Le saviez-vous, il y a plus de 200 000 arbres dans les rues, les espaces verts et les équipements municipaux parisiens. Retour en images sur une déambulation autour des essences du quartier Montparnasse.
Paris compte plus de 110 000 arbres sur la voie publique. On les appelle les arbres d’alignement. La volonté est d’en augmenter le nombre, mais seulement si les sites réunissent les critères pour accueillir les arbres dans de bonnes conditions.
Régulièrement la mairie de Paris propose des visites guidées gratuites animées par l’Agence d’écologie urbaine de la Direction des espaces verts et de l’environnement de la ville. Le dimanche 25 juillet 2021, à l’initiative de la mairie du 14e arrondissement, la visite avait pour thème « Les arbres des rues du quartier Montparnasse« . Résumé en images…
La gestion des arbres parisiens
La plantation des arbres suivent différentes logiques. On a longtemps préféré des allées d’arbres de même essence et de même taille comme cet alignement du jardin du Luxembourg.
Le service de l’arbre et des bois de la ville de Paris fait parfois le choix, en tenant compte du sol et de l’ensoleillement, de mélanger des essences de familles différentes, ce qui évite la transmission des maladies entre les arbres. Choisir des essences étrangères permet de sélectionner des arbres résistant à un climat continental très marqué mais qui n’abritent pas autant de biodiversité que les arbres originaires d’Ile-de-France et donc sont moins sensibles aux parasites locaux. Les arbres plantés à Paris proviennent soit des pépinières municipales (1/3), soit de pépinières françaises ou étrangères (2/3).
Lorsqu’un arbre est planté sur la voie publique, il arrive généralement en motte. Un cerclage en métal ou un cadre en bois peuvent être installés autour du tronc pour protéger la croissance de l’arbre. Vous verrez parfois un tuyau jaune qui sort de terre près du tronc des jeunes arbres. Pendant les trois premières années de plantation, ce drain agricole permet d’amener l’eau d’arrosage jusqu’au bas de la motte favorisant ainsi la croissance des racines. Ensuite le drain sera bouché pour éviter l’évaporation et le dessèchement.
Pour survivre en milieu urbain, l’arbre doit relever plusieurs défis. Le volume de terre sur lequel pousse l’arbre peut être insuffisant ou pauvre. Par ailleurs lorsque la terre au pied de l’arbre est trop tassée, l’air et l’eau s’infiltrent difficilement. Les grilles qui encerclent les pieds des arbres ont été installées pour permettre l’infiltration de l’eau, mais malheureusement ça n’est pas la solution idéale. Une autre solution est parfois d’enlever le bitume entre deux arbres pour faciliter l’infiltration de l’eau dans la terre. Des revêtements perméables sont également à l’étude, affaire à suivre… Si la végétation est trop dense autour du tronc, elle s’accapare l’essentiel de l’eau qui du coup ne parvient qu’en quantité insuffisante aux racines de l’arbre. Ces mêmes racines peuvent aussi avoir du mal à se frayer un chemin dans le sous-sol parisien très encombré par toutes les canalisations et autres galeries du métro. En ce moment on voit beaucoup se développer des arrangements floraux au pied des arbres, mais sachez que si le niveau de la terre est remontée pour accueillir ces nouvelles plantations, jusqu’à enterrer le collet de l’arbre, cela peut le faire mourir.
L’arbre peut subir d’autres types de stress, comme des écarts de températures importants ou l’accentuation des effets de la chaleur, mais également des agressions, comme l’arrachage de son écorce, des chocs dus à la circulation ou même le déversement de liquide polluant à son pied (si si ça arrive).
Sur la voie publique, les arbres ne peuvent être laissés jusqu’à leur sénescence naturelle, car le vieillissement peut engendrer des chutes, aussi, sauf cas particulier, un arbre parisien est généralement là pour 60 à 80 ans.
Quelques unes des essences repérées
L’observation des feuillages, fruits, fleurs, écorces et silhouettes des arbres que vous croiserez lors de vos déambulations parisiennes vous permettra de remarquer qu’il y a de nombreuses essences différentes dans nos rues, en fait plus d’une centaine à Paris. Pour notre part, la déambulation a débuté à partir de la station de métro Raspail, pour s’achever rue Victor Schoelcher.
J’espère que la lecture de cet article vous permettra de porter un autre regard sur les arbres qui nous entourent, comme ça a été le cas pour moi après cette visite que je vous recommande quelque soit votre quartier.
La carte d’identité de chaque arbre parisien
Envie de connaitre le type d'arbre qui est en bas de chez vous ? Consultez la base de données informatisée sur tous les arbres d'alignement de Paris. Cette application permet un suivi de tous les arbres du patrimoine arboré parisien (alignements, jardins, cimetières, écoles et crèches, établissements sportifs…). Chaque arbre est suivi par sa "carte d'identité informatique" regroupant toutes les informations concernant sa date de plantation, les arrosages successifs, les élagages, l’état sanitaire (état physiologique, plaies, champignons, chocs) pour faciliter le diagnostic des arbres dangereux et fait l’objet d’un suivi régulier.
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Les arbres remarquables de Paris
L’arbre remarquable se distingue par sa singularité, sa morphologie, son identité ou encore son rôle social. Cette distinction lui permet d’entrer au panthéon du patrimoine naturel, culturel ou paysager. Les quelques 191 spécimens remarquables répertoriés à Paris appartiennent à 52 essences d'arbres différentes. Y en a-t-il un près de chez vous ?
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Pour en savoir plus sur la gestion des arbres parisiens, consultez le site de la ville de Paris, qui donne notamment le planning des interventions d’entretien, d’abattage ou de plantation des arbres, pour les infos sur le plan « Paris Pluie » c’est par là. Retrouvez toutes les visites guidées proposées par la Ville de Paris sur Que faire à Paris.
