès n’a plus de maison, plus de théâtre. Sa fille, Georgette (1888-1930), habite avec son mari, Amand Fontaine(2) (1894-1988), chez les parents de celui-ci, son fils André (1901-1985) loge chez les parents de sa femme, Raymonde Thomas (1897-1979). A 64 ans, veuf depuis 1913, Méliès est seul et sans foyer. Dans le livre « Georges Méliès, l’enchanteur« , on apprend que Madame Fontaine, la belle-mère de Georgette, joue les entremetteuses. Elle se rend à la gare Montparnasse pour savoir dans quelle disposition envers Méliès, Jehanne d’Alcy se trouve.
Finalement, il l’épouse en seconde noce, le 10 décembre 1925. La cérémonie est très intime, il n’y a qu’une quinzaine de personnes et le repas de noce a lieu à l’hôtel Lutetia.

Le mariage de Georges Méliès et Jehanne d’Alcy a lieu en petit comité le 10 décembre 1925. Ses petites filles Madeleine (2 ans) et Marie-Georgette (4 ans) sont demoiselles d’honneur (capture extrait du DVD « Georges Méliès », Fechner Productions / Studio Canal, 2008).

Georges Méliès emménage avec Jehanne dans son appartement du 18 rue Jolivet, dans le 14ème arrondissement. On le sait notamment car les carnets de croquis de Méliès portent cette adresse en couverture. Elle figure également dans la signature d’une correspondance de 1927 avec Auguste Drioux (1884-1937) fondateur en 1916 de la revue Passez Muscade, journal des prestidigitateurs amateurs et professionnels qui accueille régulièrement les articles et dessins de Méliès.

Dans le trois pièces de la rue Jolivet, on entre par la cuisine, vient ensuite le salon-salle à manger puis la chambre à coucher. L’eau et les WC sont dans l’escalier à mi-étage. Sur le même palier, Jehanne réussit à louer un peu plus tard un second appartement de deux pièces qui sert de remise de jouets et d’entrepôt de friandises pour la boutique.

De 1925 à 1932, Georges Méliès et sa seconde épouse Jehanne d’Alcy, résident au 18 rue Jolivet, dans le 14ème arrondissement, à deux pas de l’ancienne gare Montparnasse, où ils tiennent la boutique de jouets et de confiseries (crédit : Les Montparnos, déc. 2020)

Méliès s’occupe avec Jehanne de la petite boutique dont elle a la concession dans la gare Montparnasse. L’employée de la boutique, Marie Loudou, fait l’ouverture à 8 heures, puis Méliès arrive vers 10 heures.

Georges Méliès devant la première boutique de Jehanne d’Alcy au rez-de-chaussée de la gare Montparnasse. Cette coupure de presse m’a été envoyée par Anne-Marie Quévrain, arrière-petite-fille du cinéaste. Si vous connaissez l’auteur de cette photo ou le journal dans lequel elle a été publiée, laissez un commentaire (crédit : inconnu – source : Cinémathèque Méliès – droits de reproduction réservés).

Jehanne apparait vers midi pour préparer le déjeuner sur un réchaud à pétrole. L’après-midi les représentants passent ou Jehanne va au réapprovisionnement chez les fournisseurs. Méliès garde la boutique. Très affable, il fait vite connaissance avec le petit monde de la gare, comme le patron du bureau de tabac, la marchande de journaux ou M. Sentenac, le gérant de la buvette-restaurant où il va boire tous les jours son café noir.

En 1930, la direction des Chemins de fer de Ouest-Etat leur annonce que des travaux doivent avoir lieu dans le hall et qu’ils doivent quitter le magasin pour le 1er avril au plus tard. A la place, on va leur louer, à l’étage de la gare, une boutique plus grande et plus confortable, mais malheureusement cachée derrière un énorme pilier de ciment. Ils s’y rendent tous les jours par la rampe d’accès de la rue du Départ, mais l’emplacement n’est pas propice et les ventes déclinent. Ils devront d’ailleurs se séparer de leur employée, Mme Loudou.

Jehanne d’Alcy et Georges Méliès au comptoir de leur nouvelle boutique de jouets dans la gare Montparnasse en 1930 (source : Cinémathèque Française)

Pendant les longues heures passées à tenir l’étal de jouets, Méliès s’ennuie, mais il continue à dessiner. Les caricatures les plus touchantes sont sans doute celles sur lesquelles il se représente lui-même enchainé à la boutique de la gare Montparnasse.

(crédit : Georges Méliès – source : Cinémathèque française)

Méliès, grand-père

Dans un entretien de 1932 pour la revue L’image, Méliès raconte que son fils, André, premier comique d’opérette, est sans cesse en tournée, et que son gendre, Amand Fontaine, baryton, n’est pas davantage sédentaire. Au décès de sa fille Georgette, le 29 août 1930, suite à une longue et cruelle maladie qui a débutée en 1928 lors d’une tournée théâtrale en Algérie, Georges Méliès recueille sa petite-fille, Madeleine Fontaine (1923-2018).
Dans l’émission Emmenez-moi de France inter, Madeleine raconte que le matin son grand-père la conduisait à 8h30 à l’école, rue Notre Dame des champs, puis ouvrait le magasin de jouets. A midi il venait la chercher pour déjeuner dans la gare Montparnasse. Le soir ils rentraient dans leur appartement de la rue Jolivet.

Dans un autre entretien, Madeleine raconte également : « Dans cette petite boutique de quatre mètres sur trois, nous prenions tous nos repas, je faisais mes devoirs. Il y faisait très froid l’hiver, mais mon grand-père était aimé de tous les gens de la gare qui venait le matin lui dire un petit bonjour […] Et moi je subissais ses talents de prestidigitateur, il me sortait des cigarettes du nez et des oreilles, il faisait la chasse au pièce de cent sous et gare à moi si je laissais un de mes cahiers ouvert, il était couvert de dessins et de caricatures. »

Méliès demeure à son étale de la gare Montparnasse, douze heures par jour et quarante-neuf semaines par an. Les bonnes années, il arrive à passer trois fois huit jours dans un petit coin de Bretagne.

