Le cinéma Bretagne

Sur la place du 18 juin 1940, à Paris, impossible de manquer les néons bleu électrique du cinéma Bretagne, la plus grande salle de Montparnasse et la dernière du circuit Rytmann. Mais connaissez-vous son histoire ?

Alors que la restructuration du quartier de la gare Montparnasse était en projet, Le Bretagne, inauguré le 27 septembre 1961, est le troisième cinéma fondé par Joseph Rytmann (1903-1983), après le Mistral et le Miramar. Situé à l’emplacement de l’ancienne Taverne des Brasseries Dumesnil Frères, il prend le nom de la région desservie par la gare de l’Ouest, juste en face. 

Rytmann fait son cinéma

A l’origine Joseph Rytmann n’a rien à voir avec le monde du cinéma. Il est né le 26 janvier 1903 à Borissov, une commune située à l’époque dans la Russie tsariste (actuellement en Biélorussie). Les Rytmann sont juifs. Persécutés, les parents, Benjamin Rytmann (1872-1927) et Rebecca Mlatkine (1879-1928), et leurs deux enfants, Anna (1900-1967) et Joseph quittent leur pays pour rejoindre Paris. En France, la famille s’agrandit avec Moïse* (1908-2002) et Hélène** (1910-1980). Pendant la première guerre mondiale, les parents ouvrent une épicerie rue Eugène Sue dans le 18e arrondissement. Les quatre enfants Rytmann perdent leur père Benjamin en 1927, décédé d’un cancer, et leur mère l’année suivante.

En 1925, avec Max Nadler, son futur beau-frère, Joseph fait l’acquisition, d’un fonds de commerce au 41 rue de la Gaîté, dans le 14e arrondissement.

Le 29 décembre 1925 à la mairie du 2e arrondissement, Joseph épouse Madeleine Anna Nadler (1906-1948), dont la famille travaille comme tailleur dans le quartier du Sentier. Leur mariage est annoncé dans la revue « L’Univers israélite« . Trois ans plus tard, en novembre 1928, Madeleine donne naissance à une petite fille prénommée Benjamine.

Pris par le goût des affaires mais attiré par un tout autre domaine que la confection ou les meubles, Joseph Rytmann rachète, le 30 mars 1933, le Théâtre de Montrouge situé au 70 avenue d’Orléans (actuelle avenue du Général Leclerc) dans le quartier d’Alésia (14e arr.) et en fait un cinéma.

Il gère aussi un temps le Maine-Pathé (anciennement Maine-Palace) situé au 95 avenue du Maine, puis en 1938, le bail de la Maison Lavenue, rue du Départ, est à céder. Le quartier de la gare Montparnasse lui parait propice aux affaires et dans une partie de l’ancien restaurant, il ouvre un nouveau cinéma, le Miramar.

Sous l’occupation de Paris

Pendant la seconde guerre mondiale, avec l’occupation allemande de Paris à partir de juin 1940, et les lois du gouvernement de Vichy, Joseph Rytmann est contraint de céder à un administrateur provisoire, M. Boisseau, le Miramar en 1941 et le Théâtre de Montrouge en 1943.

Pour éviter la spoliation, Joseph Rytmann vend fictivement le Théâtre de Montrouge à une connaissance de la famille (M. Bobet).

L’empire Rytmann s’étend

Après la guerre, de retour à Paris, Joseph Rytmann récupère non sans mal le Théâtre de Montrouge et le Miramar. Les cinémas connaissent un immense succès. Benjamine Rytmann-Radwanski, sa fille, raconte au micro de France Inter, que « c’était la folie ». Les spectateurs étaient prêts à s’asseoir par terre devant l’écran pour assister aux projections.
Ce n’est qu’à la faveur de gros travaux en 1951 que le Théâtre de Montrouge prend le nom de Mistral.

Joseph Rytmann lors de la première au cinéma Bretagne le 30 octobre 1964, du film « Les Cheyennes » réalisé par John Ford (crédit : collection Rytmann – source : « Rytmann, l’aventure d’un exploitant de cinémas à Montparnasse« , éd. L’Harmattan, 2021)

Dans les années 1960-70, le quartier du Montparnasse est en pleine transformation. Le circuit Rytmann s’étend en 1961 avec le Bretagne, sur le boulevard Montparnasse, le Bienvenüe-Montparnasse, rue de l’Arrivée en 1972 et Les Montparnos, rue d’Odessa en 1981.