Au 19e siècle, pour éviter les taxes sur les marchandises rentrant dans la capitale, de nombreuses guinguettes et gargotes s’installent aux portes de Paris. L’une d’elle, La Californie, sise entre la chaussée du Maine et le boulevard Edgar Quinet, était célèbre pour ses repas aux prix modiques…
La grande salle de La Californie dessinée en 1859 par Léopold Flameng (source : Musée Carnavalet)
Cette histoire débute au début du 19e siècle, à l’époque où Paris ne compte encore que douze arrondissements et est encerclé par le mur des fermiers généraux, limite qui permet de récolter, aux différentes barrières, la taxe sur les marchandises entrant dans la capitale. Extra-muros, l’embarcadère du Maine (ancien nom de la gare de chemin de fer) est mis en service en septembre 1840 et la gare de l’Ouest le remplace intramuros à partir 1852. Ce n’est qu’au 1er janvier 1860 que les limites de Paris sont étendues aux anciennes fortifications de Thiers(1). Un certain nombre de communes sont annexées, en totalité ou en partie à la ville de Paris qui va passer de 12 à 20 arrondissements. Ainsi le petit Montrouge et Plaisance vont former le 14e arrondissement de Paris.
Avant l’annexion, pour éviter cet impôt, de nombreuses gargotes s’établissent au-delà des barrières de Paris. Celle qui nous intéresse aujourd’hui se trouve près des barrières Montparnasse et Maine.
Le Père Cadet
Né à la Lande d’Airou (Manche) vers 1796, Gilles Cadet est tout d’abord ouvrier maçon. On le décrit comme un Hercule. Dans Le Gaulois on apprend qu’en 1838, il se marie à Paris avec la veuve d’un boucher de la chaussée du Maine (l’actuelle avenue du Maine). D’un document d’état civil, je déduis que son épouse est Pauline Thérèse Peigné, née vers 1806. A la tête d’un petit capital, il l’utilise pour fonder au n° 11 de cette chaussée (actuel 41-43 avenue du Maine), La Californie.
Dans « Paris qui s’efface » (1887), Charles Virmaitre (1835-1903) décrit ainsi le Père Cadet (p. 240) : « Ce n’était pas un philanthrope de carton comme le bazardier de l’Hôtel-de-ville. Il était réellement désintéressé, car non seulement il vendait bon marché, mais il distribuait gratuitement, sans affiches et sans réclames trois cents soupes et autant de portions par jour« .
Entre 1848 et 1850, Gilles Cadet est maire républicain de Montrouge. Le Gaulois rapporte dans ses colonnes une histoire se déroulant en 1848 :
Un jour, un radical à tous crins se présente à la mairie, demandant le citoyen Cadet ; on l’introduit dans le cabinet du maire. – Citoyen, dit-il… M. Cadet l’interrompt dès le premier mot et lui dit : – Est-ce au citoyen Cadet ou au maire que tu parles ?… Si c’est au citoyen Cadet, je n’ai rien à dire ; mais si c’est au maire : chapeau bas ! Et joignant le geste à la parole, il saisit le chapeau du voyou et le jette de l’autre côté de la salle.
Le Gaulois, 21 février 1875
Grâce aux actes de mariage retrouvés en ligne, je sais que Gilles et Pauline ont au moins eu deux enfants. Le 2 décembre 1861, ils marient Pauline Marie Joséphine, leur fille de 20 ans, et le 19 février 1874 Paul Louis Philippe, leur fils de 29 ans.
Le réfectoire des pauvres
Peu après la révolution de février 1848, Gilles Cadet fonde au Petit-Montrouge, à l’enseigne de La Californie, un restaurant populaire à bon marché, où rapidement vont se retrouver les ventres affamés à la bourse plate. Le nom de l’établissement est certainement une allusion aux chercheurs d’or et à la ruée vers la Californie qui s’est amorcée à partir de 1848(2).
« Faut-il être dindon, pour croire de pareils canards ! », dessin de Charles-Edouard de Beaumont réalisé entre 1848 et 1850 (source : Musée Carnavalet)
Pour avoir une description de La Californie, il faut croiser les textes contemporains ou posthumes à la gargote du Père Cadet. On peut lire le chapitre que lui a consacré Alfred Delvau (1825-1867) dans « Paris qui s’en va et Paris qui vient » édité en 1860. C’est d’ailleurs dans cet ouvrage que l’on trouve la gravure de Léopold Flameng (1831-1911) en tête de cet article :
« Quand on sort de Paris par la barrière Montparnasse, […] on a devant soi une Gamaches permanente, c’est-à-dire une collection aussi variée que nombreuse de cabarets, de popines, de gargotes et autres buvettes : Les Mille Colonnes, Richefeu, les Deux-Edmond, le Grand Vainqueur, etc. En prenant le boulevard à droite, on longe rapidement quelques maisons jaunes, à persiennes vertes, à physionomie malsaine et débraillée; puis, on arrive à une allée boueuse, bordée d’un côté par un jeu de siam et, de l’autre côté, par une rangée de vieilles femmes qui débitent, moyennant un sou la tasse, une façon de brouet noir qu’elles voudraient bien faire passer pour du café. C’est l’Estaminet des pieds humides […]. Au bout de cette boue est la Californie, c’est-à-dire le réfectoire populaire et populacier de cette partie de Paris.«
Peut-être que ces plans vous aideront à vous situer en suivant la description à partir de la barrière du Mont-Parnasse :
Le quartier autour des barrières du Maine et de Montparnasse en 1847, à gauche, et en 1855, à droite. On note que l’embarcadère du Maine a été remplacé par la gare de l’Ouest, intramuros. Le cercle bleu indique la zone où se trouvait approximativement La Californie.
« La Californie est enclose entre deux cours. L’une, qui vient immédiatement après le passage dont nous venons de parler, et où l’on trouve des séries de tables vermoulues qui servent aux consommateurs dans la belle saison. On l’appelle orgueilleusement le jardin, je ne sais trop pourquoi,— à moins que ce ne soit à cause des trognons d’arbres qu’on y a jetés à l’origine, il y a une dizaine d’années, et qui se sont obstinés à ne jamais verdoyer. L’autre cour sert de vomitoire à la foule qui veut s’en aller par la chaussée du Maine. Le réfectoire principal est une longue et large salle, au rez-de-chaussée, où l’on ne pénètre qu’après avoir traversé la cuisine, où trône madame Cadet, — la femme du propriétaire de la Californie. Là sont les fourneaux, les casseroles, les marmites,tous les engins nécessaires à la confection de la victuaille. » (Alfred Delvau, 1860)
Dans l’ouvrage « Montparnasse hier et aujourd’hui » (1927) de Jean Emile-Bayard (1893-1943) précise qu’il y a plusieurs accès pour rejoindre La Californie. « Le fameux cabaret et restaurant populaire créé par le père Cadet […] se carrait entre la Chaussée du Maine (depuis l’avenue du Maine) et le boulevard de Vanves (aujourd’hui le boulevard Edgard Quinet). Par le passage des vaches, depuis passage Poinsot, ou par une ruelle de l’avenue du Maine ou bien encore par une étroite cour de la rue du Maine […] on accédait à La Californie ».