Méliès avec Madeleine, sa petit-fille, vers 1930, sur la plage de Saint Guirec à Ploumanach, un bourg de la commune de Perros-Guirec (22). Le rocher dans le fond est dénommé le « chapeau de Napoléon » (capture extrait du DVD « Georges Méliès », Fechner Productions / Studio Canal, 2008)

Madeleine se souvient que pendant que son grand-père tient la boutique, elle part parfois en escapade avec sa grand-mère Jehanne. Elles vont au Dôme, à La Coupole ou rue de la Gaité pour manger des frites et des moules marinières. Le soir, pour rentrer à la maison, elles passent devant Le Sphinx, une célèbre « maison » du boulevard Edgar Quinet. Voyant des dames devant l’établissement qui attendent les clients, la fillette demande « Mais qu’attendent-elles donc si tard ? » Sa grand-mère lui répond : « Elles attendent leurs maris, ma chérie. » Madeleine rajoute : « Tiens, alors ce ne sont pas toujours les mêmes maris. »

Méliès sort de l’oubli…

Il se raconte qu’en 1926, un jour comme tous les autres, un cafetier passant par là salue Méliès d’un retentissant « Bonjour, Monsieur Méliès ! ». Léon Druhot, alors directeur du Ciné-Journal, se trouve sur place. Il n’en croit pas ses oreilles, il imaginait Méliès mort depuis belle lurette. Il l’interpelle : « Seriez-vous parent avec Georges Méliès qui faisait du cinéma avant-guerre ? » – « Mais c’est moi-même ».
Druhot demande à Méliès d’écrire une série de sept articles intitulés « En marge de l’histoire du cinématographe » qui paraissent dans la revue Ciné-Journal de juillet à septembre 1926. C’est ainsi que la génération d’après-guerre apprit à connaître le nom et ce qui restait de l’œuvre de Méliès.

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Il n’était cependant pas totalement oublié dans la corporation cinématographique, puisqu’une lettre datée du 28 juin 1926 lui apprenait qu’il venait d’être nommé par acclamations premier membre d’honneur de la Chambre syndicale de la Cinématographie.

Le 16 décembre 1929, quelques-uns de ses films sortis des greniers sont projetés à la salle Pleyel lors d’un gala en l’honneur de Méliès, organisé par le Studio 28 avec le concours de L’Ami du peuple et du Figaro. Un triomphe en présence du tout Paris !

Les jeunes n’ont rien connu du cinéma d’avant-guerre. Aussi ne connaissent-ils de ma production que quelques féeries provenant de la collection Dufayel qui ont survécu par hasard et qu’on a retrouvées il y a 4 ans. Et c’est pourquoi, tout en me couvrant d’éloges, ils me taxent souvent de naïveté, ignorant certainement que j’ai abordé tous les genres.

Georges Méliès

De nombreux journalistes s’indignent des conditions de vie du cinéaste et de l’oubli total des politiques. En mars 1931, lors d’un banquet de la corporation cinématographique, Méliès est enfin reconnu par la profession, avec Louis Lumière, comme « l’un des deux piliers du cinéma français ».

Puis parrainé par Louis Lumière, Georges Méliès reçoit la Légion d’Honneur le 22 octobre 1931 lors d’un banquet de 800 convives au Claridge (Ciné-Comœdia, 23 oct. 1931).

La retraite au château d’Orly

En 1932, la France traverse une grave crise économique. La boutique de jouets n’est plus rentable. Georges Méliès, sa femme et sa petite-fille sont accueillis au château d’Orly, propriété de la Mutuelle du Cinéma, où des retraités du cinéma peuvent couler des jours heureux.

Le 21 janvier 1938, Georges Méliès décède à l’hôpital Léopold Bellan, 19-21 rue Vercingétorix, dans le 14ème arrondissement. Il est inhumé au cimetière du Père Lachaise à Paris.
Pour la petite histoire, en 2019, l’appel aux dons du Georges Méliès Project a permis de recueillir plus de 42 000 euros pour restaurer la tombe du cinéaste. Ce projet est porté par une partie des descendants d’André, le fils de Georges Méliès : son petit-fils, Pascal Duclaud-Lacoste et son arrière petite-fille Pauline Duclaud-Lacoste(4). La restauration est en cours.

La quête des films de Méliès

Sur les 520 films de la Star Film, il n’en restait que huit retrouvés fortuitement et présentés lors de la soirée de gala en l’honneur de Méliès en décembre 1929 : Illusions fantastiques, Papillon fantastique, Le juif errant, Le locataire irascible, Les hallucinations de Münchhausen, Les 400 coups du diable, Le voyage dans la lune et A la conquête du pôle.
Ces films ont été retrouvés tout à fait par hasard. Cette anecdote est racontée dans le livre de Madeleine Malthète-Méliès. Jean-Placide Mauclaire (1905-1966), directeur du Studio 28, « est tombé en panne de voiture dans un petit village normand. Le garagiste qui vient à son aide aperçoit à l’intérieur du véhicule quelques boites de film et dit négligemment : Tiens, il y a le même genre de boîtes dans la laiterie du château de Jeufosse. Intrigué, Mauclaire qui sait que le château de Jeufosse a appartenu à Dufayel, le marchand de meubles qui avait ouvert une salle de cinéma dans ses magasins et avait été un des meilleurs clients de Méliès, se rend au château dès que la réparation est faite. Le garagiste n’a pas menti : des dizaines de boîtes s’entassent dans la laiterie ! ». Mauclaire a dû se livrer à un énorme travail pour les remettre en état pour la projection, les faisant contretyper, pour certaines, et recolorier, comme les originaux.
Dans son allocution, Méliès précise que les films projetés à l’occasion du gala ne représentent qu’un des genres de films qu’il produisait, le genre fantastique ou féérique.

