Eugène Atget vers 1890 (crédit photo : anonyme – source : BnF).
Longtemps j’ai cru que le photographe Atget était américain et qu’il faisait partie de ces artistes émigrés à Paris au début du 20e siècle. Je prononçais même son nom à l’anglaise. Pourtant Eugène Jean Auguste Atget, dit Eugène Atget (1857-1927), est né le 12 février 1857 à Libourne, en Gironde, dans une famille très modeste d’artisans.
Marchand de journaux sur la place de Rennes, avec l’ancienne gare de l’Ouest, à Montparnasse, en 1898 (crédit : Eugène Atget – source : Gallica – BnF).
Je connaissais ses photographies émouvantes des métiers de Paris sur lesquelles des anonymes posent avec l’attirail de leur profession, ainsi que les images des rues de la capitale avant les grands travaux d’urbanisation, de précieux documents réalisés de manière quasi systématique qui sont autant de témoignages d’un Paris disparu. Je ne savais pas qu’il vouait une passion pour le théâtre et encore moins qu’il avait été mousse.
En découvrant qu’il a habité près de trente ans dans le quartier Montparnasse, au 17 bis rue Campagne-Première (14e arr.), j’ai eu envie d’investiguer.
Marine, théâtre ou peinture ?
Orphelin à l’âge de cinq ans, Eugène Atget est élevé par ses grands-parents maternels. Après sa scolarité, il s’embarque très tôt comme mousse dans la Marine marchande. En 1878, il s’installe à Paris avec l’intention de devenir acteur. Il tente une première fois sans succès d’entrer au Conservatoire nationale de musique et d’art dramatique et commence une carrière d’acteur. Il débute en parallèle son service militaire qui dure à l’époque cinq ans. En 1879, il réussit à entrer au Conservatoire et fait la connaissance d’André Calmettes (1861-1942), acteur, qui restera toute sa vie son ami. Menant de front ses études d’acteur et le service militaire, il échoue à l’examen final du Conservatoire en 1881. Atget passe un an au régiment de Tarbes. En 1882, il est libéré de ses obligations militaires avec un an d’avance et revient à Paris. Il publie une feuille humoristique intitulé Le Flâneur qui aura quatre numéros et dans lesquels il fait quelques dessins.
Eugène Atget joue dans une troupe des troisièmes rôles en banlieue parisienne et en province et fréquente les peintres et les artistes. D’ailleurs il s’essaie aussi à la peinture. En 1886, il rencontre Valentine Compagnon (1847-1926), elle aussi actrice, qui partagera sa vie jusqu’à sa mort.
« Cour de maison avec linge séchant », peinture de Eugène Atget (source : Musée Carnavalet, Wikimedia commons)
… Ça sera la photographie
En 1887, victime d’une affection des cordes vocales, il est contraint d’abandonner la pratique du théâtre. En 1888, il s’installe dans la Somme et c’est probablement là qu’il commence à photographier. De retour à Paris en 1890, il décide d’être photographe professionnel, inscrit sur sa porte « Documents pour artistes » et fait publier dans la Revue des Beaux-Arts, en février 1892, une annonce décrivant son travail : “Paysages, animaux, fleurs, monuments, documents, premiers plans pour artistes, reproductions de tableaux, déplacements. Collection n’étant pas dans le commerce”.
Carte de visite de Eugène Atget vers 1892 (source : Exposition Eugène Atget, Voir Paris, 2021)
Loueur de bateaux au jardin du Luxembourg, dans la série « Vie et métiers à Paris », en 1898 ou 1899 (crédit : Eugène Atget – source : Gallica – BnF)
En 1897, il commença la prise de vue systématique des quartiers anciens de Paris et de ses environs, organisant son travail en séries thématiques telles que Petits métiers de Paris, L’Art dans le vieux Paris ou Paris pittoresque.
À partir de ces séries, Atget confectionne des albums destinés à la vente. Ces albums sont constitués de feuilles de papier pliées puis brochées, comportant des fentes taillées en biais dans lesquelles Eugène Atget glisse des tirages de 22 x 18 cm.
Il vend ses « documents pour artistes » à des peintres tels que Derain ou Utrillo mais aussi et surtout à des institutions telles que la Bibliothèque nationale et le musée Carnavalet qui lui achètent des milliers d’épreuves entre 1898 et 1927.
En 1898, Atget emménage rue Campagne-Première (14e arr.), dans le quartier du Montparnasse.
A l’aube du 20e siècle, Atget photographie les éléments décoratifs des façades, des balcons, des portes, puis travaille sur les cours, les escaliers, les cheminées et les intérieurs d’hôtels particuliers.
Pendant la première Guerre mondiale, Atget ne prend progressivement plus de photographies et entrepose ses négatifs sur verre dans la cave de son immeuble afin de les protéger des risques de bombardements. Après la guerre, il reprend la photographie.
La postérité
En 1920, Paul Léon (1874-1962), le directeur des Beaux-Arts achète sa collection sur l’art du vieux Paris et le Paris pittoresque, soit 2 621 négatifs pour 10 000 francs.
A la même époque, Atget rencontre Man Ray (1890-1976), peintre et photographe américain, arrivé à Paris depuis peu et qui habite dans la même rue que lui. L’américain lui achète une quarantaine d’images dont quatre sont publiées en 1926 dans La Révolution surréaliste.