Plan parcellaire de la fin du 19e siècle de la zone du 14e arrondissement compris entre le boulevard du Montparnasse (en bas) et l’avenue du Maine (en haut à droite). Sur le bord droit du dessin, on reconnait la gare de l’Ouest et les rails de chemin de fer qui en partent. La zone en bleu est l’endroit où se trouvait La Californie, lorsque la rue du Départ, qui longe la gare, n’allait pas encore jusqu’à l’avenue du Maine. Notez que l’orientation de ce plan est inversée, par rapport aux plans précédents (source : Archives de Paris).
A noter, de l’autre côté de la chaussée du Maine, se trouvait le café de la Mère Saguet également fondé par le père Cadet, fréquenté parfois des littérateurs et des artistes, comme les peintres militaires Charlet et Raffet ou par l’historien journaliste Auguste Mignet (1796-1884) et le politicien Adolphe Thiers (1797-1877), mais c’est une autre histoire. (Le Gaulois, 22 février 1875)
Dans les documents déposés aux Archives de Paris par Adolphe L’Esprit (1853-1937), fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, j’ai consulté une note manuscrite reprenant des passages du Larousse, le grand dictionnaire universel du XIXe siècle (1874-1875), au mot Montparnasse : « L’établissement le plus curieux du quartier est le restaurant de La Californie qui n’est qu’un vaste hangar muni de tables et de bancs massifs. Autrefois on se défiait si bien des consommateurs que les ustensiles de table, l’assiette, et le gobelet étaient rivés au bois par une chaine de fer, ce qui n’empêchait la clientèle d’être fort nombreuse« .
Feuillet consacré à La Californie, issu de la collection Adolphe L’Esprit (source : Ville de Paris/Bibliothèque historique).
En parlant des consommateurs qui fréquentent La Californie, Delvau décrit : « Ainsi, le pauvre honnête y coudoie le rôdeur de barrières, l’ouvrier laborieux y fraternise avec le gouâpeur(3) ; le soldat y trinque avec le chiffonnier, l’invalide avec le tambour de la garde nationale, le petit rentier avec l’ouvreuse de loges. C’est un tohu-bohu à ne pas s’y reconnaitre, un vacarme à ne pas s’y entendre, une vapeur à ne pas s’y voir.«
Dans La France du 22 février 1875, on peut lire que Victor Hugo (1802-1885) aurait déjeuné à La Californie le 18 avril 1842. Est-il venu y faire une étude de mœurs et croquer quelques profils typiques du Paris populaire pour un de ses romans ou l’une de ses pièces ? On peut l’imaginer, car c’est la période où il se heurte aux difficultés matérielles et humaines.
Au menu de La Californie
Depuis toujours La Californie est la cantine destinée « aux ouvriers, aux travailleurs des rues, aux chiffonniers et à tous les pauvres diables qui se présentent. Là moyennant dix centimes – deux sous – payés d’avance, on reçoit un plat de viande que l’on peut manger debout ou emporter dans les deux grandes salles destinées aux consommateurs. » (L’Ordre de Paris, 25 novembre 1873)
Les témoignages sur la nourriture servie à la Californie sont parfois contradictoires. Alfred Delvau écrit : « Pour entrer dans ces hôtelleries de bas étage, il faut avoir nécessité bien urgente de repaître, c’est-à-dire avoir les dents aiguës, le ventre vide, la gorge sèche et l’appétit strident. » Et poursuit : « La cuisine de la Californie a affaire à des estomacs robustes et à des palais ferrés, — et non à des gourmets et à des délicats. Tels gens, tels plats. Le populaire ne connaît qu’une chose : le fricot. » Le plat principal est donc un ragout de viande avec des pommes de terre. Charles Virmaitre raconte en 1887 que « la nourriture était excellente et la cuisine fort propre,la mère Cadet était impitoyable à ce sujet, elle boitait outrageusement, on l’avait surnommée la mère cinq et trois font huit(4), quand elle arrivait, les cuisinières criaient tout bas [sic] : Gare v’là le gendarme !
A en croire Delvau, « 5 000 portions sont servies par jour découpées dans un bœuf, dans plusieurs veaux et dans plusieurs moutons. 8 pièces de vin,— pour aider ces 5,000 portions à descendre là où faire se doit. 1 000 setiers de haricots par an. 2 000 setiers(5) de pommes de terre, 55 pièces de vinaigre d’Orléans — ou d’ailleurs. 55 pièces d’huile à manger, dans la composition de laquelle le fruit de l’olivier n’entre absolument pour rien« .
A La Californie, il existe un abattoir et la viande toujours fraiche est découpée sur place. Une cinquantaine de femmes s’emploient à éplucher les légumes et les ragoûts sont préparés dans des marmites aussi grandes que des cuves.
Détail de la gravure de Léopold Flameng de la grande salle de La Californie (source : Musée Carnavalet)
Alfred Delvau parlant de la gravure de Léopold Flameng qui représente le réfectoire de La Californie : « Je ne puis que constater l’exactitude de son dessin et la véracité de son récit. Il raconte bien ce qu’il a vu et ce qui est visible tous les jours à l’œil nu, — depuis neuf heures du matin jusqu’aux dernières heures de la journée. Allez-y demain, allez-y après-demain,— vous y rencontrerez les mêmes acteurs jouant la même pièce : elle est encore au répertoire pour longtemps !«
« En tout cas, on ne saurait se montrer exigeant — vu la modicité du prix des plats. Savez-vous que pour huit sous on peut dîner — et même copieusement — à La Californie ?… »
Alfred Delvau précise en note de son article que l’annexion en 1860 des communes de la banlieue à Paris va modifier l’organisation de La Californie. Son propriétaire, M. Cadet, paye à la commune de Montrouge une redevance quotidienne de 152 francs. Une fois dans Paris, il lui faudra payer à la ville la somme de 400 francs par jour, de quoi réduire considérablement ses marges.