Sa petite-fille, Madeleine Malthète-Méliès, fervente défenseure de l’œuvre de son grand-père, est parvenue à en retrouver 210. La plupart des films a été retrouvé dans le réseau international des cinémathèques mais d’autres l’ont été dans des lieux pittoresques comme un poulailler, un grenier ou une cave. Concernant la collection « non-film » conservée depuis 2005 par la Cinémathèque française, elle se compose de plus d’un millier de pièces : photos de plateau, dessins de Méliès, peintures, affiches, costumes (tel le manteau du professeur Barbenfouillis du Voyage dans la lune), objets magiques uniques (l’armoire du Décapité récalcitrant, le Carton Fantastique de Robert-Houdin).

Anne-Marie Malthête-Quévrain, arrière petite fille de Méliès raconte : « Cette collection est constituée d’éléments achetés en salle de vente, à des collectionneurs, des brocanteurs etc, avec les deniers personnels de mes parents. Ma mère [Madeleine] réinvestissait le fruit de ses droits d’auteur et de ses conférences dans l’achat de ces éléments et le tirage de copies et de safety des films retrouvés« .

Les hommages du cinéma

Georges Méliès apparait lui-même dans la plupart des films qu’il a produit et réalisé entre 1896 et 1913. Mais il est aussi le personnage central d’au moins deux films, à ma connaissance, « Le grand Méliès » de Georges Franju en 1952 et « Hugo Cabret » de Martin Scorsese en 2011, et d’un dessin animé, « Jack et la mécanique du cœur » (2014).

Le magasin de jouets aujourd’hui ?

Il est difficile de reconstituer l’histoire de la boutique de jouets de la gare Montparnasse, depuis le départ en retraite de Jehanne d’Alcy et Georges Méliès. Ma rencontre avec Thierry Leroux, le gérant de la boutique Tikibou (33 boulevard Edgar Quinet, 14e arr.) me permet d’en apprendre un peu plus. En reprenant le commerce en 2004, son prédécesseur, André Carage, lui raconte que dans les années 1960, à l’occasion du projet « Maine-Montparnasse » qui prévoit le démantèlement de l’ancienne gare de l’Ouest et la construction de la Tour Montparnasse, la boutique déménage sur le boulevard Edgar Quinet.

Thierry Leroux, le gérant de la boutique de jouets Tikibou (photos : Les Montparnos, mai 2021)

En visitant les réserves, Thierry remarque les meubles en bois de l’ancienne boutique de la gare et décide de leur donner une troisième vie. A présent vous pouvez les voir en magasin et leurs tiroirs abritent des trésors qui font le bonheur des petits et grands. Véritable caverne d’Ali Baba, Tikibou est comme la partie immergée d’un iceberg. Si vous ne trouvez pas ce que vous cherchez, demandez à la sympathique équipe qui ira peut-être le dénicher dans les nombreux rayonnages des réserves.



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Figurant certainement parmi les plus anciennes et les plus traditionnelles boutiques de jouets de Paris, Tikibou propose des jouets anciens et en bois, mais aussi les dernières nouveautés pour tous les âges et toutes les bourses.
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En savoir plus sur Georges Méliès



Musée Méliès, la magie du cinéma
La Cinémathèque française propose une exposition permanente autour de Georges Méliès, à partir des collections de la cinémathèque et du CNC. Tout au long du parcours, le visiteur découvre plus de 300 machines, costumes, affiches, dessins et maquettes. A partir du 19 mai 2021 - plus d'infos
"Georges Méliès, l'enchanteur"
"Georges Méliès, l'enchanteur" par Madeleine Malthête-Méliès
Pudique et tendre, très documenté, le témoignage irremplaçable de Madeleine Malthête-Méliès sur son grand-père fait revivre l'homme Méliès et toute son époque, dans une réédition revue et augmentée. 
éd. la Tour verte, 2011 - 1ère édition en 1973

(1) Le nom de naissance de Jehanne d’Alcy est Charlotte Lucie Marie Adèle Stéphanie Adrienne Faës (1865-1956). On la connait aussi sous le nom de Fanny Manieux, lors de son premier mariage avec Gustave Marcel Manieux (1856-1887). Veuve, elle épouse Georges Méliès (1861-1938), en seconde noce, en décembre 1925.
(2) Amand Pierre Fontaine (1894-1988), artiste lyrique, mari de Georgette Eugénie Jeanne Méliès (1888-1930), avait pour nom de scène Armand Fix, du nom de jeune fille de sa mère, Pauline Fix (1857-1942).
(3) La Star Film n’est pas une société mais une marque déposée. Georges Méliès réalise ses vues animées avec ses capitaux personnels.
(4) Pour mieux comprendre les liens de parenté de la famille Méliès, consultez cet arbre généalogique.


Cet article publié une première fois en décembre 2020 a été mis à jour en décembre 2021 grâce aux informations données par Anne-Marie Quévrain, arrière-petite-fille de Georges Méliès. Je l'en remercie chaleureusement. 

