Le bal Bullier

Au carrefour de l’Observatoire à Paris, en lieu et place de l’immeuble du Crous, se trouvait à la fin du 18e siècle le Bal Bullier aussi appelé la Closerie des lilas…

Estampe représentant des couples de danseurs au Bal Bullier (source : BnF – Gallica)

Depuis la construction du mur des fermiers généraux à la fin du 18e siècle et afin d’éviter de payer des taxes en entrant à Paris, de nombreuses guinguettes s’établissent aux portes de Paris, comme La Californie dont je vous ai déjà parlé. D’autres lieux de divertissement se trouvent intramuros comme le bal de la Grande chaumière, fondé en 1787, situé au croisement des boulevards Montparnasse et Raspail ou le bal Bullier, aussi appelé La Closerie des lilas, situé au carrefour de l’Observatoire et qui nous intéresse aujourd’hui.

Sur ce plan du quartier Montparnasse en 1859, le trait bleu représente le mur des fermiers généraux érigé juste avant la révolution entre 1784 et 1790 (source : Wikipedia). A noter, la gare de l’Ouest est intramuros et la gare de Sceaux est extramuros.
(1) Le bal Bullier ou Closerie des Lilas (2) Le Bal de la Grande chaumière (3) La Californie.

De la Chartreuse au Prado d’été

Les noms de Bullier ou de La Closerie des lilas vous disent peut-être quelque chose puisque deux brasseries-restaurants ont encore aujourd’hui cette dénomination à Montparnasse. Vous les trouverez au croisement du boulevard du Montparnasse, des rues d’Assas et Notre-Dame des champs et de l’avenue de l’Observatoire, entre les 14e et le 6e arrondissements de Paris.

Pourtant à l’origine la Closerie des lilas et le bal Bullier étaient un même lieu et se trouvait en face. Il était rattaché administrativement au 5e arrondissement, mais intellectuellement à Montparnasse.

On a peut-être du mal à l’imaginer aujourd’hui mais au milieu du 19e siècle, le carrefour est très animé et fréquenté essentiellement par les étudiants du quartier latin. Dans les années 1840, il y a deux bals en titre au quartier latin : la Grande Chaumière, à la hauteur des 112 à 136 boulevard du Montparnasse, dirigée par le Père Lahire, un colosse ancien grenadier de la garde impériale et la Chartreuse située sur l’emplacement des jardins de l’ancienne Chartreuse de la rue d’Enfer, près de l’Observatoire et régentée par le sieur Carnaud. Le terrain était beaucoup plus bas que la chaussée du Luxembourg ou que le boulevard du Montparnasse si bien qu’on était obligé de descendre un rampe assez raide pour accéder à la salle de bal, une vaste rotonde (certains parlent de tente marocaine) ouverte de touts côtés sur un jardin et entourée de ceps de vigne. Des statues en plâtre représentant les neufs muses servaient d’ornements et supportaient les lampes-Carcel(1) qui servaient à éclairer le lieu. Tous les ans, à la fin septembre, Carnaud donnait une grande Fête des vendanges.

Malgré tous ses efforts, Carnaud met la clé sous la porte en 1847. Dans l’ouvrage « La closerie des lilas : quadrille en prose » Alexandre Privat d’Anglemont fait une description bien nostalgique du décor et de l’ambiance : « C’était bien, par ma foi, le bal le plus original de Paris. […] Tout y était original : la musique, les musiciens, les instruments de l’orchestre, le père Carnaud lui-même et jusqu’aux beaux yeux et au charmant sourire de la toute jolie Mme Carnaud. Les danses qui se dansaient là étaient uniques ; les toilettes des femmes ne se rencontraient nulle autre part, et les airs des quadrilles étaient particuliers. […] Et maintenant cette Chartreuse, où ont commencé Rigolette, Marie Delille, Cécile, Maria et toutes les grandes drôlesses en réputation, est, hélas bien loin de nous ».

Qui est François Bullier ?

Né le 14 décembre 1796 dans une famille aisée, François Bullier reçoit une éducation assez complète. Il est mis en apprentissage, à 13 ans, chez un lampiste-ferblantier de la rue du Temple. On le dit vaillant à la tache et travailleur. A l’âge de 18 ans, il est chef d’atelier. A l’occasion d’un bal public, on lui offre la place de préposé aux quinquets(2) (le système d’éclairage) au bal de la Chaumière, dirigé par le père Lahire. Il deviendra l’inspecteur du bal.

François Bullier (1796-1869) vers 1855 (crédit : Alexandre Pierre Bertrand – source : Musée Carnavalet)

En 1842, à 46 ans, il acquière le Prado, le fameux bal où l’on dansait l’hiver, fondé par Venaud en 1810 sur l’ile de la Cité. Désirant annexer à ce premier établissement un bal d’été, il négocie avec Me Pierrouette un bail avantageux et à longue échéance, et ouvre en 1847 sur l’emplacement de l’ancien bal de La Chartreuse laissé à l’abandon par Carnaud, La Closerie des lilas (il y aurait planté 1 000 pieds de lilas). Ce nom a été choisi en écho à celui d’une pièce de théâtre qui fait fureur à ce moment-là : La Closerie des Genêts (1846), un drame en 5 actes en prose de Frédéric Soulié.
Dans un premier temps on y danse d’avril à octobre, et en hiver la clientèle s’en retourne au Prado.

Ainsi on parle du Prado d’été à la barrière Mont-Parnasse et du Prado d’hiver sur la place du Palais de justice, comme en témoigne cette affiche éditée en 1841 (source : Gallica – BnF)

Affiche pour le bal champêtre du jeudi 13 mai 1847 à la Closerie des lilas / Jardin Bullier. On note que l’entrée est d’un franc pour les cavaliers et libre pour les dames (source : Musée Carnavalet).

Au 31 avenue de l’Observatoire, on accède au bal Bullier par un portail monumental. Ce portail a changé d’aspect au fil du temps.
Lorsque Bullier reprend la Chartreuse en 1847, la décoration orientale est à la mode et il faut des lumières à éblouir tous les yeux, des gerbes de gaz et des couleurs criardes. Autrefois reléguée dans un coin, l’entrée de l’établissement est alors placée au centre du mur de façade et une porte de style Alhambra est installée.

Vues stéréoscopiques avec « effet diorama » (trous d’épingle et bandes de couleur au verso) de l’entrée du bal Bullier, avenue de l’Observatoire à Paris, 6e arr., en 1868 (crédit : Charles Gaudin – source : musée Carnavalet)

Son propriétaire continue à l’agrandir et en 1850, il s’inspire de l’Orient et orne les bosquets de lampes à gaz en forme de gerbes et de girandoles(3) en verre de toutes les couleurs. On y propose des animations : le jeu de billard et le jeu de quilles, le tir à l’arc ou au pistolet.

Différentes vues du décor du Bal Bullier issues de vues stéréoscopiques (photos : Charles Gaudin – source : Musée Carnavalet)

À cette époque, le bal Bullier ouvre tous les jours, pour de la balançoire, des promenades dans les allées et les bosquets, et des jeux de plein air. À partir de 1859, le lieu n’ouvre plus que les soirs des dimanche, lundi et jeudi et se recentre sur le bal.

Estampe de la Closerie des lilas, jardin Bullier (source : Gallica-BnF)

En 1860, le Prado est démoli pour laisser la place au tribunal de commerce. François Bullier se recentre sur La Closerie des Lilas qui peu à peu prend le nom de son propriétaire : le bal Bullier.

L’endroit est surtout réputé comme étant beaucoup moins cher que le bal Mabille et aussi par le fait que le bal est ouvert toute l’année. Clara Fontaine, Rigolette, Céleste Mogador y dansèrent d’une façon échevelée. La mazurka et la scottish remplaçaient le quadrille et la valse qui avait été supplantée par la polka et le chahut-cancan.

En juin 1869, des affiches placardées annoncent que le Bal Bullier sera fermé le 24 juin pour cause de décès de son propriétaire. Le quartier Latin est en deuil, le père Bullier a cassé sa pipe à l’âge de 73 ans, quelques mois après son épouse, Marie Jeanne Eugénie Espanet(4).

Décédé le 22 juin 1869, François Bullier repose dans un caveau du cimetière Montparnasse, 15e division (crédit : Les Montparnos, février 2021)

La gérance du Bal Bullier était assurée depuis six ans déjà par son neveu Théodore Bullier qui hérite d’une coquette somme (on parle de quatre millions). Mais le terrain sur lequel se trouve le bal appartient à une communauté religieuse et le bail se termine en 1871, sans possibilité de renouvellement. Des pourparlers sont en cours pour déplacer le bal sur un autre site, lorsque la guerre éclate.