Dans Le Nouvelliste de Bellac du 19 octobre 1872, on apprend le décès du chef cuisinier de La Californie, nommé Baron, qui occupait les fourneaux de l’établissement depuis son origine. L’article rappelle que lors du siège de 1870, « alors que les restaurateurs, traiteurs et marchands de vin avaient épuisé toutes leurs provisions et que les marchés étaient vides, seule La Californie a tenu table ouverte jusqu’à la fin du siège ». On peut se demander ce que le chef cuisinier servait à ses clients.
Le quartier du Montparnasse près de la gare de l’Ouest entre le boulevard du Montparnasse et l’avenue du Maine en 1886, à gauche, et en 1926, à droite. Le cercle bleu est la zone dans laquelle se trouvait La Californie. On note qu’en 1886, le passage Cadet a pris le nom du propriétaire de la gargote. Sur le plan de 1926 on remarque que la rue du départ a été prolongée jusqu’à l’avenue du Maine, impliquant la destruction d’un certain nombre de bâtiment dont La Californie.
Et après…
Le Père Cadet décède le 18 février 1875. Plusieurs journaux lui rendent hommage à cette occasion, mais ne sont pas d’accord sur son âge (75 ans pour La France et 79 ans pour Le Gaulois). Il avait déjà passé le flambeau depuis la fin des années 1860.
En 1906, un décret prévoit le prolongement de la rue du Départ jusqu’à l’avenue du Maine, entrainant la destruction de plusieurs bâtiments. Dans le compte rendu de la commission du Vieux Paris du 25 mai 1907, Pierre Louis Tesson (1855-1923) rappelle l’histoire de ce pâté de maisons et de La Californie. La commission décide alors d’en prendre une photo avant sa destruction. Grâce à l’aide des documentalistes des fonds d’archives de Paris, j’ai pu identifier la photographie qui a été prise du 41 avenue du Maine en juillet 1907.
Vue de la façade du 41 Avenue du Maine (14e arr.) en juillet 1907. L’ovale bleu indique l’accès supposé à la cour de La Californie (crédit : Eugène Gossin – source : musée Carnavalet).L’immeuble du 41 avenue du Maine en 1906. On identifie mieux l’accès à la cour de la Californie (source : Archives de Paris)
De nos jours l’environnement a bien changé…
Le 43 avenue du Maine, à l’angle de la rue du Départ percée en 1909, emplacement de l’un des accès à La Californie (photo : Les Montparnos, juin 2021)
(1) L’enceinte de Thiers se situe alors entre les actuels boulevards des Maréchaux et l’emplacement du boulevard périphérique. (2) Rien qu’en 1848-1849, 76 tonnes d’or sont extraites dans cet état des États-Unis. Référence : Philippe Jacquin, Daniel Royot, Go West ! (p. 130) (3) Gouâpeur : gourmand, libertin, ivrogne. (4) Expression pour évoquer la démarche bancale d’un boiteux. (5) Le setier est une ancienne mesure de capacité, de valeur variable suivant les époques, les régions, et la nature des marchandises mesurées. L’auteur précise que dans le cas des pommes de terre, il est de 132 kg au setier.
Après plusieurs mois de mise à la diète culturelle, vous êtes peut-être en manque de musées. Voici une sélection d’expositions en lien avec l’histoire du quartier du Montparnasse.
Hasard du calendrier, en cette période de réouverture des musées, plusieurs expositions programmées ont un lien avec le quartier Montparnasse. Notez qu’afin de respecter les mesures sanitaires, il convient de vérifier sur chaque site les conditions d’accès aux expositions. Si j’en ai oublié une, n’hésitez pas à me l’indiquer en commentaire.
Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940
L’École de Paris désigne la scène artistique constituée par des artistes étrangers provenant de toute l’Europe, mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Ce cosmopolitisme est sans précédent dans l’histoire de l’art.
Parmi ces hommes et femmes, nombreux sont les artistes juifs venus des grandes métropoles européennes, mais aussi de l’Empire russe, qui cherchent une émancipation artistique, sociale et religieuse. Ils ne sont d’aucune « École » au sens traditionnel : ils ne partagent pas un style, mais une histoire commune, un idéal et, pour certains, un destin. Fuyant un contexte peu favorable au développement de leurs activités artistiques ou cherchant un contexte libre, moderne, de jeunes artistes convergent vers Paris, et principalement le quartier du Montparnasse, parmi eux Marc Chagall, Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani, Jules Pascin, Jacques Lipchitz, Chana Orloff, Otto Freundlich, Moïse Kisling, Louis Marcoussis, Michel Kikoïne et Ossip Zadkine, mais également des artistes moins connus comme Walter Bondy, Henri Epstein, Adolphe Feder, Alice Halicka, Henri Hayden, Georges Kars, Léon Indenbaum, Simon Mondzain, Mela Muter et bien d’autres.
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme | 71, rue du Temple, Paris 3e arr. | 17 juin-31 oct. 2021 | site
Eugène Atget, Voir Paris
À partir des collections du musée Carnavalet, l’exposition présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson est le fruit d’un long travail de recherche entrepris conjointement par les deux institutions. Le résultat est une exposition exceptionnelle autour de l’œuvre d’Eugène Atget (1857-1927), figure atypique et pionnière de la photographie. Avant tout artisan, dont la production prolifique d’images est destinée aux artistes et amateurs du vieux Paris, c’est à titre posthume qu’Eugène Atget accède à la notoriété. Critiques et photographes perçoivent dans ses images de Paris l’annonce de la modernité. Parmi eux, Henri Cartier‑Bresson, qui cherche à l’imiter dans ses premières images. Pour découvrir le lien avec Montparnasse, lisez l’article sur Eugène Atget.
Fondation HCB | 79, rue des Archives, Paris 3e arr. | 3 juin-19 sept. 2021 | Site
Musée Méliès, la magie du cinéma
L’exceptionnelle collection Méliès de la Cinémathèque française, issue d’un siècle de recherches, et celle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), issue d’une acquisition conséquente faite en 2004, forment un ensemble sans pareil que le public va pouvoir découvrir avec l’ouverture de ce nouveau Musée. 800 m2 flambant neufs, un périple de Montreuil à Hollywood, un voyage dans l’histoire du cinéma. Et Méliès de retrouver toute sa place, celle d’un poète génial et précurseur. Héritier d’une très longue tradition, descendant d’une pléiade de grands inventeurs, il marie science et magie et donne naissance à des images nouvelles, jamais vues auparavant, qui annoncent le sur-réalisme cinématographique cher à Cocteau et Franju, les bricolages sensationnels de Michel Gondry ou Wes Anderson, et les blockbusters de George Lucas, Steven Spielberg, James Cameron, Guillermo del Toro, Peter Jackson ou Tim Burton, autant de cinéastes qui se sont tous, un jour, revendiqués de Méliès. Pour découvrir le lien avec Montparnasse, lisez l’article sur Georges Méliès.