Les sources de cet article : le site de la Cinémathèque Méliès – Les Amis de Georges Méliès, le documentaire « Le Mystère Méliès » (2020) disponible en replay jusqu’au 12 novembre 2021, « Georges Méliès, inventeur » article de Paul Gilson (L’Ami du peuple, 18 oct. 1929), « Un voyage à travers l’impossible » par Paul Gilson (L’Ami du peuple, 13 déc. 1929), « Georges Méliès » par F. de Casanova (Comœdia, 13 déc. 1929), « A propos du gala Méliès » par Roger de Lafforest (L’ami du peuple du soir, 13 déc. 1929), « Georges Méliès à l’honneur » par Arlette Jazarin (Comœdia, 21 mai 1931), « Aux temps héroïques du cinéma, Georges Méliès » (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 sept. 1931), « A l’aube du cinéma – Les souvenirs de Georges Méliès » (L’Image, 1er janv. 1932), « Comment Georges Méliès couronna Édouard VII… » (Paris-Soir, 15 mai 1937), « Hier soir à la Cité Universitaire… » par Georges Bateau (Paris-Soir, 8 juil. 1937), « Gloire et tristesse de Georges Méliès » par André Robert (Le Figaro, 24 sept. 1937), « Georges Méliès est mort » par André Robert (Le Figaro, 23 janv. 1938), hommage à Georges Méliès par Georges Sadoul (Regards, 3 fév. 1938), l’interview de Madeleine Malthête-Méliès dans l’émission « Emmenez-moi » (France Inter, 12 mai 2012), l’article « Un énorme livre est sorti pour célébrer le génie pionnier de Georges Méliès » par Etienne Dumont (Bilan, 2 fév. 2021), les sites de la BIFI, de la Cinémathèque de Québec, de Domitor et Wikipedia.

L’hôtel des États-Unis

C’est en consultant une archive de l’INA datant de 1949 que je découvre l’existence de l’hôtel des États-Unis situé sur le boulevard du Montparnasse. L’immeuble existe toujours mais n’a plus tout à fait la même fonction. J’ai eu envie d’investiguer pour savoir ce que je pourrais trouver sur l’histoire de ce bâtiment…

D’après le cadastre cet immeuble du 135 boulevard du Montparnasse a été construit entre 1851 et 1914. Je n’ai pas trouvé à quelle date l’hôtel des États-Unis a ouvert à cette adresse, mais on en trouve la mention dans une petite annonce publiée le 8 mars 1879 dans le Figaro

…ainsi que sur cette carte postale qui y a été envoyée en septembre 1911.

(source : Smithsonian)

Dans un entrefilet du Petit parisien (24 sept. 1903), on apprend que M. André-Jean-Marie Fourgous, tenant l’hôtel-café-restaurant du 135 boulevard Montparnasse a fait faillite et dans une publication légale parue dans La Loi (28 déc. 1928) que l’Hôtel des États-Unis devient une SARL détenue par M. André Hamayon, architecte, Mme Marie Thébault, épouse autorisée de M. Victor Pascal d’Autremont et Mme Marie Dibonnet, veuve de M. Alphonse Thébault.

Le café-restaurant sis à la même adresse que l’hôtel portera différents noms. En novembre 1922, The Chicago Tribune and the Daily News, New York recommande Le Rapin, en mai 1931, Le Chaos, bar américain qui propose buffet froid et souper léger. En 1939, il s’agit de la Nouvelle Chine.

Dans les années 50, le rez-de-chaussée du bâtiment accueille le bar de l’Hôtel des États-Unis, dans lequel furent donnés de nombreux concerts de jazz. Vous pouvez d’ailleurs en découvrir le menu de 1952 archivé à la Bibliothèque spécialisée de Paris.

Les résidents plus ou moins célèbres

A la fin du 19ème siècle, vers 1874, le peintre américain John Singer Sargent (1856-1925), qui réalisa entre autre un célèbre portrait d’Auguste Rodin, y réside. En 1881, Louise-Athanaïse Claudel s’y installe au quatrième étage avec ses trois enfants Camille (1864-1943), Louise (1866-1929) et Paul (1868-1955). C’est d’ailleurs dans le quartier du Montparnasse, à l’académie Colarossi (10 rue de la Grande-Chaumière) que Camille prend ses premiers cours de sculpture. Dans la même période, en 1885, le poète français Germain Nouveau (1851-1920) loge au 135. Le docteur Philippe Grenier (1865-1944), premier député musulman de l’histoire de France, y réside fin 1896.

Vers 1900, Édouard Léon Huvé (1865-1933) y aurait exercé son métier de maitre fondeur de caractères typographiques. En 1908, le poète et écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) y séjourne également.

En décembre 1912, le peintre belge Hector van Eyck (1872-1924) présente une sélection de ses œuvres au Jardin d’hiver, 135 bd du Montparnasse. Resté fidèle à son pays natal, il peint les campagnes flamandes aux environs de Waesmunster. Son exposition donne lieu à un article dans le Journal des arts (18 déc. 1912)

De décembre 1929 à l’été 1930, Sergei Eisenstein (1898-1948), le cinéaste russe, séjourne à l’hôtel des États-Unis à Paris. Depuis 1925, il existe à Paris trois hôtels du même nom, mais il était vraisemblablement à celui de Montparnasse. Il en aurait profité pour rendre visite à James Joyce (1882-1941) pour discuter de l’adaptation cinématographique de son œuvre Ulysses et donner le 17 février 1930 une conférence à la Sorbonne sur les « Principes du nouveau cinéma russe ».

A une date indéterminée, vraisemblablement entre 1930 et 1939, Henry Miller (1891-1980), romancier et essayiste américain, y aurait résidé.

Pendant la seconde guerre mondiale, l’hôtel est réquisitionné pour les sous-officiers allemands.
En représailles aux 75 otages fusillés au mont Valérien à la mi-décembre 1941, deux grenades ont été lancées contre l’hôtel le 26 décembre 1941 à 6h30 du matin. Dans un document des Archives nationales, on apprend que cet hôtel a été, entre décembre 1941 et janvier 1942, le siège de la Geheim Feld Polizei (GFP), la police secrète militaire, de la Luftwaffe (armée de l’air). La Gestapo y menait aussi des interrogatoires comme celui de Madeleine Michelis (1913-1944) qui n’y a pas survécu.