Le buste de François Bullier veille sur les convives de la grande salle du Bal Bullier.

Pendant la guerre de 1870, l’avenue de l’Observatoire est déserte, l’ancienne Closerie est plongée dans l’obscurité… les lilas sont coupés ! Les locaux sont réquisitionnés pour héberger une ambulance, une sorte d’hôpital de campagne. Les cris de joie et les fou-rires des danseurs sont remplacés par les plaintes des blessés. Comme les obus prussiens tombent dans la salle, les blessés sont transportés en urgence à l’ambulance de Saint-Germain-l’Auxerrois.
La guerre finie, c’est la Commune. Une poudrière, qui se trouve en bordure du jardin du Luxembourg et à laquelle les fédérés mettent le feu, manque d’anéantir l’établissement. Théodore Bullier fait construire une galerie circulaire pour consolider la salle ébranlée par l’explosion.

Le calme revenu, les universités rouvrent leurs portes et les étudiants retrouvent le chemin de Bullier qui reprend ses activités.

En 1883, Théodore Bullier passe la main à messieurs Moreau frères qui deviennent les directeurs du bal public, sans doute l’un des plus anciens de Paris.

Gravure du jardin extérieur de La Closerie des Lilas, 1891 (crédit : Henri Valentin).

En 1895, un bas-relief en terre cuite sculptée et émaillée est mis en place pour le fronton de l’entrée principale. Il représente un coq gaulois debout sur les emblèmes des Facultés. Avec, en dessous, inscrite la phrase latine Saltavit et placuit (dansé et décidé). Encore en dessous, sont représentées des scènes festives illustrant l’intérieur du bal. En particulier, au milieu, deux étudiants portant la faluche, encadrant une jolie jeune fille et dansant le cancan.

Dans le journal Le Matin (22 mars 1936), on peut lire que le sculpteur Grégoire, mandaté par les patrons de Bullier, aurait représenté à gauche le peintre Marcel-Lenoir(5) et sa danseuse habituelle, au centre un garçon de café avec les traits du sénateur Bérenger(6), à côté de lui Willette, le neveu du dessinateur, s’esbaudissant en des entrechats provocants, et à droite, l’architecte Tessier.

L’auteur de chansons et interprète Georges Millandy (1870-1964) écrit : « Le vieux bal de la Closerie des Lilas, aménagé à l’orientale, tenait de la mosquée et de la pagode avec ses girandoles de couleur et ses arcades en carton peint. Le décor était ridicule, mais quand nous arrivions là en quête de tendresse, la vieille salle nous paraissait belle comme un palais des mille et une nuits. Un orchestre haut en couleur où éclataient les cymbales et rutilaient les cuivres jetait sur tout cela une gaieté canaille ».

Le Bal Bullier connait des hauts et des bas et manque de fermer à plusieurs reprises. Pourtant dans Le journal amusant du 7 décembre 1907, on peut lire que « c’est toujours au Bal Bullier que l’on passe les plus agréables soirées. Car le joyeux établissement de la rive gauche a su garder sa vieille renommée de bonne gaité pour ses galas des jeudis et ses fêtes des samedis et dimanches« .
Jusqu’en 1914, tous les jeudis Sonia Delaunay et son mari Robert se rendent au Bal Bullier, dont Sonia fera plusieurs tableaux en 1913 : Le Bal Bullier conservé en Suisse, de moyen format, et Le Bal Bullier de Paris, de format panoramique (95 × 390 cm).

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Au Bal Bullier, Sonia Delaunay porte ses premières robes simultanées et Robert, son mari, un costume du même style conçu par sa femme. Les Delaunay font sensation en dansant le tango. Guillaume Apollinaire fait du couple Delaunay au Bal Bullier de véritables stars. Dans un article publié le 1er janvier 1914 au Mercure de France sous le titre Les Réformateurs du costume, le poète écrit : « Il faut aller voir à Bullier, le jeudi et le dimanche, M. et Mme Robert Delaunay, peintres, qui sont en train d’y opérer la réforme du costume. L’orphisme simultané a produit des nouveautés vestimentaires qui ne sont pas à dédaigner. »

Mais la France connait une nouvelle période de conflit. Le bal est réquisitionné pendant la guerre de 1914–1918 par l’intendance militaire pour la fabrication des uniformes.
Il rouvre ses portes en 1920 sous les deux noms de Bal Bullier ou Closerie des lilas. Il se convertit au tango et au jazz et suit l’influence du mouvement dada dans sa décoration et ses attractions.

Au début du 20e siècle le bal Bullier fait peau neuve et son portail s’orne de fleurs (crédit : Albert Harlingue / Roger-Viollet – source : Paris en images)

Durant les années folles de l’entre-deux-guerres, le Bal Bullier accueille notamment le mémorable bal de la Horde. Organisé chaque année par les artistes, sculpteurs et peintres de Montparnasse au profit de leurs caisses de bienfaisance, le Bal de la Horde permet au public de danser au rythme de nouvelles danses et de côtoyer acteurs et actrices du music-hall.

Le Bal de la Horde de 1926 (crédit : Gaumont Pathé Archives – source : Lumni)

Après avoir été un temps salle de réception, 1935 marque le début de la fin du Bal Bullier. Le 30 juillet, c’est la fermeture de Bullier. Les gérants payaient encore les loyers, mais n’avaient plus les moyens de payer les contributions dues au fisc (200 000 francs de dette). Le propriétaire du terrain obtient la fermeture du bal et l’expulsion de ses directeurs. Pour défaut de paiement, une partie du mobilier est vendu aux enchères à l’hôtel Drouot le 11 septembre 1935.

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Comme on peut le constater sur cette coupure de presse de septembre 1935, le fronton du Bal Bullier a encore changé. Le coq est toujours là, mais les fleurs ont été remplacées par une enseigne Bullier en lettres capitales, et surtout une large bâche barre le portail et annonce le futur du lieu.

Un temps, il est envisagé d’y construire la plus grande piscine-patinoire de Paris. Le projet est concédé aux « Piscines de France ». Pour en permettre la construction, Bullier est démoli. Dans Le Petit journal (8 mars 1936), on peut lire « Le célèbre Bal Bullier n’est plus. La pioche vient de jeter bas la longue muraille du côté du Boul’ Mich’. D’ici peu, il n’en restera plus rien. »

Une piscine à Bullier ! de quoi rincer toute la couleur de Montparnasse !

Le Journal (9 novembre 1943)

Mais les « Piscines de France » ne peuvent boucler le financement de leur projet. Le terrain est laissé à l’abandon.
A la vielle de la guerre, Le Matin (16 mai 1939) relate dans ses pages que « des sans-logis ont pris l’habitude de passer la nuit dans les caves encore existantes de l’ancien bal Bullier » :

En attendant la piscine promise, le terrain devient un stade pour pratiquer le basket-ball, le tennis ou pour courir le cent mètres.

L’emplacement de l’ancien Bal Bullier a été terrassé pour laisser place à une sorte de stade (crédit : anonyme, 1943)

Après guerre, le projet prend un autre forme. On peut lire dans L’Aurore (31 décembre 1951) qu’un restaurant universitaire sera organisé « sur l’emplacement de Bullier, où un immeuble de onze étages permettra de loger de nombreux étudiants. »

De nos jours, le Centre Jean-Sarrailh, dépendant du Crous de Paris, comporte divers services pour les étudiants, notamment une résidence et un restaurant universitaire qui porte toujours le nom de Bullier. Son adresse actuelle est 39, avenue Georges Bernanos, dans le 5e arrondissement.

Peut-être que la prochaine fois que vous passerez au carrefour de l’observatoire vous aurez une petite pensée pour ce lieu disparu qui pendant près d’un siècle a rythmé la vie du quartier latin et de Montparnasse, et qui aujourd’hui encore est fréquenté par les étudiants.

Plus de cent ans séparent ces deux images du carrefour de l’Observatoire aussi appelé carrefour de Port-Royal, prise en 1917, en haut, et en 2021, en bas. Sur la photo du haut à droite, on remarque le portail monumental du Bal Bullier qui a été remplacé par l’immeuble du CROUS sur l’image du bas.

(1) La lampe-Carcel est un éclairage, inventé par l’horloger français Bernard Guillaume Carcel (1750-1812), très utilisé au 19e siècle.
(2) Le quinquet, ou lampe à la Quinquet, est un type de lampe à huile inventée en 1780 par le physicien et chimiste genevois Ami Argand (1750-1803), et perfectionnée par le pharmacien français Antoine Quinquet (1745-1803).