Cinémathèque française | 51 Rue de Bercy, Paris 12e arr. | 19 mai-31 déc. 2021 | Site
Impasse Ronsin
Cité d’artistes à nulle autre pareille nichée dans le quartier parisien de Montparnasse, l’impasse Ronsin est à la fois un lieu artistique, de contemplation, de dialogue et de fête, mais aussi un foyer d’innovation, de création et de destruction durant plus d’un siècle. Cette ruelle se distingue par une pluralité d’identités artistiques comprenant non seulement l’avant-garde, mais aussi un large spectre de la création entre autres Constantin Brâncusi, Max Ernst, Marta Minujín, Eva Aeppli, Niki de Saint Phalle, Larry Rivers jusqu’à André Almo Del Debbio ou Alfred Laliberté. Proposée par le musée Tinguely, cette exposition muséale consacrée à l’impasse Ronsin présente plus de 50 artistes à travers plus de 200 œuvres réalisées dans ce lieu enchanteur. Un parcours d’exposition jalonné de salles-ateliers conçues à partir des plans originaux réserve aux visiteurs et visiteuses bien des surprises en associant de manière inédite œuvres d’art et anecdotes et en redonnant vie au Paris cosmopolite et creuset artistique.
Musée Tinguely | Paul Sacher-Anlage 2, Bâle, Suisse | 16 déc. 2020-29 août 2021 | Site
Alberto Giacometti – Une rétrospective. Le réel merveilleux
La Fondation Giacometti s’associe au Grimaldi Forum pour présenter, pour la première fois à Monaco à l’été 2021, une exceptionnelle rétrospective de l’œuvre du sculpteur et peintre Alberto Giacometti, la plus importante de ces dernières années, placée sous le commissariat d’Émilie Bouvard, directrice scientifique et des collections de la Fondation.
Espace Ravel du Grimaldi Forum | 10, avenue Princesse Grace – 98000 Monaco | 3 juil.-29 août 2021 | Site
EN BONUS
Le nouveau musée de l’histoire de Paris
Après quatre années de travaux de restauration, le plus ancien musée de la Ville de Paris rouvre ses portes le 29 mai 2021.
Musée Carnavalet | 23, rue de Sévigné, Paris 3e arr. | à partir du 29 mai 2021 | Site
La recherche de toiles représentant Montparnasse est l’occasion de voyager dans les courants picturaux tout en constatant les changements du quartier au fil des années.
La boutique du tonnelier, 8 rue du Montparnasse (6e arr.) dessinée par le peintre français Georges-Henri Manesse (1854-1941) en septembre 1915 (source : Musée Carnavalet).
Cet article présente une sélection de tableaux représentant différents lieux du quartier Montparnasse. La liste est loin d’être exhaustive, mais vous remarquerez que les artistes sont venus du monde entier pour vivre à Montparnasse ou peindre le quartier. S’il manque un tableau que vous appréciez tout particulièrement, signalez-le en commentaire. A la fin de l’article vous trouverez une carte qui repère les points de vue identifiables d’où ont été peints ces tableaux. Si vous le pouvez, je vous invite vivement à vous rendre sur place pour constater les changements et pourquoi pas réaliser votre propre œuvre, si le lieu vous inspire.
La place de Rennes
La place de Rennes (1907) vue par Maurice Prendergast (1858-1924), aquarelliste américain (source : WikiArt)
Devant la gare de l’Ouest, la place de Rennes (actuelle place du 18 juin 1940) à l’époque où l’on se déplaçait en omnibus à cheval, en calèche ou avec son char à bras… puis en bus. On constate que la colonne Morris, cette colonne publicitaire ronde typique du mobilier urbain parisien, a changé plusieurs fois de place, encore de nos jours, et que le tracé de circulation a été modifié depuis.
Entre 1925 et 1935, la place de Rennes, devant la gare de l’Ouest, par Max Jacob (1876-1944), peintre français (source : Musée Carnavalet).
La gare Montparnasse
Maine-Montparnasse, la station de chemin de fer de nuit (1905) par Nicolas Tarkhoff (1871-1930), peintre russe. Cet artiste a fait de nombreux tableaux de son quartier, entre la rue de Vaugirard et l’avenue du Maine, souvent depuis sa fenêtre.
La gare Montparnasse, lorsqu’elle s’appelait encore la gare de l’Ouest, que les rails passaient sur un viaduc au dessus de l’avenue du Maine, qu’on arrivait directement sur la place de Rennes.
« Gare Montparnasse – La mélancolie du départ » (1914) par Giorgio De Chirico (1888-1978), peintre italien. Gare Montparnasse (1931) par Albin Amelin (1902-1975), peintre suédois.
Le tableau de Amelin représente les trains à vapeur qui passent sur le viaduc du Maine avant d’arriver à la gare de l’Ouest. Dans le fond on devine le prolongement de l’avenue de Maine.
Le boulevard Edgar Quinet
Le boulevard Edgar Quinet en hiver (1942) et au printemps par Leonardo Benatov (1899-1972), peintre russe.
Sur ces tableaux de Benatov, représentant le boulevard Edgar Quinet à différentes saisons, on reconnait le mur du cimetière Montparnasse et l’angle de la rue Émile Richard (14e arr.).
« L’hôtel Edgar Quinet – boulevard Edgar Quinet » (1950) par Tsugouharu Foujita (1886-1968), peintre d’origine japonaise.
L’hôtel Edgar Quinet existe toujours de nos jours et le haut de sa façade n’a pratiquement pas changé, l’établissement de vins et liqueurs est devenu un restaurant avec une large terrasse et de nombreuses voitures se garent le long du trottoir.
Le boulevard Montparnasse
Le nuage du boulevard Montparnasse (1898) par Robert Henri (1865-1929), peintre américain.
Difficile de déterminer à quel niveau du boulevard Montparnasse, ce tableau de Henri a été peint. Si vous avez une idée, laissez un commentaire…
« Aux vignobles de France » (1924) par Maurice Utrillo (1883-1955), peintre français de l’école de Paris, à l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue Campagne-première.