Vidéogramme extrait de l’archive de l’INA du 20 janvier 1949.

Arrivé à Paris fin 1948 grâce au GI Bill*, Art Buchwald (1925-2007), alors jeune soldat américain démobilisé, a séjourné après-guerre à l’hôtel des États-Unis, tenu alors par un vétéran polonais qui a combattu aux côtés des alliés. Sa chambre était au 3ème étage équipée d’un lavabo, d’un bidet, d’un lit et d’un bureau. Il raconte que l’ampoule éclairait tellement peu que « la souris est devenue aveugle à force de chercher à manger« . Il deviendra plus tard humoriste et éditorialiste au Washington Post.

Pilote des forces aériennes des États-Unis, puis militant pacifiste, Garry Davis (1921-2013) crée en 1948 le mouvement des Citoyens du monde. Dès décembre 1948, des anonymes et de nombreuses personnalités comme André Breton, Jean-Paul Sartre, l’Abbé Pierre ou Albert Einstein, viennent à sa rencontre lors de débats. Comme en témoigne cette archive de l’INA du 20 janvier 1949, il s’est installé au 135 boulevard du Montparnasse pour dépouiller tout le courrier qui lui arrive d’un peu partout dans le monde.

L’hôtel fournissait du papier à entête à ses résidents comme l’atteste cette correspondance du 28 juin 1953, entre Eric P. Newman (1911-2017), numismate américain, et Kenneth Scott (1900-1993), historien et professeur à Wagner College, sur le thème de la contrefaçon de monnaie coloniale.

(source : NNP at Washington University in St Louis)

Plus récemment, l’écrivain Nimrod (1959-…) y auraient aussi vécu.

Quelques faits divers

Dans les coupures de journaux que l’on peut retrouver en ligne on découvre que le 135 boulevard du Montparnasse est le théâtre de faits divers plus ou moins dramatiques. Ainsi dans La Lanterne et L’Intransigeant du 4 février 1893, on apprend qu’un homme accompagné de deux enfants et qui a pris une chambre à l’hôtel y abandonne le plus jeune de trois ans au petit matin.

Dans Le Soir (23 avril 1904), on peut lire que M. Georges Bunoud âgé de trente ans, métreur-vérificateur, demeurant depuis quatre ans à l’hôtel des États-Unis, s’est tué d’une balle dans la tempe droite, par désespoir amoureux.

En 1928, Houlbaboff, un voleur en série sévit dans les hôtels. Ainsi le baron von Ritter, ancien ministre plénipotentiaire de Bavière, se fait voler une valise contenant des documents diplomatiques et 5000 francs de bijoux dans l’hôtel des États-Unis (Le Journal, 28 avril 1928)

Le 30 mai 1939, L’Humanité et l’Excelsior relatent un drame s’étant déroulé au restaurant La Nouvelle Chine, au 135 boulevard du Montparnasse. Un garçon du restaurant congédié ce matin-là a tiré plusieurs coups de revolver sur le patron du restaurant, son compatriote.

En 1941, Paris-Soir (11 juil. 1941) relate le vol de bicyclette des locataires dans la cour du 135 boulevard du Montparnasse.

Toutes ces histoires, petites et grandes, qui toutes se sont déroulées à une même adresse, au 135 boulevard du Montparnasse, donnent vie à ce lieu au fil des années.

De nos jours…

Le bâtiment de sept étages a été rénové en 2009. Il héberge l’une des résidences étudiantes de Campus France à Paris et propose 24 studios entièrement équipés, aménagés et décorés selon un design contemporain.


*Le GI Bill est une loi américaine adoptée en juin 1944 par le Congrès des États-Unis, fournissant aux soldats démobilisés de la Seconde Guerre mondiale (communément appelés les G.I.) le financement de leurs études universitaires ou de formations professionnelles ainsi qu’une année d’assurance chômage.

Les sources pour cet article : « Left Bank: Art, Passion and the Rebirth of Paris 1940–1950 » (2018) de Agnès Poirier, « Expatriate Paris: A Cultural and Literary Guide to Paris of the 1920s » (1990) de Arlen J. Hansen, « Un balcon sur l’Algérois » (2013) de Nimrod, les sites de la Fondation C. F. Ramuz, du Musée Camille Claudel, du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Le Jockey

En 1923, Montparnasse connait un véritable séisme. Jusqu’alors, la vie nocturne s’arrêtait à la fermeture des cafés restaurants comme le Dôme et la Rotonde. Avec le cabaret Le Jockey, installé à l’angle de la rue Campagne Première et du boulevard du Montparnasse, la nuit n’a plus de limite. Le succès est immédiat…

Dans Comœdia, le journal culturel français, André Warnod (1885-1960), le goguettier, critique d’art et dessinateur, écrivait : « Lorsqu’il existe un endroit curieux et sympathique, il faut bien se garder d’en trop parler sans quoi tout est bientôt fini. Mais il n’y a plus à faire discret en parlant du Jockey. Il commence à être bien repéré » (21 fév. 1924).

Le Caméléon se métamorphose

L’Académie du Caméléon, cabaret artistique et littéraire fondé en 1921 au 146, boulevard du Montparnasse (14ème arr.). L’enseigne du Caméléon est visible au dessus de la porte qui fait l’angle (crédit : Roger-Viollet, avril 1923 – source : Paris en images).