(3) Une girandole est un candélabre orné de pendeloques de cristal.
(4) Marie Jeanne Eugénie Espanet est décédée à son domicile, 3 carrefour de l’Observatoire, le 29 décembre 1868 à l’âge de 66 ans. Son neveu ferme le Bal Bullier le 31 décembre 1868. En effet Théodore Bullier ne veut pas qu’on danse dans son établissement lorsqu’un membre de sa famille qui lui est chère décède (Le Charivari, 5 janvier 1869).

(5) Le peintre Marcel-Lenoir (1872-1931) avait son atelier rue Notre Dame des champs.
(6) René Bérenger (1830-1915), sénateur pendant près de 40 ans, dirige une campagne sévère pour le respect des bonnes mœurs, qui lui vaut le sobriquet de « Père la Pudeur ». Le procès qu’il suscita contre l’impudicité du Bal des Quat’z’Arts dégénéra en émeutes de 1893 au Quartier latin.

Les sources de cet article : « La closerie des lilas : quadrille en prose » (1848) de Alexandre Privat d’Anglemont, le chapitre « Le prado » dans « Les bals d’hiver. Paris masqué » (1848) par Auguste Vitu, « Le bal Bullier » par Albert Vizentini (Le Charivari, 19 septembre 1867), « Le quartier latin » par G. Randon (Le journal amusant, 13 juillet 1872), « Le bal Bullier » par Mario (Le Soir, 13 janvier 1895), « The Real Latin Quarter » (1901) par F. Berkeley Smith, « Un bal d’étudiants (Bullier) » (1908), « Ballade pour le los de l’ex-Bal Bullier » par Xavier Roux (Excelsior, 12 février 1911), « La mort du Bullier » par Jean Bayet (Le Gil Blas, 27 août 1911), l’article de Guillaume Apollinaire (Mercure de France, 1er janvier 1914), « La peinture simultaniste » par Marc Vromant (Comœdia, 2 juin 1914), « De la polka au fox-trott » par André Warnod (L’Avenir, 13 novembre 1920), le chapitre sur « Le carrefour de l’Observatoire » dans le livre « Montparnasse, hier et aujourd’hui » (1927) par Jean Émile Bayard, « Adieu Bullier » (Le petit bleu de Paris, 13 mars 1935), « Faute d’acheteur la vente du bal Bullier a été remise à une date ultérieure » (Le Matin, 14 mars 1935), « Des souvenirs de gravats » par José Bruyr (L’Européen, 17 mai 1935), « Rodolphe et Mimi n’iront plus à Bullier » par Pierre Apesteguy (Le Jour, 5 août 1935), « Le mobilier du bal Bullier a été vendu aux enchères » (Le Quotidien, 12 septembre 1935), « Nageons, Nageons » par Suzanne Albarran (La République, 26 septembre 1935), « Dernier regard sur les vieux bals de Paris » par G. J. Gros (Le Monde illustré, 28 septembre 1935), « Bals d’étudiants » par Jean Lecoq (Le Petit Journal, 8 mars 1936), « Adieu Bullier » par Edmond Campagnac (Le Matin, 22 mars 1936), « Un terrain vague… ci-gît Bullier » par Paul-Louis Chaux (30 avril 1942), « Le bal est mort… vive le stade » par Jean Romeis (23 septembre 1943), « La maison-gymnase universitaire Bullier n’est toujours qu’un terrain vague » par Jean-François Devay (Combat, 5 avril 1950), « Ce soir nous irons danser en robe et gilet simultanés : Sonia Delaunay et le bal Bullier », l’émission de la Fabrique de l’histoire (2 décembre 2014), « Le bal Bullier, QG de la nuit », l’épisode de la série « Invitation au voyage » (Arte, 12 janvier 2021) et les sites de la Société historique du 6e arrondissement, de l’Histoire par l’image, de la faluche.info.

Un hôtel particulier à l’abri des regards

Vous avez peut-être déjà remarqué l’hôtel particulier enlisé dans un immeuble de rapport à l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue de Vaugirard, mais connaissez-vous son histoire ?

L’Hôtel de Turenne, rue de Vaugirard à l’angle du boulevard Montparnasse (6e arr.) dessiné par Léon Leymonnerye (1803–1879), en 1848 (source : CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris).

Au croisement du boulevard Montparnasse et de la rue Vaugirard, j’ai toujours été intriguée par l’ancien hôtel particulier en pierre de taille qui a été surélevé de trois étages et dont la façade est cachée par un bâtiment moins élevé, qui fait l’angle.

Angle du boulevard Montparnasse et de la rue de Vaugirard (crédit : Les Montparnos, juillet 2021)

On peut entrevoir la façade de l’hôtel particulier lorsqu’on se rend à la hauteur du 25 boulevard du Montparnasse, où l’on trouve un portail en fer forgé et une étroite ruelle privée. Il ne m’en fallait pas plus pour investiguer.

La ruelle privée du 25 boulevard du Montparnasse laisse entrevoir la façade de l’ancien hôtel particulier (6e arr.) (crédit : Les Montparnos, juillet 2021)

Lorsqu’on consulte la carte interactive de l’histoire du bâti Parisien, on constate que cet hôtel particulier a été construit avant 1800, tandis que le bâtiment qui en cache la façade s’est élevé là entre 1801 et 1850.

La carte interactive de l’histoire du bâti Parisien

J’apprends par la même occasion qu’il s’agit de l’Hôtel de Turenne ou de Scarron référencé dans la base Mérimée. Sur la plateforme ouverte du patrimoine du Ministère de la culture, le bâtiment est également dénommé l’Hôtel du Duc de Vendôme. Difficile de s’y retrouver entre toutes ces appellations.

Dessin à la plume de la façade sur jardin de l’hôtel particulier du 25 boulevard Montparnasse (6e arr.), réalisé en 1910 par Henri Chapelle (1850-1925) à partir de document ancien (source : CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris).

L’origine de l’hôtel particulier ?

En 1734, Michel-Étienne Turgot (1690-1751), alors à la tête de la municipalité parisienne, en tant que prévôt des marchands, confie à Louis Bretez (16..-1738), membre de l’Académie de Peinture et de Sculpture et professeur de perspective, le soin de lever et de dessiner le plan de Paris et de ses faubourgs.
Par contrat, il lui est demandé une observation de grande précision et une reproduction très fidèle, il dispose même d’un mandat de visite l’autorisant à entrer dans les hôtels, les maisons et les jardins.
De 1734 à 1736, il parcourt donc les rues de Paris, pénètre, muni de son laissez-passer, dans les cours des propriétés privées, dessine, îlot après îlot, façades, jardins et rues.

Détail du plan de Turgot, levé et dessiné par Louis Bretez entre 1734 et 1736, sur lequel est représenté l’hôtel particulier et son jardin, juste dans le prolongement de la future avenue du Maine (crédit : Michel Étienne Turgot – source : BnF – Gallica).

Grace au travail titanesque de Louis Bretez et de son équipe, on peut voir sur le plan de Turgot que l’hôtel particulier qui nous intéresse existait déjà en 1734. L’entrée se faisait au 132 de la rue de Vaugirard et il avait une sortie par les jardins sur la rue du Cherche-Midi.

On ne peut qu’admirer le souci du détail qu’a apporté Louis Bretez à la réalisation du plan de Turgot (crédit : Michel Étienne Turgot – source : BnF – Gallica).

En remontant encore un peu le temps, on repère une construction à l’angle de la rue de Vaugirard et du Cours du Midy (l’actuel boulevard du Montparnasse) sur le plan de Roussel de 1730. Je n’ai pas trouvé de plan plus ancien qui représente aussi les constructions de l’époque, mais cela ne veut pas dire qu’il n’en n’existe pas.

Détail du plan de Roussel réalisé en 1730. L’emplacement de l’hôtel particulier est repéré par le rond bleu. On note également le monticule qui a donné son nom au quartier, le Mont Parnasse (source : BnF – Gallica)

Sur le plan de Jouvin de Rochefort représentant Paris en 1672, à l’emplacement de l’hôtel particulier qui nous intéresse, on trouve une belle propriété clôturée au bout du faubourg Saint-Germain qui avait pour périmètre à l’Est, la rue de Vaugirard, au Nord, la rue de Bagneux, (l’actuelle rue Jean Ferrandi) et à l’Ouest, la rue du Chasse Midi (l’actuelle rue du Cherche-Midi). Par ailleurs au Sud, c’étaient des champs, les Cours du Midy (les actuels boulevards des Invalides et du Montparnasse) n’y étant pas encore tracés. Ils ne l’ont été qu’à partir de 1701.