Maurice Utrillo a déjà peint l’angle de cette rue en 1922, pas étonnant car il vient régulièrement Chez Rosalie qui est juste à côté au 3 rue Campagne-première. Le restaurant Aux vignobles de France deviendra le cabaret Le Jockey, fin 1923.
Le boulevard Raspail
Son ancien nom est le boulevard d’Enfer. En juillet 1887 il prend le nom de boulevard Raspail en hommage au chimiste et homme politique François-Vincent Raspail (1794-1878). La jonction entre les différents tronçons entre le boulevard Saint-Germain et la place Denfert-Rochereau s’est faite entre 1860 et 1906.
Mouren, Henri Laurent (n.1844 – d.1926), Percement du boulevard Raspail. (Titre factice). Musée Carnavalet, Histoire de Paris.Henry Mauren. « Percement du boulevard Raspail ». Paris, musée Carnavalet.Le percement du boulevard Raspail par Henri Laurent Mouren (1844-1926), peintre français (source : Musée Carnavalet)
Il est difficile de déterminer à quel niveau des travaux sont faits ces deux tableaux de Mouren.
Le croisement de la rue de Rennes et du boulevard Raspail (1889) vu par Henri Zuber (1844-1909), peintre paysagiste français
On note dans ce tableau de Zuber qu’au croisement avec la rue de Rennes, le boulevard Raspail arrive dans un cul-de-sac. Le boulevard Raspail n’est pas encore totalement percé. Le fronton en demi-lune sur la gauche est le bâtiment du Mont de Piété. Aujourd’hui il héberge la bibliothèque André Malraux (fermée pour travaux jusqu’en janvier 2022).
Au jardin du Luxembourg
Le jardin du Luxembourg a inspiré de très nombreux artistes. Voici une toute petite sélection de tableaux.
Au 19e siècle, le jardin du Luxembourg par Gaspard Gobaut (1814-1882), peintre français (source : BnF)« Voie à Jardin du Luxembourg » (1886) par Vincent Van Gogh (1853–1890), peintre néerlandais.« Au jardin du Luxembourg » (1887) par Albert Edelfelt (1854-1905), peintre finlandais.« Dans le jardin du Luxembourg » (1889) par Charles Courtney Curran (1861-1942), peintre américain.« Jardin du Luxembourg » (1948) par Lois Mailou Jones (1905-1998), peintre et enseignante afro-américaine.
En attendant de pouvoir retourner aux musées, lorsque la pandémie de Covid-19 sera terminée, j’espère que vous aurez apprécié cet intermède artistique. Je compte sur vous pour m’indiquer d’autres tableaux représentant des lieux du quartier que j’affectionne tout particulièrement.
Sur ce plan interactif, retrouvez les points de vue identifiables des peintres qui ont réalisé ces œuvres et constatez les changements qui se sont opérés depuis.
Et vous, vous êtes plutôt peinture ou photographie ?
La boutique du tonnelier au 8 rue du Montparnasse (6e arr.) dessinée par Georges-Henri Manesse (à gauche), en septembre 1915 (source : Musée Carnavalet) et pris en photo par Stéphane Passet en juillet 1914 (Source : Archives de la Planète, Musée Albert Kahn)L’angle du boulevard Montparnasse et de la rue Campagne-première (14e arr.), « Aux vignobles de France » peint par Maurice Utrillo en 1924 (à gauche) et la carte postale ancienne (à droite). Ce lieu devient le cabaret Le Jockey fin 1923.
Galerie Les Montparnos5 rue Stanislas, Paris 6e arr. - Site
Dès sa réouverture vous pourrez y voir l'exposition "Peinture, mon pays" consacrée à Schraga Zarfin (1899-1975), artiste biélorusse, ami d'enfance de Chaïm Soutine, et qui a rejoint Montparnasse en 1924.
NB : Cette galerie n'a aucun lien avec ce blog.
Marché de la création
Tous les dimanches, au pied de la tour Montparnasse, sur le boulevard Edgard Quinet (14e arr.), faites le plein d'art et échangez avec les artistes eux-mêmes. Et qui sait ? Vous repartirez peut-être avec une toile ou une sculpture sous le bras...
Vérifiez les horaires
Personnage haut en couleur, Kiki a été modèle, puis chanteuse de cabaret. Elle s’est essayée à la peinture, à l’écriture, et a côtoyé toute la scène artistique et culturelle du Montparnasse des années folles. En ce début du 20e siècle, elle est sans doute la figure la plus représentée sur les tableaux de l’École de Paris.
« Noire et blanche », photographie réalisée en 1926 par Man Ray et mettant en scène Kiki et un masque Baoulé (source : exposition « Man Ray » au Musée du Luxembourg, 2020).
Il est délicat de dresser, sans trahir et en quelques archives, le portrait de cette femme émancipée aux mille facettes. Née le 2 octobre 1901, Alice Ernestine Prin, plus connue sous le nom de Kiki de Montparnasse, a grandi auprès de sa grand-mère maternelle, dans la maison du 9 rue de la Charme à Châtillon-sur-Seine, en Bourgogne. Dans ses mémoires, elle raconte qu’à 12 ans sa mère la fait venir à Paris :
« C’est pas qu’on pense à me faire donner beaucoup d’instruction, mais comme je dois apprendre le métier de lino-typo, il faut que je sache à peu près mon orthographe« .
Kiki, « Souvenirs retrouvés »
Elle habite avec sa mère au 12 rue Dulac dans le 15e arr. (l’immeuble n’existe plus) et va à l’école communale rue de Vaugirard.
Lorsque le 3 août 1914, la guerre est déclarée entre la France et l’Allemagne, Alice n’a pas encore 13 ans. Elle doit exercer différents métiers pour gagner sa croute. Elle sera successivement brocheuse, fleuriste, laveuse de bouteilles chez Félix Potin, visseuse d’ailes d’avion, bonne chez une boulangère. Se révoltant contre les mauvais traitements qu’elle subit chez cette dernière, elle est renvoyée. Pour gagner de quoi vivre, elle devient modèle, posant nue chez un sculpteur. Lorsque sa mère le découvre, elle la chasse de chez elle, en plein hiver 1917. S’en suit une période très difficile de bohème durant laquelle elle atterrit à Montparnasse et est recueillie par le peintre Chaïm Soutine (1893/4-1943).