L’idée du Jockey serait née au sein de la petite communauté des artistes américains expatriés. Copeland, musicien, et Miller, ancien jockey, ont découvert que les Américains de Montparnasse rêvaient de disposer d’un club à eux, sans avoir à s’éloigner de leur village. En 1923, le premier cabaret The Jockey s’installe au 146 boulevard du Montparnasse, à l’angle de la rue Campagne-Première, en lieu et place du Caméléon. Les nuits des Montparnos n’ont plus de limite. Le peintre américain Hilaire Hiler (1898-1966) et son complice Bob Lejeune, ancien stewart de paquebot, sont les maîtres des lieux. Kiki raconte « Nous avons inauguré une boite toute petite et qui promet d’être gaie. C’est le Jockey parce que Miller qui s’y intéresse est jockey […] tous les soirs on se retrouve comme en famille. On boit beaucoup, tout le monde est gai. Tout Paris vient s’amuser au Jockey ».

Ça ne semble pas du goût de tout le monde. Dans le Mercure de France, on pouvait lire « La vieille auberge du Caméléon, au coin du boulevard [Montparnasse] et de la rue Campagne Première, où se tenaient sous la direction d’Alexandre Mercereau, d’excellentes soirées vouées aux Lettres françaises, a été transformée en une sorte de bar du Texas, à l’enseigne du Jockey » (15 nov. 1924).

Ci-contre : Vue du Jockey à l’angle du la rue Campagne-Première et du boulevard du Montparnasse, vers 1925.

René Brunschwick raconte dans Le Siècle : « Auparavant des gens de lettres, des artistes dramatiques venaient vanter la valeur de jeunes inconnus ou méconnus, ou bien s’efforçaient de rehausser une gloire chancelante. L’Académie les Gens de Lettres, les Poètes français, l’Opéra, le Français, l’Odéon se donnaient rendez-vous là devant un public de choix. Les mêmes y fréquentent encore. Mais si les personnages n’ont pas changé, le but est différent. Alors l’ordre, le silence, une atmosphère quasi religieuse étaient de règle. Aujourd’hui, le chahut, la « blague » et l’esprit frondeur se mélangent agréablement entre 10 heures et 3 heures du matin » (13 nov. 1924).

Le tout Paris se donne rendez-vous au Jockey

A l’intérieur, les travaux sont réduits au minimum, une ambiance de saloon, un comptoir en bois, des tables contre les murs et une minuscule piste de danse.

Ci-contre : Le Crapouillot, périodique satirique, du 16 avril 1924, avec un dessin de Jean Oberlé sur le Jockey à Montparnasse.

Au dehors Hiler a couvert les murs tout noirs de silhouettes blanches représentant un Indien d’Amérique à cheval avec un tomahawk, un cowboy, des Mexicains en poncho, des Indiens emmitouflés dans une couverture et un crâne de bovin à longues cornes du Texas. Rapidement le tout Paris rapplique dans ce nouvel établissement « grand tout juste comme un mouchoir d’honnête homme » (Les Modes de la femme de France, 17 août 1924) et vient s’amuser au Jockey. On se faufile, on s’empile, on se démène pour trouver une place. André Warnod écrit encore : « Il y a près de la porte un bar en bois où l’on boit debout en tenant son verre en équilibre. Sur les tables les nappes sont en papier et on a de la chance quand on peut s’asseoir sur une demi chaise. C’est ainsi aujourd’hui qu’on fait les bonnes maisons » (21 fév. 1924).

Toujours dans Comœdia, André Warnod décrit ainsi le cabaret : « Les murs sont couverts de grandes affiches multicolores, des affiches comme on en voit partout mais collées de travers, chevauchant les unes par-dessus les autres, tout de guingois, tout de traviole, sur les murs, au plafond. D’autres pendent comme des oriflammes à la poutre médiane et de grandes pancartes blanches posées dans ce flamboiement aveuglant, comme des papillons, portent écrites en grosses lettres manuscrites des recommandations souvent facétieuses et rédigées dans un anglais difficilement traduisible » (21 fév. 1924).

L’idée est de mélanger toutes les faunes du quartier. Hiler a surpris d’emblée la clientèle en baissant le tarif des consommations. Dans Paris-soir (12 juin 1924, pp. 1-2), Maurice-Verne décrit longuement l’ambiance du Jockey :

Photographiés de jour devant le cabaret le Jockey, en novembre 1923, tout le monde portant des manteaux et les peintures de Hiler n’apparaissent pas encore sur la façade. On a identifié : Bill Bird, journaliste, Kiki, modèle, Martha Dennison, Jane Heap et Margaret Anderson, fondatrices de la revue d’art et de littérature The Little Review, Ezra Pound, poète, musicien et critique, Man Ray, photographe et peintre, Mina Loy, écrivaine et poétesse, Tristan Tzara, écrivain, poète et essayiste, Jean Cocteau, poète, graphiste, dessinateur, dramaturge et cinéaste, Hilaire Hiler, peintre, pianiste de jazz et psychologue théoricien de la couleur, Miller, l’ancien jockey, Les Copeland, pianiste, Caughell, Curtis Moffat, photographe.

On retrouve du beau monde au Jockey. Certains fidèles sont présents sur ces clichés dont je n’ai pas retrouvé le ou les auteurs. Parmi les clients du Jockey on trouve également Ernest Hemingway, Louis Aragon, Foujita, Moïse Kisling, Pascin, Charles Fegdal, Othon Friesz, Tristan Derème, Lucien Aressy…

Le tout Paris se presse au Jockey pour entendre Hiler jouer du piano jazz avec son singe sur l’épaule. Kiki, qui vit alors avec Man Ray au 31 bis rue Campagne Première, s’y produit régulièrement. Elle y chante un répertoire grivois et danse le cancan.