Détail du plan de Paris en 1672, réalisé par Jouvin de Rochefort (source : BnF – Gallica)

Les différents propriétaires

Le bâtiment a été construit par le duc César de Vendôme (1594-1665)1 pour en faire sa petite-maison, où le maître et ses amis donnèrent leurs soirées galantes et leurs fastueuses orgies.
Vers 1670, il est acheté au nom d’un conseiller au Parlement. Une dame d’allure discrète et mystérieuse, élevant plusieurs enfants, s’y installe avec de nombreux domestiques qu’on dit muets.

La consultation du « Guide pratique à travers le vieux Paris » (1923) du Marquis de Rochegude et Maurice Dumolin (p. 462) permet d’en apprendre davantage sur les propriétaires successifs de cet hôtel particulier au n°25 du boulevard du Montparnasse : « Hôtel d’un sieur Thomé2, intéressé aux fermes générales et mari d’une femme de chambre de Mme de Montespan (1669), où Mme Scarron éleva, très probablement, les enfants du roi et de la marquise (1670-1674). »

Cette courte vidéo résume la vie de Madame de Maintenon, née Françoise d’Aubigné et veuve du poète Paul Scarron (1610-1660).

Dès 1669, Françoise d’Aubigné (1635-1719) est choisie par Madame de Montespan (1640-1707), favorite de Louis XIV, pour être la gouvernante de leurs enfants illégitimes. La veuve Scarron accepte seulement sur ordre formel du roi. De la liaison entre la favorite et le roi naîtront sept enfants adultérins3. La chose étant voulue secrète, on installe donc une sorte de pouponnière, rue de Vaugirard, à l’écart de la Cour et des regards indiscrets, où ils vivront jusqu’à leur légitimation le 20 décembre 1673.
Quand Mme de Montespan ressentait les premières douleurs de l’accouchement, Françoise d’Aubigné, qui n’a pas encore le titre de Mme de Maintenon, allait à Versailles prendre le nouveau-né, qu’elle cachait sous son écharpe, elle-même se cachant sous un masque et prenait un fiacre, pour revenir à Vaugirard et rentrer par la porte de derrière. Chaque enfant avait sa nourrice particulière.
Il semble que le roi Louis XIV y soit venu incognito rendre visite à ses enfants et c’est dans ces conditions que la veuve Scarron gagne la confiance et l’affection royales. Albert l’Eschevin en parle de manière peu élogieuse dans l’édition du 1er juillet 1895 du journal Le Soir : « Cette femelle de Tartufe, intrigante, féline, perverse avec des airs de prude sut prendre le roi à Mme de Montespan, sa protectrice. »

Allégorie de la musique par le peintre français, Antoine Coypel (1661-1727), avec Françoise d’Aubigné et cinq des enfants naturels de Louis XIV et Madame de Montespan, vers 1684 (source : Wikimedia commons)

Mais le secret était quelque peu éventé. Le 4 décembre 1673, Madame de Sévigné (1626-1696) écrit à sa fille : « Nous soupâmes encore hier avec Mme Scarron et l’abbé Têtu chez Mme de Coulanges. Nous trouvâmes plaisant de l’aller ramener à minuit au fin fond du faubourg Saint-Germain, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne, dans une grande et belle maison où on n’entre point ; Il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements.« 

Pour les services rendus auprès des enfants, Françoise d’Aubigné reçoit 300 000 livres du roi de France, ce qui lui permet d’acheter les terres et le château de Maintenon et obtient le droit d’en prendre le nom avec le titre de marquise. Une fois les enfants de Mme de Montespan et de Louis XIV légitimés et de retour à Versailles, la maison est vendue. L’hôtel particulier passe de 1719 à 1727, au Grand-Prieur Philippe de Vendôme (1655-1727), arrière-petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, après son départ de la maison du Temple, puis à Louis de Bréhan, comte de Plélo (1699-1734) de 1727 à 1735.

Au lendemain de son mariage, le comte de Plélo, y passe sa lune de miel avec son épouse Louise-Françoise Phélypeaux de la Vrillière (1707-1737). Le brigand Cartouche (1693-1721) et sa bande envahissent la maison. A la tête de ses domestiques, de Plélo réussit à les mettre en fuite.
Avant de rejoindre sa garnison, il dédie une poésie à sa femme qui débute par « Jours heureux que je passe en cette solitude, Ne précipitez point un trop rapide cours. »

L’hôtel particulier passe ensuite au marquis de Vilaines en 1740, à la famille de la Tour-d’Auvergne, puis est donné à la demoiselle Rey et à son fils naturel Godefroy de Follainville en 1778. Finalement il est saisi comme bien d’émigré et vendu en 1806. Plusieurs décennies plus tard, la maison qui appartient au chimiste Lucas, devient l’atelier du sculpteur Alfred Boucher (1850-1934). Le graveur, peintre et illustrateur Léopold Flameng (1831-1911) y a également demeuré à la fin de sa vie. Vous vous souvenez peut-être qu’il a notamment fait le dessin de la grande salle de La Californie à Montparnasse. Le 25 boulevard du Montparnasse aurait abrité différents artistes au fil des ans, car il semble que ce fût également l’atelier du peintre Paul-Elie Ranson (1861-1909).

Jusqu’à nos jours

Je n’ai pas pu déterminer avec certitude à quelle époque le pavillon est enlisé dans un immeuble de rapport, mais il semble que cela soit survenu à la fin du 19e siècle à en croire l’article du journal Le Soir en date du 1er juillet 1895 : « Chaque jour des coins du vieux Paris disparaissent, on vient de démolir en partie et d’enserrer en de hautes bâtisses monotones et bêtes une vielle maison qui a son histoire. Elle est bien inconnue des Parisiens. Sise au boulevard Montparnasse, presque au coin de la rue Vaugirard, elle est aujourd’hui défigurée par des raccords et des ajoutures, mais du jardin on peut en admirer encore la haute et sobre architecture, le style robuste et fort, l’allure imposante et sévère, ses macarons superbes.« 

Quelques uns des macarons visibles (photos : Les Montparnos)

Sur une carte postale ancienne, on note qu’à l’emplacement de l’actuel magasin « Art et Fenêtres », il y avait la « Rôtisserie de Montparnasse ».

Sur cette carte postale ancienne, on reconnait, à droite, le bâtiment du 25 bd du Montparnasse flanqué de ses deux portails en fer forgé (zones bleues) et on devine le début de la façade en pierre de taille de l’hôtel particulier.
L’un des deux portails en fer forgé du 25 boulevard du Montparnasse (6e arr.) dessiné par Léon Leymonnerye, en 1874 (source : CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet, Histoire de Paris) et pris en photo de nos jours (crédit : Les Montparnos, juillet 2021). Vous noterez quelques petites différences…

L’entrée au 132 rue de Vaugirard, représentée sur le dessin en tête de cet article, a disparu. Concernant la façade sur jardin il est difficile de se rendre compte de nos jours, il faudra se contenter de la photographie de 1917 (ci-dessous).

Vue de la façade latérale, côté jardin, du 25 boulevard du Montparnasse (6e arr.) en novembre 1917 (crédit: Charles Joseph Antoine Lansiaux – source : CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

C’est d’ailleurs cette façade sur jardin qui a fait l’objet d’une inscription de l’hôtel du boulevard du Montparnasse, dit hôtel de Turenne ou hôtel de Scarron au titre des monuments historiques, par arrêté du 29 mars 1928.
Il est aujourd’hui une demeure privée, que l’on peut entrapercevoir au 25 boulevard du Montparnasse dans le 6e arrondissement de Paris.

(photos : Les Montparnos)
La ruelle privée du 25 boulevard du Montparnasse au début du XXe siècle à gauche (crédit : Charles Léger – source : Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP) et de nos jours, à droite (crédit : Les Montparnos, juillet 2021).

1 Fils illégitime d’Henri IV, roi de France, et de Gabrielle d’Estrées, César de Bourbon (1594-1665) est légitimé dès 1595 et pourvu en 1598 du duché de Vendôme par son père.
2 Le premier enfant tenu secret (1669-1672) serait, selon les sources, une fille, Louise Françoise, ou un garçon de prénom inconnu, puis naissent Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine (1670-1736), Louis-César de Bourbon, comte de Vexin, abbé de Saint-Germain-des-Prés (1672-1683), Louise Françoise de Bourbon, Mademoiselle de Nantes (1673-1743), Louise Marie Anne de Bourbon, Mademoiselle de Tours (1674-1681), Françoise Marie de Bourbon, la seconde Mademoiselle de Blois (1677-1749) et Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737).
3 Pierre Thomé de Lesse (1649-171.) est trésorier des écuries du roi en 1683, fermier général de 1687 à sa mort. Il épouse en 1685 Françoise Paradis, fille d’un avocat lyonnais.