Dans cet extrait de « Démons et merveilles du cinéma » , une archive de l’INA datant de mai 1964, il est question des nombreux cinémas de quartier qui ont fermé, alors que des salles dites d’exclusivité ouvrent leurs portes. On peut d’ailleurs constater que le Bretagne était idéalement situé en face de l’ancienne gare.

Avec ses 850 places réparties entre un orchestre et une corbeille légèrement surélevée, la grande salle du Bretagne est la 3éme plus grande salle de Paris après le Grand Rex et l’UGC Normandie.
Une seconde salle de 200 places a été créée en 1973, à l’emplacement d’une ancienne salle de billard de la brasserie originelle.

Au décès de son père Joseph, le 12 décembre 1983, Benjamine Rytmann-Radwanski reprend le flambeau. Contrairement à la grande majorité des cinémas parisiens et afin de se démarquer de la concurrence, le Bretagne programme les versions françaises des films étrangers à l’affiche.
Jean Hernandez (1944-2017), programmateur du Bretagne, raconte en 2013 sur France Inter que pour avoir une séance de plus que la concurrence, Benjamine Radwanski demandait que les films longs, comme « Cyrano de Bergerac » (1990), soient diffusés en 25 images / seconde au lieu de 24 (ce qui ne fait gagner que 5 minutes par séance pour un film de 2h15 !). Le réalisateur, Jean-Paul Rappeneau, s’en serait aperçu et aurait menacé de faire retirer son film.

La fin d’une époque

Évidemment le cinéma est passé aux projections numériques mais contrairement aux salles Gaumont ou UGC du quartier, le décor du hall d’accueil du Bretagne est d’origine, avec ses murs en marbre, ses dorures et ses vitrines d’affichage.

Jusqu’aux années 2000, Benjamine Rytmann-Radwanski, l’héritière du circuit Rytmann, dirige encore l’ensemble des cinémas du réseau de son père décédé en 1983.

Benjamine Rytmann-Radwanski (1928-2023), la reine de Montparnasse (crédit : Radio France – source : On aura tout vu | France inter)

Mais le 1er janvier 2010, quatre des cinq cinémas passent sous le giron d’Europalaces, qui regroupe Gaumont et Pathé. Depuis, le Miramar et les Montparnos sont passés sous la bannière de Gaumont, le Bienvenüe-Montparnasse a fermé en 2012 pour être converti en théâtre (le Grand Point Virgule) et le Mistral a fermé en 2016 et a été détruit, si bien qu’aujourd’hui, le Bretagne est l’unique vestige du circuit indépendant Rytmann.
En cette période difficile de crise sanitaire du coronavirus, le cinéma semble avoir fait le choix de programmer des grands classiques comme « Casablanca » (1942), « Blanche neige et les 7 nains » (1937) ou « Le trésor de la Sierra Madre » (1948), sans doute pour se démarquer une fois de plus de la concurrence du quartier.

En savoir plus



Cette histoire vous a intéressés ? Procurez-vous le livre "Rytmann, l'aventure d'un exploitant de cinémas à Montparnasse" (éd. L'Harmattan, 2021, 30€) écrit par Axel Huyghe du site salles-cinema.com, mis en images par Arnaud Chapuy, photographe et préfacé par Claude Lelouch - directeur de collection : Claude Forest, professeur émérite en économie du cinéma à l’université Sorbonne Nouvelle.
Plus d'infos

NB : Suite à la lecture de l’ouvrage « Rytmann, l’aventure d’un exploitant de cinéma à Montparnasse », cet article a été mis à jour le 26 février 2021.

*En 1949, Moïse Rytmann fait des démarches pour changer son nom de famille en Rimond (Journal officiel du 11 nov. 1949).
**En 1980, l’assassinat de la sociologue, Hélène Rytmann, par son mari le philosophe Louis Althusser a défrayé la chronique.


Le Bretagne, cinéma classé Art et Essai – 73 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris – site

Pour en savoir plus, consultez le podcast de l’émission « On aura tout vu » sur France inter (11 mai 2013, 46 min), le documentaire « Marchands d’images » réalisé par Jean-Claude Bergeret et produit par l’ORTF (1964, 25 min) ainsi que les sites Salles-cinema.com, Ciné-Façades.
Pour les passionnés de généalogie, retrouvez l’arbre de la famille de Joseph Rytmann réalisé à partir des actes d’état civil accessibles en ligne publiquement.