Quelques mois après son ouverture, le cabaret se transforme et se diversifie. René Brunschwick décrit dans Le Siècle : « A la fin du mois on pourra admirer ses agrandissements. Le peintre Robert Barriot décore le sous-sol qui doit être aménagé en caveau. C’est là que la société élégante et artiste se réunira chaque jour entre 5 et 7 pour prendre le thé. On aura également accès au premier étage où l’on est en train d’installer un restaurant destiné à abriter les expositions mensuelles » (13 nov. 1924).

Le cabaret « The Jockey » à l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue Campagne-Première (14e arr.) (crédit : Albert Harlingue/Roger-Viollet – source : Paris en images)

Dans Le Soir (19 mai 1925), le journaliste Pierre Lazareff semble trouver que les établissements de Montparnasse s’embourgeoisent et deviennent snob. Le Jockey n’échappe pas à cette tendance.

Le Jockey déménage

En 1932, le cabaret traverse le boulevard pour s’installer au n° 127 du boulevard Montparnasse.

Comme pour sa localisation d’origine, Le Jockey est à nouveau à l’angle d’une rue (la rue de Chevreuse). En regardant trop vite les photographies de l’établissement on peut tout à fait confondre les deux localisations. Un point de repère peut être l’enseigne lumineuse placée cette fois verticalement.

L’enseigne lumineuse de la boîte de nuit « Le Jockey » au 127 bd du Montparnasse (6ème arr.), en 1939. (crédit : Pierre Jahan/Roger-Viollet – source : Paris en images)

De nos jours


Les sources de cet article : « Kiki, reine de Montparnasse » (1988) de Lou Mollgaard (ed. Robert Laffont, pp. 124-143), « Léonard Tsuguharu Foujita » (2001) de Sylvie Buisson, Dominique Buisson (ACR édition, vol. 1, p. 108, 163, 246), « Tristan Tzara » (2002) de François Buot, l’article « Kiki, au Jockey » (2013) du blog Le Montparnasse de Kiki et Mememad.

Le Grand bazar de la rue de Rennes

Qui pourrait imaginer qu’au début du 20ème siècle, au 136 rue de Rennes à Paris, à la place du bâtiment de la Fnac, existait un splendide édifice Art nouveau hébergeant la quintessence du commerce moderne de l’époque ?

A la fin du 19ème siècle, dans son roman Au bonheur des dames, Émile Zola parle des « cathédrales du commerce moderne », les grands magasins. Dans le contexte de compétition entre les enseignes, plusieurs d’entre eux ont vu le jour dans des quartiers à fort potentiel, comme le Palais de la Nouveauté, boulevard Barbès en 1856, le Printemps, depuis 1865 sur le boulevard Haussmann ou la Samaritaine, fondée en 1870 rue de Rivoli. Implanté rive gauche se trouve également depuis 1852, le Bon marché. En 1906, le Grand bazar, de style Art nouveau, sort de terre rue de Rennes.

L’entrepreneur et homme d’affaires français, Eugène Corbin (1867-1952), fils d’Antoine Corbin, fondateur des Magasins réunis, a considérablement développé le modeste bazar familial nancéien pour en faire une chaîne de grands magasins. Également collectionneur d’art, il est un mécène majeur du mouvement Art nouveau de l’École de Nancy. En 1905, avec d’autres actionnaires, il confit à l’architecte Henry Gutton (1874-1963), la construction d’un nouveau magasin sur la rue de Rennes, à proximité de la gare Montparnasse et juste à côté de l’immeuble Félix Potin ouvert en 1904.

Ce bâtiment à structure métallique était le plus important édifice dans le style de l’École de Nancy présent dans la capitale et constituait en quelque sorte son manifeste. Les poutrelles métalliques de l’immeuble proviennent des ateliers de la rue de Vaugirard d’Armand Moisant (1838-1906), ingénieur et principal concurrent d’Eiffel. Les constructions en structure métallique semblent répandues à l’époque comme on peut le voir aussi à l’église Notre-Dame du travail inaugurée en 1902.

Situé au 136 de la rue de Rennes, à l’angle de la rue Blaise Desgoffe, le magasin est inauguré en grande pompe le 29 septembre 1906.

Grâce à la variété de leurs produits, à leur méthode de vente moderne et à la qualité de leur cadre, les grands magasins accueillaient une grande diversité de clients.

L’architecte a voulu une façade entièrement vitrée avec un encadrement métallique peint en vert foncé. Les vitres couvrent la hauteur des deux étages principaux, le plancher intermédiaire est en recul de 0,80 m de la façade et l’architecte prévoit des tablettes vitrées sur toute la hauteur pour servir de vitrine. Au dessus est l’étage de réserve, la façade y présente des parties pleines en briques cachées par des plaques de verre noir sur fond doré. La crête de couronnement est formé de fers en U et en T avec des ornements de cuivre repoussé.

Vue générale de l’intérieur du Grand bazar de la rue de Rennes (Paris, 6ème arr.) à 9h du matin le jour de l’inauguration le 29 septembre 1906.


A l’intérieur la tonalité des peintures est blanc ivoire et or. On trouve le grand hall sous verrière typique des grands magasins au temps ou l’éclairage artificiel était insuffisant. Le grand escalier est lui aussi caractéristique des magasins de l’époque qui ne connaissaient pas les escalators. Il n’y a qu’un ascenseur au fond du magasin. L’étage de réserve est masqué par une frise de staff (moulure).
Le plancher du rez-de-chaussée est en pente pour éviter les marches à l’entrée du magasin car il y a 1,20m de différence de hauteur entre la rue de Rennes et la rue Blaise-Desgoffes.

Visite officielle à 11h le jour de l’inauguration du Grand bazar de la rue de Rennes (Paris, 6ème arr.), le 29 septembre 1906.

Le bâtiment s’élevait sur cinq niveaux : un sous-sol, un grand espace au rez-de-chaussée et trois niveaux en galerie au-dessus. Un grand escalier central divisait l’espace en deux. Il permettait d’accéder aux galeries du premier et deuxième étages par des ponts-galeries.