Les sources de cet article : « Paris qui s’en va – La maison de Mme de Maintenon » (Le XIXe siècle, 1er mars 1892), « Une maison historique » (Le Soir, 1er juillet 1895), l’article de M. Gréard sur Madame de Maintenon dans le « Dictionnaire de pédagogie » (1884), « Guide pratique à travers le vieux Paris » (1923) du Marquis de Rochegude et Maurice Dumolin (p. 462), « Vieux logis ! vieux souvenirs ! » (Le XIXe siècle, 21 décembre 1901), « La vie de château au temps jadis – Mme de Maintenon chez elle » (Le Figaro, 8 avril 1931), « Mon village… Le boulevard du Montparnasse » (La France au travail, 29 mars 1941), « Chronique historique : Madame de Maintenon » (Journal des débats politiques et littéraires, 28 octobre 1942), le site de la Société historique et archéologique du 14e arrondissement de Paris, la notice de l’Hôtel de Turenne ou de Scarron dans la base Mérimée, l’article sur la Maison aux cornues du site Paris Promeneurs, le Fonds Thomé de France archives, le bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France (1925), « Amours royales et impériales » (1966, p. 247-248) de Renée Madinier, le site du Château de Maintenon.

Nos voisins, les arbres

Le saviez-vous, il y a plus de 200 000 arbres dans les rues, les espaces verts et les équipements municipaux parisiens. Retour en images sur une déambulation autour des essences du quartier Montparnasse.

Paris compte plus de 110 000 arbres sur la voie publique. On les appelle les arbres d’alignement. La volonté est d’en augmenter le nombre, mais seulement si les sites réunissent les critères pour accueillir les arbres dans de bonnes conditions.

Régulièrement la mairie de Paris propose des visites guidées gratuites animées par l’Agence d’écologie urbaine de la Direction des espaces verts et de l’environnement de la ville. Le dimanche 25 juillet 2021, à l’initiative de la mairie du 14e arrondissement, la visite avait pour thème « Les arbres des rues du quartier Montparnasse« . Résumé en images…

La gestion des arbres parisiens

La plantation des arbres suivent différentes logiques. On a longtemps préféré des allées d’arbres de même essence et de même taille comme cet alignement du jardin du Luxembourg.

Les marronniers taillés au cordeau du jardin du Luxembourg et de l’avenue de l’Observatoire (Photo : Les Montparnos, octobre 2013)

Le service de l’arbre et des bois de la ville de Paris fait parfois le choix, en tenant compte du sol et de l’ensoleillement, de mélanger des essences de familles différentes, ce qui évite la transmission des maladies entre les arbres. Choisir des essences étrangères permet de sélectionner des arbres résistant à un climat continental très marqué mais qui n’abritent pas autant de biodiversité que les arbres originaires d’Ile-de-France et donc sont moins sensibles aux parasites locaux. Les arbres plantés à Paris proviennent soit des pépinières municipales (1/3), soit de pépinières françaises ou étrangères (2/3).

Lorsqu’un arbre est planté sur la voie publique, il arrive généralement en motte. Un cerclage en métal ou un cadre en bois peuvent être installés autour du tronc pour protéger la croissance de l’arbre.
Vous verrez parfois un tuyau jaune qui sort de terre près du tronc des jeunes arbres. Pendant les trois premières années de plantation, ce drain agricole permet d’amener l’eau d’arrosage jusqu’au bas de la motte favorisant ainsi la croissance des racines. Ensuite le drain sera bouché pour éviter l’évaporation et le dessèchement.

Le tuyau jaune est un drain agricole qui permet de conduire l’eau d’arrosage jusqu’au pied de la motte des racines de l’arbre (photos : Les Montparnos, juillet 2021)

Pour survivre en milieu urbain, l’arbre doit relever plusieurs défis. Le volume de terre sur lequel pousse l’arbre peut être insuffisant ou pauvre. Par ailleurs lorsque la terre au pied de l’arbre est trop tassée, l’air et l’eau s’infiltrent difficilement. Les grilles qui encerclent les pieds des arbres ont été installées pour permettre l’infiltration de l’eau, mais malheureusement ça n’est pas la solution idéale. Une autre solution est parfois d’enlever le bitume entre deux arbres pour faciliter l’infiltration de l’eau dans la terre. Des revêtements perméables sont également à l’étude, affaire à suivre…
Si la végétation est trop dense autour du tronc, elle s’accapare l’essentiel de l’eau qui du coup ne parvient qu’en quantité insuffisante aux racines de l’arbre. Ces mêmes racines peuvent aussi avoir du mal à se frayer un chemin dans le sous-sol parisien très encombré par toutes les canalisations et autres galeries du métro. En ce moment on voit beaucoup se développer des arrangements floraux au pied des arbres, mais sachez que si le niveau de la terre est remontée pour accueillir ces nouvelles plantations, jusqu’à enterrer le collet de l’arbre, cela peut le faire mourir.

Toute agression sur le tronc endommage les vaisseaux conducteurs et interrompt la circulation de la sève. Ces blessures constituent la porte d’entrée à de nombreux micro-organismes capables d’entraîner la mort de l’arbre (photos : Les Montparnos, juillet 2021)


L’arbre peut subir d’autres types de stress, comme des écarts de températures importants ou l’accentuation des effets de la chaleur, mais également des agressions, comme l’arrachage de son écorce, des chocs dus à la circulation ou même le déversement de liquide polluant à son pied (si si ça arrive).

Sur la voie publique, les arbres ne peuvent être laissés jusqu’à leur sénescence naturelle, car le vieillissement peut engendrer des chutes, aussi, sauf cas particulier, un arbre parisien est généralement là pour 60 à 80 ans. 

Quelques unes des essences repérées

L’observation des feuillages, fruits, fleurs, écorces et silhouettes des arbres que vous croiserez lors de vos déambulations parisiennes vous permettra de remarquer qu’il y a de nombreuses essences différentes dans nos rues, en fait plus d’une centaine à Paris. Pour notre part, la déambulation a débuté à partir de la station de métro Raspail, pour s’achever rue Victor Schoelcher.

Principales étapes de la visite guidée du 25 juillet 2021
Au 18e siècle de nombreuses essences ont été importées de la région de Pékin, comme le sophora japonica ou le cédrèle toona (ci-dessus) qui a la particularité d’avoir des feuilles roses au printemps (photos : Les Montparnos, juillet 2021 et avril 2019)
Les fruits du Pterocarya sont de très petites noix vertes entourées de deux ailes semi-circulaires et groupées en épis pendants de 40 à 50 cm de long environ (photo : Les Montparnos, juillet 2021)
A l’angle de la rue Poinsot, un Albizia, aussi appelé arbre de soie en raison de ses fleurs en plumeau. Il a la particularité de supporter le calcaire actif du sol (photos : Les Montparnos, juillet 2021)
Le Paulownia doit son nom à Anna Pavlowna, princesse des Pays-Bas, fille du tsar Paul Ier de Russie (Photo : Les Montparnos, juillet 2021)
Les tilleuls donnant sur la place de Catalogne (photos : Les Montparnos, octobre 2020 et juillet 2021)
Il y a peu d’arbres fruitiers en dehors des parcs et jardins. Pourtant rue Jean Zay, on trouve plusieurs poiriers à fleurs qui produisent des fruits comestibles mais âpres (photos : Les Montparnos, juillet 2021)
Près de l’entrée du cimetière Montparnasse, rue Froidevaux, on trouve plusieurs ormes. Cette essence a failli disparaitre à cause de la graphiose, une maladie fongique (Photo : Les Montparnos, juillet 2021)
Alignement de charmes sur la rue Victor Schœlcher. Particularité : le charme est marcescent, c’est-à-dire que les feuilles, bien qu’inactives, ne tombent pas en automne. Au printemps, les nouvelles feuilles font tomber les anciennes (Photos : Les Montparnos, juillet 2021)

J’espère que la lecture de cet article vous permettra de porter un autre regard sur les arbres qui nous entourent, comme ça a été le cas pour moi après cette visite que je vous recommande quelque soit votre quartier.