Il ne pouvait être que poète, peintre ou théâtreux. En dehors de ces trois professions, je n’admettais aucun autre mortel.
Kiki, « Souvenirs retrouvés »
Kiki, modèle
Véritable icône de l’art moderne, Kiki a posé pour les plus grands et a maintes fois été représentée en peinture, photo, dessin ou sculpture. Elle tient d’ailleurs son surnom, Kiki, de Moïse Kisling (1891-1953) avec qui elle travaillait très souvent comme modèle.
par Modigliani (1918-1919)par Gwozdecki (1920)par Mendjizky (1921)par Van Dongen (1922-1924)par Kisling (1924)par Gargallo (1928)par Krohg (1928)par Calder (1930)Kiki de Montparnasse a été modèle pour de nombreux artistes des années folles. Ici on l’a retrouve en peinture et en sculpture, mais elle a aussi été beaucoup photographiée et filmée.
En 1922 au Salon d’automne, le tableau « Nu couché à la toile de Jouy » est remarqué. S’inspirant librement de la Grande odalisque (1814) d’Ingres et de l’Olympia (1865) de Manet, ce tableau est l’un des premiers tableaux de nus d’après modèle vivant de Foujita. Et le modèle en l’occurrence est Kiki.
« Nu couché à la toile de Jouy » (1922) par Foujita, conservé au Musée d’art moderne de Paris.
En mai 1929, Alexander Calder (1898-1976) accueille une équipe de Pathé cinéma, venue le filmer dans son atelier parisien de la rue Cels (14e arr.). Elle tourne la réalisation en direct du premier portrait en fil de fer de Kiki de Montparnasse, qui pose face à l’artiste. On peut voir ces images dans la vidéo ci-dessous. Dans son autobiographie, l’artiste dit de Kiki : « Elle avait un nez merveilleux qui semblait s’élancer dans l’espace ».
On sait que Kiki n’a jamais posé pour Pablo Gargallo (1881-1934), bien que contemporain, mais cela n’a pas empêché le sculpteur espagnol de lui consacrer une de ses œuvres.
Les amours de Kiki
Pour autant qu’on sache, Maurice Mendjizky (1890-1951), peintre juif polonais, est l’un des premiers avec qui Kiki se met en ménage. Ils vécurent ensemble trois ans jusqu’à leur rupture en 1922 et le départ de Mendjisky pour Saint-Paul-de-Vence.
Avec Man Ray (1890-1976), ils se rencontrent vers 1921, lorsque le photographe débarque à Paris. Elle sera le modèle de ses photographies, films et peintures les plus emblématiques, comme pour « Le violon d’Ingres » en 1924 (photo ci-contre).
En 1929, Kiki devient la maitresse du journaliste Henri Broca (18..- 1935) fondateur de la revue Paris-Montparnasse, dans laquelle paraissent les premiers chapitres des souvenirs de Kiki et qui sombrera dans la folie.
En 1936, Kiki ouvre son propre établissement L’Oasis qui deviendra Chez Kiki, rue Vavin (6e arr.). André Laroque, pianiste et accordéoniste de ce cabaret devient son nouvel amant.
André Laroque et Kiki en 1932 (photo : Man Ray)
Kiki, peintre
Kiki de Montparnasse en 1926
Kiki côtoie de très nombreux artistes, notamment des peintres aux styles très différents, et se met elle-même à la peinture.
Du 25 mars au 9 avril 1927, Kiki expose vingt-sept de ses toiles à la galerie Au sacre du printemps (5 rue du Cherche midi, 6e arr.).
Kiki de Montparnasse et un sculpteur hongrois à la galerie Au sacre du printemps, en avril 1927. En haut à droite, on reconnait le tableau « Les lavandières » (crédit : André Kertész – source : Donation André Kertész, Ministère de la culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP)« Les lavandières », un tableau peint par Kiki en 1927 (source : Kunstmuseum Basel)
La presse de l’époque se fait l’écho de cet événement. Dans Le Soir du 26 mars 1927, on peut lire sous la plume de Pierre Loiselet « ses peintures sont pleines de paix, de joie tranquille […] le plus joli, c’est que ces belles peintures ont déjà séduit des amateurs« . The Chicago Tribune and the Daily News, New York du 27 mars 1927 décrit ainsi le travail de Kiki : « Les images de Kiki sont l’œuvre d’un enfant dont les yeux sont saisis par les couleurs vives et la disposition des objets. Qu’elle ait vu beaucoup de peintures modernes est évident, mais sa propre expression n’est pas entravée par la connaissance technique ou l’imitation […]. La simplicité absolue du résultat reflète une naïveté que l’on ne trouve que rarement aujourd’hui […]. ». Comœdia trouve que « la peinture est amusante comme Kiki elle-même » (29 mars 1927).
« La funambule » (1929) et « Le marché aux soieries à Paris » (1932), deux autres tableaux de Kiki.
Kiki, écrivain
L’année 1929 marque l’apogée de la carrière de Kiki. A 28 ans, elle se lance dans l’écriture de ses mémoires (Kiki, Souvenirs) sous l’impulsion d’Henri Broca, follement amoureux d’elle. Les premiers feuillets paraissent dans la revue Paris-Montparnasse en avril 1929 et dans le numéro de mai, le lecteur est invité à pré-acheter pour 100 francs les mémoires de Kiki en format de luxe, tiré à 250 exemplaires numérotés sur papier couché mat des papeteries Breton, ou en édition courante pour 25 francs. Le journal Comœdia annonce que Kiki signera ses mémoires au Falstaff, 42 rue du Montparnasse, le mardi 25 juin 1929 à 21h.
Elle parle dru, elle écrit de même. Par petites phrases courtes, incisives, tranchantes, – et si attendrie, parfois, – elle épingle sur chaque personnalité connue un mot, un qualificatif, une anecdote, et nous apprenons plus ainsi sur Foujita, Kisling et quelques autres, que ne pourraient le faire des volumes sur chacun d’eux.
C’est aussi dans la revue Paris-Montparnassed’août 1929 que Henri Broca publie les commentaires élogieux de la presse internationale sur les mémoires de Kiki.