Plusieurs images d’Eugène Atget sont publiées dans la Révolution surréaliste du 15 juin 1926, comme celle en couverture (source : Gallica-BnF)
En 1925, l’assistante de Man Ray, Berenice Abbott (1898-1991) découvre les photographies d’Atget et lui rend régulièrement visite pour lui acheter des tirages.
En 1927, Atget vient se faire tirer le portrait dans le studio de Berenice Abbott au 44 rue du Bac (7e arr.).
Berenice Abbott was deeply influenced by the work of Eugène Atget. Read more about their artistic relationship here: https://t.co/wVx8ymcyRu pic.twitter.com/DY6egOOw38
— Huxley-Parlour Gallery (@huxleyparlour) November 25, 2018
Eugène Atget décède chez lui le 4 août 1927. André Calmettes, son ami de toujours, s’occupe de la succession. Berenice Abbott achète en 1928, 1 787 négatifs, les albums et plusieurs milliers de tirages qui restaient chez Atget. Elle emporte ce fonds documentaire aux États-Unis où elle le fait connaître auprès de la génération de Walker Evans (1903-1975). Son statut d’ancêtre et de précurseur de la modernité est consacré par l’acquisition en 1968 de la collection de Berenice Abbott par le Museum of Modern Art (MoMA) de New-York. Aux États-Unis, Atget a considérablement influencé certains photographes tels que Berenice Abbott, Walker Evans, Lee Friedlander (1934-2002) ou Gary Winogrand (1928-1984). C’est peut-être pour cela que j’ai longtemps cru qu’il était américain.
En savoir plus
Exposition Eugène Atget, Voir Paris
À partir des collections du musée Carnavalet ‑ Histoire de Paris, l’exposition présentée à la Fondation HCB est le fruit d’un long travail de recherche entrepris conjointement par les deux institutions. Le résultat est une exposition exceptionnelle autour de l’œuvre d’Eugène Atget (1857-1927), figure atypique et pionnière de la photographie.
Fondation HCB, du 3 juin au 19 septembre 2021 - Plus d'infos
Exposition virtuelle Eugène Atget
Je vous recommande vivement l'exposition virtuelle sur Eugène Atget, réalisée en 2007 par la Bibliothèque nationale de France (BnF). On y trouve de précieuses informations sur sa vie et son œuvre, ainsi que de nombreux clichés représentatifs de son travail. Le site propose également un dossier pédagogique bien utile pour l'éducation aux images.
Accédez au site
Eugène Atget
La personnalité singulière d'Eugène Atget (1857-1927) est devenue légendaire. Sans avoir reçu de formation, il embrasse la profession de photographe après s'être essayé, sans grand succès, à divers métiers. On peut considérer que ses œuvres marquent les origines de la photographie «documentaire» du XXe siècle.
Ouvrage collectif édité par Gallimard à l'occasion de l'exposition au Musée Carnavalet (18 avril-29 juillet 2012, Paris).
Les sources pour cet article : « An Imager Of Paris » (The Chicago Tribune and the Daily News, New York, 4 novembre 1928), « A New Mythology » (The Chicago Tribune and the Daily News, New York, 10 mars 1929), « Le centenaire de la photographie » (Marianne, 11 janvier 1939), « Eugène Atget » (Les Cahiers du cinéma, janvier 1983), le fonds Eugène Atget sur Gallica-BnF avec plus de 7400 images, les études du site « L’histoire par l’image« , « La photographie au tournant du siècle du Pictorialisme à Eugène Atget » sur le site du Musée d’Orsay, « Atget, figure réfléchie du surréalisme » par Guillaume Le Gall (Études photographiques, mai 2000).
Cette vie à rebondissements est extrêmement palpitante et démontre que prendre des clichés parisiens qui permettent de figer son relationnel et ses merveilleux goûts pour des clichés historiques.
Ayant vécu au 101 Rue du Bac pendant 18 ans, je n’avais jamais appris que le 44 avait été fréquenté par ce génial photographe.
C’est émouvant
J’aurais adoré assister à cette séance photo d’Eugène Atget dans le studio de Berenice Abbott.
Par contre j’ai côtoyé Robert VATTIER , Romain GARY, Jacques CHIRAC, la petite fille CADOUDAL, les d’ANDIGNÉ, MANDAT GRANCEY, et bien d’autres familles de la noblesse française.
Sans oublier LIPP et les 2 magots, et tous les lieux de fête de Saint Germain des Près qui m’ont rempli de souvenirs toujours présents avec de multiples rencontres éphémères chez Régine et chez Castel.
On était spontanés à l’époque.
Une époque bien révolue.
Merci Philippe d’avoir partagé ces souvenirs avec nous.
Vraiment passionnant ce document, je ne connaissais pas du tout ce photographe, merci pour ce partage !
Merci pour la fidélité !
Êtes-vous certain qu’Atget est entré au Conservatoire ? Je pensais qu’il n’y avait aucune preuve de cela.
Merci pour votre travail.
Bonjour Yannick,
Merci d’avoir pris le temps de lire l’article.
J’ai trouvé l’info dans l’article de Guillaume Le Gall sur le site de la BnF (http://expositions.bnf.fr/atget/arret/02.htm). Avez-vous une autre source ?
Bonne journée,