La carte d’identité de chaque arbre parisien
Envie de connaitre le type d'arbre qui est en bas de chez vous ? Consultez la base de données informatisée sur tous les arbres d'alignement de Paris. Cette application permet un suivi de tous les arbres du patrimoine arboré parisien (alignements, jardins, cimetières, écoles et crèches, établissements sportifs…). Chaque arbre est suivi par sa "carte d'identité informatique" regroupant toutes les informations concernant sa date de plantation, les arrosages successifs, les élagages, l’état sanitaire (état physiologique, plaies, champignons, chocs) pour faciliter le diagnostic des arbres dangereux et fait l’objet d’un suivi régulier.
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Les arbres remarquables de Paris
L’arbre remarquable se distingue par sa singularité, sa morphologie, son identité ou encore son rôle social. Cette distinction lui permet d’entrer au panthéon du patrimoine naturel, culturel ou paysager. Les quelques 191 spécimens remarquables répertoriés à Paris appartiennent à 52 essences d'arbres différentes. Y en a-t-il un près de chez vous ? 
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Pour en savoir plus sur la gestion des arbres parisiens, consultez le site de la ville de Paris, qui donne notamment le planning des interventions d’entretien, d’abattage ou de plantation des arbres, pour les infos sur le plan « Paris Pluie » c’est par . Retrouvez toutes les visites guidées proposées par la Ville de Paris sur Que faire à Paris.

La Californie à Montparnasse

Au 19e siècle, pour éviter les taxes sur les marchandises rentrant dans la capitale, de nombreuses guinguettes et gargotes s’installent aux portes de Paris. L’une d’elle, La Californie, sise entre la chaussée du Maine et le boulevard Edgar Quinet, était célèbre pour ses repas aux prix modiques…

La grande salle de La Californie dessinée en 1859 par Léopold Flameng (source : Musée Carnavalet)

Cette histoire débute au début du 19e siècle, à l’époque où Paris ne compte encore que douze arrondissements et est encerclé par le mur des fermiers généraux, limite qui permet de récolter, aux différentes barrières, la taxe sur les marchandises entrant dans la capitale. Extra-muros, l’embarcadère du Maine (ancien nom de la gare de chemin de fer) est mis en service en septembre 1840 et la gare de l’Ouest le remplace intramuros à partir 1852. Ce n’est qu’au 1er janvier 1860 que les limites de Paris sont étendues aux anciennes fortifications de Thiers(1). Un certain nombre de communes sont annexées, en totalité ou en partie à la ville de Paris qui va passer de 12 à 20 arrondissements. Ainsi le petit Montrouge et Plaisance vont former le 14e arrondissement de Paris.

Avant l’annexion, pour éviter cet impôt, de nombreuses gargotes s’établissent au-delà des barrières de Paris. Celle qui nous intéresse aujourd’hui se trouve près des barrières Montparnasse et Maine.

Le Père Cadet

Né à la Lande d’Airou (Manche) vers 1796, Gilles Cadet est tout d’abord ouvrier maçon. On le décrit comme un Hercule. Dans Le Gaulois on apprend qu’en 1838, il se marie à Paris avec la veuve d’un boucher de la chaussée du Maine (l’actuelle avenue du Maine). D’un document d’état civil, je déduis que son épouse est Pauline Thérèse Peigné, née vers 1806. A la tête d’un petit capital, il l’utilise pour fonder au n° 11 de cette chaussée (actuel 41-43 avenue du Maine), La Californie.

Dans « Paris qui s’efface » (1887), Charles Virmaitre (1835-1903) décrit ainsi le Père Cadet (p. 240) : « Ce n’était pas un philanthrope de carton comme le bazardier de l’Hôtel-de-ville. Il était réellement désintéressé, car non seulement il vendait bon marché, mais il distribuait gratuitement, sans affiches et sans réclames trois cents soupes et autant de portions par jour« .

Entre 1848 et 1850, Gilles Cadet est maire républicain de Montrouge. Le Gaulois rapporte dans ses colonnes une histoire se déroulant en 1848 :

Un jour, un radical à tous crins se présente à la mairie, demandant le citoyen Cadet ; on l’introduit dans le cabinet du maire.
– Citoyen, dit-il…
M. Cadet l’interrompt dès le premier mot et lui dit :
– Est-ce au citoyen Cadet ou au maire que tu parles ?… Si c’est au citoyen Cadet, je n’ai rien à dire ; mais si c’est au maire : chapeau bas !
Et joignant le geste à la parole, il saisit le chapeau du voyou et le jette de l’autre côté de la salle.

Le Gaulois, 21 février 1875

Grâce aux actes de mariage retrouvés en ligne, je sais que Gilles et Pauline ont au moins eu deux enfants. Le 2 décembre 1861, ils marient Pauline Marie Joséphine, leur fille de 20 ans, et le 19 février 1874 Paul Louis Philippe, leur fils de 29 ans.

Le réfectoire des pauvres

Peu après la révolution de février 1848, Gilles Cadet fonde au Petit-Montrouge, à l’enseigne de La Californie, un restaurant populaire à bon marché, où rapidement vont se retrouver les ventres affamés à la bourse plate. Le nom de l’établissement est certainement une allusion aux chercheurs d’or et à la ruée vers la Californie qui s’est amorcée à partir de 1848(2).

« Faut-il être dindon, pour croire de pareils canards ! », dessin de Charles-Edouard de Beaumont réalisé entre 1848 et 1850 (source : Musée Carnavalet)

Pour avoir une description de La Californie, il faut croiser les textes contemporains ou posthumes à la gargote du Père Cadet. On peut lire le chapitre que lui a consacré Alfred Delvau (1825-1867) dans « Paris qui s’en va et Paris qui vient » édité en 1860. C’est d’ailleurs dans cet ouvrage que l’on trouve la gravure de Léopold Flameng (1831-1911) en tête de cet article :

« Quand on sort de Paris par la barrière Montparnasse, […] on a devant soi une Gamaches permanente, c’est-à-dire une collection aussi variée que nombreuse de cabarets, de popines, de gargotes et autres buvettes : Les Mille Colonnes, Richefeu, les Deux-Edmond, le Grand Vainqueur, etc. En prenant le boulevard à droite, on longe rapidement quelques maisons jaunes, à persiennes vertes, à physionomie malsaine et débraillée; puis, on arrive à une allée boueuse, bordée d’un côté par un jeu de siam et, de l’autre côté, par une rangée de vieilles femmes qui débitent, moyennant un sou la tasse, une façon de brouet noir qu’elles voudraient bien faire passer pour du café. C’est l’Estaminet des pieds humides […]. Au bout de cette boue est la Californie, c’est-à-dire le réfectoire populaire et populacier de cette partie de Paris.« 

Peut-être que ces plans vous aideront à vous situer en suivant la description à partir de la barrière du Mont-Parnasse :

Le quartier autour des barrières du Maine et de Montparnasse en 1847, à gauche, et en 1855, à droite. On note que l’embarcadère du Maine a été remplacé par la gare de l’Ouest, intramuros. Le cercle bleu indique la zone où se trouvait approximativement La Californie.

« La Californie est enclose entre deux cours. L’une, qui vient immédiatement après le passage dont nous venons de parler, et où l’on trouve des séries de tables vermoulues qui servent aux consommateurs dans la belle saison. On l’appelle orgueilleusement le jardin, je ne sais trop pourquoi,— à moins que ce ne soit à cause des trognons d’arbres qu’on y a jetés à l’origine, il y a une dizaine d’années, et qui se sont obstinés à ne jamais verdoyer. L’autre cour sert de vomitoire à la foule qui veut s’en aller par la chaussée du Maine.
Le réfectoire principal est une longue et large salle, au rez-de-chaussée, où l’on ne pénètre qu’après avoir traversé la cuisine, où trône madame Cadet, — la femme du propriétaire de la Californie. Là sont les fourneaux, les casseroles, les marmites,tous les engins nécessaires à la confection de la victuaille.
 » (Alfred Delvau, 1860)

Dans l’ouvrage « Montparnasse hier et aujourd’hui » (1927) de Jean Emile-Bayard (1893-1943) précise qu’il y a plusieurs accès pour rejoindre La Californie. « Le fameux cabaret et restaurant populaire créé par le père Cadet […] se carrait entre la Chaussée du Maine (depuis l’avenue du Maine) et le boulevard de Vanves (aujourd’hui le boulevard Edgard Quinet). Par le passage des vaches, depuis passage Poinsot, ou par une ruelle de l’avenue du Maine ou bien encore par une étroite cour de la rue du Maine […] on accédait à La Californie ».