Dans le Carnet du lecteur du Figaro (9 octobre 1929), Jean Fréteval écrit : « C’est un document, il brave l’honnêteté. On y trouve même de piquantes anecdotes sur des peintres en renom. […] Dissimulerons-nous que sous cette gouaillerie de la misère et de la galanterie, des pages nous ont serré le cœur ? ».
A l’occasion d’une nouvelle séance de dédicace, The Chicago Tribune and the Daily News, New York (28 octobre 1929) raconte : « La queue s’est formée dès 9 heures à l’extérieur d’une librairie du boulevard Raspail. Quand la nouvelle s’est répandue que pour 30 francs, on pouvait obtenir une copie des Mémoires de Kiki, son autographe et un baiser, les hommes oublient leurs demis, leur rendez-vous et leur dignité, et se précipitent jusque-là ».
Devant le succès, Samuel Putman décide de traduire le livre en anglais (Kiki’s memoirs). L’introduction est faite par deux de ses amis proches, Foujita et Hemingway, mais le livre est interdit aux États-Unis en raison de certaines anecdotes jugées scabreuses.
Suite à la censure le texte a été réédité sous le manteau et sous un autre titre (The Education of a French Model) par Samuel Roth.
Kiki, reine de Montparnasse
Le 30 mai 1929, la revue Paris-Montparnasse organise à Bobino sous la présidence du sous-secrétaire d’état aux Beaux-Arts, un gala de bienfaisance pour la création d’une caisse de secours alimentaires aux artistes. A la fin du spectacle, Kiki est proclamée Reine de Montparnasse et la soirée s’achève par un diner amical à La Coupole.
Kiki après son élection comme Reine de Montparnasse (photo : Mécano – source : Paris-Montparnasse, mai 1929)
Ce dessin de Fabrès, paru plusieurs mois après l’élection, représente Kiki en reine de Montparnasse. On reconnait bien son profil.
Kiki, chanteuse et danseuse de cabaret
Kiki pousse régulièrement la chansonnette au Jockey, et contribue au succès du cabaret. Comme elle n’est pas payée, elle fait tourner un chapeau et récupère jusqu’à 400 francs par soir. Le propriétaire voyant l’argent lui échapper, décide de prélever un pourcentage sur ses gains. Pour parer aux frais médicaux de sa mère malade, Kiki a besoin de trouver des cachets. Elle fait le tour des boîtes de nuits où elle chante et danse. Le 14 novembre 1930, elle débute au Concert Mayol (10, rue de l’Échiquier, 10e arr.), dans la revue Le Nu sonore.
Témoignages de Pierre Hiegel, Thérèse Treize, Youki Desnos, Man Ray, Leopold Levy, Pierre Brasseur et Emile Savitry sur Kiki de Montparnasse, le célèbre modèle des années vingt mais aussi chanteuse de music-hall, extrait du documentaire « Les heures chaudes de Montparnasse » (source : INA.fr).
En janvier 1931, elle chante à La Jungle (127 bd du Montparnasse, 6e arr.), en 1932 à L’Escale. La même année, elle a un engagement à Berlin. En 1936, elle chante Nini peau d’chien au Noël 1900 présenté au Moulin de la Galette. Elle chante aussi dans le célèbre cabaret de la rue de Penthièvre, Le Bœuf sur le toit, lieu où Man Ray expose ses photographies.
De janvier 1935 à janvier 1937, elle chante régulièrement au Cabaret des fleurs au 47, rue du Montparnasse (14e arr.). Si vous voulez entendre la voix de Kiki voici deux chansons trouvées en ligne : A Paimpol et Là haut sur la butte, et quelques autres par ici. Si vous connaissez d’autres enregistrements, n’hésitez pas à les indiquer en commentaire.
Kiki, actrice
En plus d’être modèle, Kiki a participé en tant qu’actrice à une douzaine de films et courts-métrages, parfois expérimentaux, comme le « Ballet mécanique » (1924) de Fernand Léger ou « Étoile de mer » (1928) de Man Ray. Sa renommée est telle qu’on lui demande souvent de jouer son propre rôle, comme dans « L’inhumaine » (1924) de Marcel L’Herbier ou « La galerie des monstres » (1924) de Jaque Catelain.
Sur ce photogramme du film « L’inhumaine » (1924) réalisé par Marcel L’Herbier, on reconnait à droite Kiki de Montparnasse qui joue le rôle d’un modèle pour un artiste peintre.
Elle apparait aussi dans Le Retour à la raison(1923) de Man Ray, Entr’acte(1924) de René Clair, Emak Bakia (1926) de Man Ray, Paris express / Souvenirs de Paris (1928) de Pierre Prévert et Marcel Duhamel, Le Capitaine jaune (1930) de Anders Wilhelm Sandberg, Cette vieille canaille (1933) de Anatole Litvak et Iris perdue et retrouvée (1934) de Louis Gasnier, dans lequel elle joue son propre rôle dans un grand café de Montparnasse.
Kiki à l’étranger
Kiki aura passé le plus clair de son temps en France, entre sa Bourgogne natale et Montparnasse avec quelques incursions dans le sud. Elle a pourtant quitté le territoire au moins deux fois : en 1923 pour aller tenter sa chance aux États-Unis où elle ne resta que 3 mois et à Berlin en 1932 pour un engagement.
Loin d’être oubliée, la renommée de Kiki a dépassé les frontières et en 2006 je suis tombée sur une enseigne à son nom dans le quartier de Soho à New York. Il s’agissait d’un magasin de lingerie, mélangeant luxe et décadence.
La disparition
Les années difficiles, l’alcool et la drogue auront eu raison de Kiki qui décède le 23 mars 1953 à l’hôpital Laennec (42 rue de Sèvres, 7e arr.), alors qu’elle n’a pas 53 ans. Elle est inhumée au cimetière parisien de Thiais, celui des indigents. Il se raconte que tous les cafés de Montparnasse ont envoyé une couronne de fleurs, mais que seul Foujita était dans le cortège. Sur sa tombe, reprise le 2 février 1974, on pouvait lire « Kiki, 1901-1953, chanteuse, actrice, peintre, Reine de Montparnasse« .
Kiki est à l’honneur dans « Kiki de Montparnasse » (2007), un roman graphique de Catel & Bocquet édité par Casterman et dans un court-métrage d’animation « Mademoiselle Kiki et les Montparnos » (2012) réalisé par Amélie Harrault et qui a reçu le César du meilleur court métrage d’animation en 2014.