Bien que situé à l’angle de deux rues, le bâtiment n’offre pas de dôme d’angle comme c’est le cas dans les autres grands magasins construits à la même époque.

En revanche, vingt-quatre épis sont dressés en amortissement des piles des travées. Sur un peu plus de cent mètres de façade, dix-sept épis, nettement plus élevés, reçoivent de petits fanions triangulaires et colorés ou des réclames sous formes de bannières.

Comme l’attestent différentes coupures de journaux, toutes les occasions sont bonnes pour proposer des animations et faire venir les clients, comme pour le premier anniversaire du Grand bazar en septembre 1907 ou lors des fêtes de noël.

Qu’est devenu le Grand bazar ?

En 1910, le Grand bazar devient les Grands Magasins de la rue de Rennes, puis la propriété des Magasins Réunis dans les années 1920.

Pendant la 1ère guerre mondiale, les vitrines du Grand Bazar étaient protégées contre les bombardements, comme on peut le voir sur cet autochrome du 10 mai 1918 (crédit : Auguste Léon – source : Département des Hauts-de-Seine, musée Albert-Kahn, Archives de la Planète, A 14 037 S).

Les Magasins réunis au 136 rue de Rennes (Paris, 6ème arr.). On reconnait juste à côté l’immeuble Félix Potin et l’ancienne gare Montparnasse au bout de la rue.

Vers 1960, une nouvelle façade plus banale est plaquée sur la façade d’origine de style Art nouveau.

Le bâtiment originel est détruit en 1972, puis reconstruit. En 1974, l’édifice devient un magasin Fnac, le premier magasin de l’enseigne à Montparnasse qui propose des livres.

La bâtiment au 136 rue de Rennes abrite de nos jours la Fnac et Uniqlo (crédit : Les Montparnos, octobre 2020).

Mes sources : l’article de Olivier Vayron « Dômes et signes spectaculaires dans les couronnements des grands magasins parisiens : Dufayel, Grand-Bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine. » (2015), Wikipédia, les blogs Paris projet ou vandalisme et Paris 1900, l’art nouveau.

L’art urbain à Montparnasse

Montparnasse n’est pas réputé pour le street art, comme peut l’être le 13e arrondissement, mais plutôt pour ses ateliers d’artistes. Pourtant au fil des balades on peut y découvrir quelques œuvres visibles depuis la rue ou sur des sites ouverts au public.

Voici une première sélection d’œuvres à voir au fil des déambulations dans le quartier du Montparnasse. Parfois je ne suis pas parvenue à identifier les auteurs des graffitis. Si vous les connaissez, faites m’en part et j’ajouterai l’information. Je suis également preneuse de vos trouvailles. Indiquez-les moi en commentaire, en fonction de vos retours, soit je complèterai cet article, soit j’en ferai un second !

Les fresques

Tower par Keith Haring
Œuvre créée in situ et offerte par l’artiste en 1987, restaurée en 2016
Hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 15e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Scratching the surface par Vhils
Un des trois portraits d’enfants réalisée pour la Nuit blanche 2014
Hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 15e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

L’homme en blanc par Jérôme Mesnager
Sur la façade de l’hôtel des Académies et des Arts, 15 rue de la Grande Chaumière, 6e arr.

(crédit : Les Montparnos, sept. 2020)

Fresque de la rue de la Gaité

Rue de la Gaité Montparnasse par Loren Munk
Fresque réalisée en 1991 / 1993 sur commande de la Mairie de Paris. Elle est visible depuis le boulevard Edgar-Quinet à l’entrée de la rue de la Gaité, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, nov. 2016)

Reprendre la conversation par Jean Michel Alberola
Sur la façade latérale de l’hotel Odessa, 28 rue d’Odessa, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, oct. 2020)

Fresque éphémère par Brusk
Entre la rue Vercingétorix et l’avenue du Maine

(crédit : Les Montparnos, déc. 2018)

par Jo Little & Pparpierremerriaux
Fresque réalisée dans le cadre des journées du patrimoine 2018
Hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 15e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Fresque réalisée par le collectif @le_mouvement et le Dr Taymme Hachem (@teym_hm) pour célébrer la fin du confinement en 2020.
Hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 15e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

La lionne par Harry James
52 rue Raymond Losserand, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Adios Bahamas par 75e session et les gars laxistes
Rue des Thermopyles dans le 14e arr., en hommage au rappeur Népal décédé en novembre 2019 à l’âge de 29 ans.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

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Avenue du Maine, à la sortie du métro Gaité

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

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Dans la descente du parking de la gare Montparnasse

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Monsieur Chat par Thoma Vuille
Ce mur de la rue Olivier Noyer, 14e arr., change perpétuellement…

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Les clins d’œil

Il faut parfois lever le nez au vent pour découvrir ces petites notes d’humour et de poésie

Rue Cassette par Mifamosa

(crédit : Les Montparnos, sept. 2020)

Les pieuvres de GZ’UP
On en trouve à de multiples endroits dans le quartier, ici rue Raymond Losserand, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Buzz l’éclair par Mr Djoul
Rue Pernéty à l’angle de la rue Raymond Losserand, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

par Monsieur BMX
Passage des arts, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

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Rue des Thermopyles, 14e arr.

(crédit : Les Montparnos, août 2020)

Sur les devantures des magasins

12 Rue Antoine Bourdelle, 15e arr.

(crédit : Les Montparnos, )

D’après Méheut, A Douarnenez, la fête des filets bleus par Toqué frères
Au 10 rue du Maine, 14e arr., la fresque sur la devanture de la Coop Breizh, aujourd’hui fermée, a été recouverte par un graffiti.

(crédit : Les Montparnos, juin 2020)

Les fresques disparues