Plan parcellaire de la fin du 19e siècle de la zone du 14e arrondissement compris entre le boulevard du Montparnasse (en bas) et l’avenue du Maine (en haut à droite). Sur le bord droit du dessin, on reconnait la gare de l’Ouest et les rails de chemin de fer qui en partent. La zone en bleu est l’endroit où se trouvait La Californie, lorsque la rue du Départ, qui longe la gare, n’allait pas encore jusqu’à l’avenue du Maine. Notez que l’orientation de ce plan est inversée, par rapport aux plans précédents (source : Archives de Paris).

A noter, de l’autre côté de la chaussée du Maine, se trouvait le café de la Mère Saguet également fondé par le père Cadet, fréquenté parfois des littérateurs et des artistes, comme les peintres militaires Charlet et Raffet ou par l’historien journaliste Auguste Mignet (1796-1884) et le politicien Adolphe Thiers (1797-1877), mais c’est une autre histoire. (Le Gaulois, 22 février 1875)

Dans les documents déposés aux Archives de Paris par Adolphe L’Esprit (1853-1937), fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, j’ai consulté une note manuscrite reprenant des passages du Larousse, le grand dictionnaire universel du XIXe siècle (1874-1875), au mot Montparnasse : « L’établissement le plus curieux du quartier est le restaurant de La Californie qui n’est qu’un vaste hangar muni de tables et de bancs massifs. Autrefois on se défiait si bien des consommateurs que les ustensiles de table, l’assiette, et le gobelet étaient rivés au bois par une chaine de fer, ce qui n’empêchait la clientèle d’être fort nombreuse« .

Feuillet consacré à La Californie, issu de la collection Adolphe L’Esprit (source : Ville de Paris/Bibliothèque historique).

En parlant des consommateurs qui fréquentent La Californie, Delvau décrit : « Ainsi, le pauvre honnête y coudoie le rôdeur de barrières, l’ouvrier laborieux y fraternise avec le gouâpeur(3) ; le soldat y trinque avec le chiffonnier, l’invalide avec le tambour de la garde nationale, le petit rentier avec l’ouvreuse de loges. C’est un tohu-bohu à ne pas s’y reconnaitre, un vacarme à ne pas s’y entendre, une vapeur à ne pas s’y voir.« 

Dans La France du 22 février 1875, on peut lire que Victor Hugo (1802-1885) aurait déjeuné à La Californie le 18 avril 1842. Est-il venu y faire une étude de mœurs et croquer quelques profils typiques du Paris populaire pour un de ses romans ou l’une de ses pièces ? On peut l’imaginer, car c’est la période où il se heurte aux difficultés matérielles et humaines.

Au menu de La Californie

Depuis toujours La Californie est la cantine destinée « aux ouvriers, aux travailleurs des rues, aux chiffonniers et à tous les pauvres diables qui se présentent. Là moyennant dix centimes – deux sous – payés d’avance, on reçoit un plat de viande que l’on peut manger debout ou emporter dans les deux grandes salles destinées aux consommateurs. » (L’Ordre de Paris, 25 novembre 1873)

Les témoignages sur la nourriture servie à la Californie sont parfois contradictoires. Alfred Delvau écrit : « Pour entrer dans ces hôtelleries de bas étage, il faut avoir nécessité bien urgente de repaître, c’est-à-dire avoir les dents aiguës, le ventre vide, la gorge sèche et l’appétit strident. » Et poursuit : « La cuisine de la Californie a affaire à des estomacs robustes et à des palais ferrés, — et non à des gourmets et à des délicats. Tels gens, tels plats. Le populaire ne connaît qu’une chose : le fricot. » Le plat principal est donc un ragout de viande avec des pommes de terre.
Charles Virmaitre raconte en 1887 que « la nourriture était excellente et la cuisine fort propre, la mère Cadet était impitoyable à ce sujet, elle boitait outrageusement, on l’avait surnommée la mère cinq et trois font huit(4), quand elle arrivait, les cuisinières criaient tout bas [sic] : Gare v’là le gendarme !

A en croire Delvau, « 5 000 portions sont servies par jour découpées dans un bœuf, dans plusieurs veaux et dans plusieurs moutons.
8 pièces de vin,— pour aider ces 5,000 portions à descendre là où faire se doit.
1 000 setiers de haricots par an.
2 000 setiers(5) de pommes de terre,
55 pièces de vinaigre d’Orléans — ou d’ailleurs.
55 pièces d’huile à manger, dans la composition de laquelle le fruit de l’olivier n’entre absolument pour rien
« .

A La Californie, il existe un abattoir et la viande toujours fraiche est découpée sur place. Une cinquantaine de femmes s’emploient à éplucher les légumes et les ragoûts sont préparés dans des marmites aussi grandes que des cuves.

Détail de la gravure de Léopold Flameng de la grande salle de La Californie (source : Musée Carnavalet)

Alfred Delvau parlant de la gravure de Léopold Flameng qui représente le réfectoire de La Californie : « Je ne puis que constater l’exactitude de son dessin et la véracité de son récit. Il raconte bien ce qu’il a vu et ce qui est visible tous les jours à l’œil nu, — depuis neuf heures du matin jusqu’aux dernières heures de la journée. Allez-y demain, allez-y après-demain,— vous y rencontrerez les mêmes acteurs jouant la même pièce : elle est encore au répertoire pour longtemps !« 

« En tout cas, on ne saurait se montrer exigeant — vu la modicité du prix des plats. Savez-vous que pour huit sous on peut dîner — et même copieusement — à La Californie ?… »

Alfred Delvau précise en note de son article que l’annexion en 1860 des communes de la banlieue à Paris va modifier l’organisation de La Californie. Son propriétaire, M. Cadet, paye à la commune de Montrouge une redevance quotidienne de 152 francs. Une fois dans Paris, il lui faudra payer à la ville la somme de 400 francs par jour, de quoi réduire considérablement ses marges.

Dans Le Nouvelliste de Bellac du 19 octobre 1872, on apprend le décès du chef cuisinier de La Californie, nommé Baron, qui occupait les fourneaux de l’établissement depuis son origine. L’article rappelle que lors du siège de 1870, « alors que les restaurateurs, traiteurs et marchands de vin avaient épuisé toutes leurs provisions et que les marchés étaient vides, seule La Californie a tenu table ouverte jusqu’à la fin du siège ». On peut se demander ce que le chef cuisinier servait à ses clients.

Le quartier du Montparnasse près de la gare de l’Ouest entre le boulevard du Montparnasse et l’avenue du Maine en 1886, à gauche, et en 1926, à droite. Le cercle bleu est la zone dans laquelle se trouvait La Californie. On note qu’en 1886, le passage Cadet a pris le nom du propriétaire de la gargote. Sur le plan de 1926 on remarque que la rue du départ a été prolongée jusqu’à l’avenue du Maine, impliquant la destruction d’un certain nombre de bâtiment dont La Californie.

Et après…

Le Père Cadet décède le 18 février 1875. Plusieurs journaux lui rendent hommage à cette occasion, mais ne sont pas d’accord sur son âge (75 ans pour La France et 79 ans pour Le Gaulois). Il avait déjà passé le flambeau depuis la fin des années 1860.

En 1906, un décret prévoit le prolongement de la rue du Départ jusqu’à l’avenue du Maine, entrainant la destruction de plusieurs bâtiments. Dans le compte rendu de la commission du Vieux Paris du 25 mai 1907, Pierre Louis Tesson (1855-1923) rappelle l’histoire de ce pâté de maisons et de La Californie. La commission décide alors d’en prendre une photo avant sa destruction.

Grâce à l’aide des documentalistes des fonds d’archives de Paris, j’ai pu identifier la photographie qui a été prise du 41 avenue du Maine en juillet 1907.

Vue de la façade du 41 Avenue du Maine (14e arr.) en juillet 1907. L’ovale bleu indique l’accès supposé à la cour de La Californie (crédit : Eugène Gossin – source : musée Carnavalet).

De nos jours l’environnement a bien changé…

Le 43 avenue du Maine, à l’angle de la rue du Départ percée en 1909, emplacement de l’un des accès à La Californie (photo : Les Montparnos, juin 2021)

(1) L’enceinte de Thiers se situe alors entre les actuels boulevards des Maréchaux et l’emplacement du boulevard périphérique.
(2) Rien qu’en 1848-1849, 76 tonnes d’or sont extraites dans cet état des États-Unis. Référence : Philippe Jacquin, Daniel Royot, Go West ! (p. 130)
(3) Gouâpeur : gourmand, libertin, ivrogne.
(4) Expression pour évoquer la démarche bancale d’un boiteux.
(5)
Le setier est une ancienne mesure de capacité, de valeur variable suivant les époques, les régions, et la nature des marchandises mesurées. L’auteur précise que dans le cas des pommes de terre, il est de 132 kg au setier.

