Nés tous les deux en 1873, Charles Sarazin (1873-1950) et Henri Sauvage (1873-1932) se rencontrent lors de leurs études à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris.
A l’aube du 20e siècle, ils deviennent ensemble architectes de la Société anonyme des logements hygiéniques à bon marché, fondée en 1903, et participent à de nombreuses expositions où leur talent est récompensé, comme à l’exposition universelle de 1906 à Milan où ils obtiennent la médaille d’or des Arts décoratifs. Ils réalisent à Paris des immeubles de rapport.
Au milieu du 19e siècle, l’idée se développe que la réforme sociale passe par la réforme de l’habitat. Les lois sur la salubrité des logements édictées depuis 1850 prévoient de faire rentrer l’air et la lumière naturelle à flots dans les appartements, avec l’objectif de faire disparaître le bacille de Koch et la tuberculose, responsables de plus de 10 000 décès par an dans la capitale.
A partir de 1909, poursuivant les réflexions hygiénistes de l’époque sur l’ensoleillement et l’aération des logements, Henri Sauvage développe un ingénieux dispositif d’immeubles à gradins, dont Charles Sarazin et lui déposent le brevet (n° 439.292 ; 23 janvier 1912).
Leurs innovations en matière de design et d’architecture sont remarquées par la presse, comme ici dans le quotidien Le Siècle du 3 juin 1912 :
L’immeuble du 26 rue Vavin est la première construction parisienne à gradins. Le projet comporte des magasins de commerce en rez-de-chaussée sur la rue Vavin. La demande de permis de construire est déposée le 5 juin 1912 par la Société anonyme des maisons à gradins formée par les deux architectes avec quelques amis.
Le premier projet, comportant neuf étages, est rejeté le 17 juin 1912. Les architectes démontrent alors que l’immeuble ne dépasse pas le gabarit, même s’il est plus haut que le voudrait l’usage. La pente des gradins est parfois en deçà du gabarit, et permet un angle d’ensoleillement et un volume d’air plus important qu’une élévation traditionnelle. Sensible à l’argument, l’architecte-voyer* renvoie le deuxième projet, comportant sept étages, en Commission supérieure de Voirie (avec avis favorable). Celle-ci accorde une tolérance le 5 juillet 1912, sous réserves de réalisation d’un contrat de cours communes avec le propriétaire du terrain mitoyen, et de l’avis du Directeur des services d’architecture, Louis Bonnier. Celui-ci reconnaît l’intérêt du projet, mais refuse l’autorisation.
Le 11 septembre 1912, Sauvage et Sarazin présentent l’ultime mouture du projet : « […] Nous n’avons modifié que les coupes et plans des deux derniers étages, de façon à rentrer strictement dans les gabarits qui sont imposés par les règlements. Enfin, il y a eu une modification au plan du terrain […]. Il n’y a donc plus aucune raison de passer un contrat de cours communes […] ». Le projet est adopté le même jour.
Les travaux de construction sont endeuillés par l’accident de l’ouvrier maçon Henri Boulenger, 40 ans, tombé d’un étage élevé de l’immeuble. Dans leur édition du 16 septembre 1913, Le Figaro parle du sixième étage, tandis que Le Gaulois mentionne le quatrième.
Le 25 mai 1914, l’immeuble achevé est certifié conforme. L’ouvrage est salué notamment dans L’Humanité du 28 juillet 1914.
Construit en béton armé, recouvert de carreaux en grès émaillé blanc de la maison Hippolyte Boulenger et Cie (qui fournit le réseau du Métropolitain), l’immeuble comporte ascenseurs, monte-charge, chauffage central, nettoyage par le vide, etc. L’absence de murs porteurs permet toutes transformations intérieures. Les chambres de domestiques, sur cour, sont au même étage que l’appartement des maîtres. Aucun staff, ni cheminée, ni glace ne décore les appartements.
Toujours selon les idées « hygiénistes » de l’époque, la céramique permettait de laver les façades à grande eau. L’utilisation de céramique devait aussi protéger le béton, matériau nouveau dont on ne connaissait pas la résistance au vieillissement.
Au centre de l’édifice, un vaste volume central est censé abriter des salles d’escrime, des salles de gymnastique, des bibliothèques ou des ateliers d’artiste. Il n’en sera rien. A la place Henri Sauvage y installe en 1919 son agence d’architecture. L’écrivain Paul Nizan (1905-1940) et le peintre, designer et dessinateur Francis Jourdain (1876-1958) y résideront également.
Francis Jourdain rue Vavin, Robert Doisneau, 1956 pic.twitter.com/iwz0ge5MMm
— archistar (@archistar1) August 22, 2017
Les façades et toitures sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 15 janvier 1975.
*Les architectes-voyers exercent des fonctions techniques ou administratives dans les domaines de l’architecture, de l’environnement, de l’urbanisme, de la construction, de l’aménagement foncier et urbain. Ils sont en charge de la voirie et des équipements urbains.
Les sources de cet article : « L’invention du système des immeubles à gradins. Sa genèse à visée sanitaire avant sa diffusion mondiale dans la villégiature de montagne et de bord de mer » de Pierre-Louis Laget (In Situ, 24 | 2014, mis en ligne le 18 juillet 2014), le site de la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’article de Comœdia (1er sept. 1922), « Exposition Henri Sauvage » par l’institut français d’architecture (Colonnes, N° 6 — Septembre 1994), planches du supplément à la Construction moderne, n°51.
Merci pour cet article très intéressant.
A noter qu’Henri Sauvage est, parmi d’autres réalisation, l’architecte du cinéma parisien Gambetta, 6 rue Belgrand dans le 20è arrondissement
Merci Axel pour cette info. Évidemment je suis immédiatement allée voir sur https://salles-cinema.com/paris/mk2-gambetta, pour découvrir à quoi il ressemble 😀
Merci
De rien
C’était magnifique. Merci pour partager avec nous!
Merci Maryam d’avoir pris le temps de lire l’article et de laisser un commentaire.