Le Bouillon Chartier de Montparnasse

Près de 100 ans après sa fermeture, un Bouillon Chartier a rouvert en février 2019 sur le boulevard Montparnasse, retrouvant sa vocation d’origine : proposer une cuisine traditionnelle à bon prix dans un cadre agréable. Retour en images sur cette histoire…

On doit à Baptiste-Adolphe Duval (1811-1870) l’invention d’un nouveau type de restauration voué à nourrir le petit peuple des Halles, composé d’ouvriers et d’employés contraints de se restaurer hors de chez eux, pour une somme modique. Au milieu du 19ème siècle, ce boucher de métier cherche à écouler les bas-morceaux de viande délaissés par sa clientèle aisée. Il a l’idée de proposer aux travailleurs une cuisine basique et bonne, faite de plats mijotés et de pot au feu, préparée à base de produits frais, le tout dans un cadre agréable. En 1854, les Bouillons Duval étaient nés. En 1896, un concurrent de taille est créé : le premier Bouillon Chartier est ouvert, par les frères Frédéric et Camille Chartier, au 7 rue du faubourg Montmartre dans le 9ème arrondissement.

En 1903, l’ancienne boutique d’un marchand d’huile, au 59 boulevard du Montparnasse dans le 6ème arrondissement, est rachetée par Edouard Chartier. En 1906, d’importants travaux sont effectués pour donner naissance à un somptueux décor Art Nouveau (verrière, miroirs, céramiques, moulures, boiseries…). Les revêtements en céramique, aux dessins floraux, ponctués de paysages de la France, sont signés par le céramiste Louis Trézel (1863-1912) de Levallois-Perret (92).

On reconnait l’enseigne du Bouillon E. Chartier sur cette photo prise, vers 1900, depuis la place de Rennes (actuelle place du 18 juin 1940) à l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue de Rennes.

En 1924…

Vendu en 1924, le Bouillon Chartier Montparnasse est repris par H. Rougeot, ancien directeur du restaurant Vagenende.

A partir de 1924, le Bouillon Chartier change de propriétaire et passe sous la direction de H. Rougeot.
Tableau de Jean Dubuffet représentant la grande salle du restaurant Rougeot (mars 1961). On peut lire le nom du restaurant dans la réflexion du miroir en haut au milieu du tableau. Cette toile est visible à la Fondation Dubuffet à Paris (6e arr.).

En 1977…

Grâce aux royalties du best-seller La cuisine est un jeu d’enfants (3 millions d’exemplaires), Michel Oliver crée, dans les années 1970, plusieurs bistrots rive gauche, dont le Bistro de la gare au 59 boulevard du Montparnasse.

Restaurant « Le Bistro de la Gare » de Michel Oliver, ancien restaurant Rougeot, au 59 boulevard du Montparnasse (6ème arr.), mai 1977 (crédit : Collection Roger-Viollet/Roger-Viollet – source : Paris en images).

En 2003…

Le groupe Gérard Joulie rachète le restaurant qui prend alors le nom Montparnasse 1900.

Le Montparnasse 1900, au rez-de-chaussée de l’hôtel Terminus, à gauche de La Marine. (crédit : Les Montparnos, mai 2010)

Depuis février 2019…

Le Montparnasse 1900 ferme ses portes le 7 janvier 2019. La famille Joulie, propriétaire depuis 2003, a décidé de rendre son nom et sa vocation d’origine à ce lieu ouvert en 1903. Le restaurant rouvre le 1er février 2019, après travaux, sous l’enseigne d’un Bouillon Chartier. La boucle est bouclée !

La salle avec son décor est inscrite au répertoire des monuments historiques depuis le 16 juillet 1984. (source : Bouillon Chartier)

Bouillon Chartier – 59, boulevard du Montparnasse – 75006 Paris Site
Ouvert 7/7 j – De 11h30 à 14h30 et 14h30 à 22h30 sans réservation
Métro : Montparnasse-bienvenue (4, 6, 12, 13) – Bus : 28, 82, 92, 94, 95, 96
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