Les références pour cet article : « Les barrières de Paris » dans Le Siècle (20 février 1857), La Californie dans « Paris qui s’en va et Paris qui vient » (1859-1860) de Alfred Delvau, chronique dans La Patrie (15 juillet 1860), La Californie dans « Histoire anecdotique des cafés et cabarets de Paris » (1862) de Alfred Delvau , « Vulgarisation de la science » dans Le Tintamarre (15 février 1863), fait divers de vol a l’étalage dans Le Petit Journal (10 mars 1867) et dans Le Figaro (11 mars 1867), arrestation de deux malfaiteurs dans Le Soir (7 janvier 1872), brève dans Le Gaulois (21 février 1875), hommage au Père Cadet dans La France (22 février 1875) et Le Soleil (24 février 1875), « Quelques gargotes » dans Le Petit Journal (23 février 1875), une brève dans Le Soir (25 février 1875), « Coups de sifflet » dans Le Sifflet (28 février 1875), « Paris qui s’efface » (1887) de Charles Virmaitre, « Paris, promenades dans les vingt arrondissements » (1892) de Alexis Martin (p. 86), « Artistes et gens de lettres » dans Paris (8 septembre 1900), « Disparition de la Californie » dans Le Soir (30 septembre 1907), brève dans La Libre Parole (30 septembre 1907), « La vie sur les barrières » dans L’Éclair (25 avril 1909), « Soirée d’adieu au théâtre Montparnasse » dans Comœdia (30 juillet 1924), « La cité californienne, le restaurant pittoresque du père Cadet » dans L’Intransigeant (8 août 1925), Le cabaret de la Californie (1849-1869) dans « Montparnasse, hier et aujourd’hui » (1927) de Jean Émile-Bayard, « Montparnasse Again » dans The Chicago Tribune and the Daily news (21 août 1927), « Montparnasse jadis et aujourd’hui » dans La Liberté (21 septembre 1927), « A la recherche du quartier le moins cher de Paris » dans L’Ami du peuple du soir (13 mai 1932), « Les collines de Paris » dans Le Monde illustré (29 août 1936), liste des maires de Montrouge.

Expositions de l’été 2021

Après plusieurs mois de mise à la diète culturelle, vous êtes peut-être en manque de musées. Voici une sélection d’expositions en lien avec l’histoire du quartier du Montparnasse.

Hasard du calendrier, en cette période de réouverture des musées, plusieurs expositions programmées ont un lien avec le quartier Montparnasse. Notez qu’afin de respecter les mesures sanitaires, il convient de vérifier sur chaque site les conditions d’accès aux expositions. Si j’en ai oublié une, n’hésitez pas à me l’indiquer en commentaire.

Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940

L’École de Paris désigne la scène artistique constituée par des artistes étrangers provenant de toute l’Europe, mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Ce cosmopolitisme est sans précédent dans l’histoire de l’art. 

Parmi ces hommes et femmes, nombreux sont les artistes juifs venus des grandes métropoles européennes, mais aussi de l’Empire russe, qui cherchent une émancipation artistique, sociale et religieuse. Ils ne sont d’aucune « École » au sens traditionnel : ils ne partagent pas un style, mais une histoire commune, un idéal et, pour certains, un destin. Fuyant un contexte peu favorable au développement de leurs activités artistiques ou cherchant un contexte libre, moderne, de jeunes artistes convergent vers Paris, et principalement le quartier du Montparnasse, parmi eux Marc Chagall, Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani, Jules Pascin, Jacques Lipchitz,  Chana Orloff, Otto Freundlich, Moïse Kisling, Louis Marcoussis, Michel Kikoïne et Ossip Zadkine, mais également des artistes moins connus comme Walter Bondy, Henri Epstein, Adolphe Feder, Alice Halicka, Henri Hayden, Georges Kars, Léon Indenbaum, Simon Mondzain, Mela Muter et bien d’autres.

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme | 71, rue du Temple, Paris 3e arr. | 17 juin-31 oct. 2021 | site


Eugène Atget, Voir Paris

À partir des collections du musée Carnavalet, l’exposition présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson est le fruit d’un long travail de recherche entrepris conjointement par les deux institutions. Le résultat est une exposition exceptionnelle autour de l’œuvre d’Eugène Atget (1857-1927), figure atypique et pionnière de la photographie. Avant tout artisan, dont la production prolifique d’images est destinée aux artistes et amateurs du vieux Paris, c’est à titre posthume qu’Eugène Atget accède à la notoriété. Critiques et photographes perçoivent dans ses images de Paris l’annonce de la modernité. Parmi eux, Henri Cartier‑Bresson, qui cherche à l’imiter dans ses premières images.
Pour découvrir le lien avec Montparnasse, lisez l’article sur Eugène Atget.

Fondation HCB | 79, rue des Archives, Paris 3e arr. | 3 juin-19 sept. 2021 | Site


Musée Méliès, la magie du cinéma

L’exceptionnelle collection Méliès de la Cinémathèque française, issue d’un siècle de recherches, et celle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), issue d’une acquisition conséquente faite en 2004, forment un ensemble sans pareil que le public va pouvoir découvrir avec l’ouverture de ce nouveau Musée. 800 m2 flambant neufs, un périple de Montreuil à Hollywood, un voyage dans l’histoire du cinéma. Et Méliès de retrouver toute sa place, celle d’un poète génial et précurseur. Héritier d’une très longue tradition, descendant d’une pléiade de grands inventeurs, il marie science et magie et donne naissance à des images nouvelles, jamais vues auparavant, qui annoncent le sur-réalisme cinématographique cher à Cocteau et Franju, les bricolages sensationnels de Michel Gondry ou Wes Anderson, et les blockbusters de George Lucas, Steven Spielberg, James Cameron, Guillermo del Toro, Peter Jackson ou Tim Burton, autant de cinéastes qui se sont tous, un jour, revendiqués de Méliès.
Pour découvrir le lien avec Montparnasse, lisez l’article sur Georges Méliès.

Cinémathèque française | 51 Rue de Bercy, Paris 12e arr. | 19 mai-31 déc. 2021 | Site


Impasse Ronsin

Cité d’artistes à nulle autre pareille nichée dans le quartier parisien de Montparnasse, l’impasse Ronsin est à la fois un lieu artistique, de contemplation, de dialogue et de fête, mais aussi un foyer d’innovation, de création et de destruction durant plus d’un siècle. Cette ruelle se distingue par une pluralité d’identités artistiques comprenant non seulement l’avant-garde, mais aussi un large spectre de la création entre autres Constantin Brâncusi, Max Ernst, Marta Minujín, Eva Aeppli, Niki de Saint Phalle, Larry Rivers jusqu’à André Almo Del Debbio ou Alfred Laliberté. 
Proposée par le musée Tinguely, cette exposition muséale consacrée à l’impasse Ronsin présente plus de 50 artistes à travers plus de 200 œuvres réalisées dans ce lieu enchanteur. Un parcours d’exposition jalonné de salles-ateliers conçues à partir des plans originaux réserve aux visiteurs et visiteuses bien des surprises en associant de manière inédite œuvres d’art et anecdotes et en redonnant vie au Paris cosmopolite et creuset artistique.

Musée Tinguely | Paul Sacher-Anlage 2, Bâle, Suisse | 16 déc. 2020-29 août 2021 | Site


Alberto Giacometti – Une rétrospective. Le réel merveilleux

La Fondation Giacometti s’associe au Grimaldi Forum pour présenter, pour la première fois à Monaco à l’été 2021, une exceptionnelle rétrospective de l’œuvre du sculpteur et peintre Alberto Giacometti, la plus importante de ces dernières années, placée sous le commissariat d’Émilie Bouvard, directrice scientifique et des collections de la Fondation.

Espace Ravel du Grimaldi Forum | 10, avenue Princesse Grace – 98000 Monaco | 3 juil.-29 août 2021 | Site


EN BONUS

Le nouveau musée de l’histoire de Paris

Après quatre années de travaux de restauration, le plus ancien musée de la Ville de Paris rouvre ses portes le 29 mai 2021.

Musée Carnavalet | 23, rue de Sévigné, Paris 3e arr. | à partir du 29 mai 2021 | Site