L’accident du dirigeable PAX, le 12 mai 1902

A la fin du 19e siècle, ils sont nombreux à tenter de dompter les airs. Ces pionniers font de grandes avancées avec leurs ballons dirigeables, parfois au péril de leur vie, comme le brésilien Augusto Severo et le français Georges Saché qui s’écrasèrent avenue du Maine.

Le dernier essai à la corde avant la tragique ascension du PAX le 12 mai 1902 (photo : Gribayédo – source : La Vie au grand air, 17 mai 1902)

A l’aube du 20e siècle la compétition bat son plein pour être le premier à dompter les airs. Depuis le premier vol d’un être humain en 1783, réalisé par les frères Joseph-Michel Montgolfier (1740-1810) et Jacques-Étienne Montgolfier (1745-1799) et leur ballon à air chaud, tout l’enjeu est de pouvoir se diriger dans les airs et d’évoluer le plus rapidement possible, plutôt que de subir les aléas du vent.

Plusieurs pionniers du domaine sont français, comme les frères Anne-Jean Robert (1758–1820) et Nicolas-Louis Robert (1761-1828), Henri Giffard (1825-1882), Henri Dupuy de Lôme (1816-1885), Charles Renard (1847-1905) et Arthur Krebs (1850-1935).

Lancé par Charles Renard et Arthur Krebs, le dirigeable Le France quitte Chalais-Meudon le 9 août 1884 et, pour la première fois au monde, va réussir un circuit complet dans les airs, soit 8 km en 23 minutes. Gravure publiée dans le Journal illustré du 7 septembre 1884 (source : Comité de sauvegarde des sites de Meudon, bulletin n°37, 1978)

Pourtant le 19 octobre 1901, après plusieurs tentatives infructueuses, c’est un brésilien, Alberto Santos-Dumont (1873-1932), qui remporte la compétition dotée de 100 000 francs lancée par le mécène Henry Deutsch de la Meurthe (1846-1919), en parcourant en trente minutes la distance entre Saint-Cloud et la Tour Eiffel avec son dirigeable n°6.

Le dirigeable n°6 de Santos-Dumont doublant la Tour Eiffel, en octobre 1901 (crédit : P. Raffaele – source : « La navigation aérienne » de Joseph Lecornu, 1903, Gallica-BnF)

Devant un tel exploit, dont la gloire ne manquera pas de rejaillir sur le pays tout entier, le député du parlement brésilien Augusto Severo propose de lui voter un prix de 100 000 reis (15 000 francs) pour l’encourager à continuer ses expériences.

Qui est Augusto Severo ?

Dans La Revue parue fin 1901, voici comment Georges Caye présente l’aéronaute brésilien Augusto Severo de Albuquerque Maranhão (1864-1902) : « M. Auguste Severo n’a pas encore 40 ans, il est marié et père de sept enfants. A l’inverse de M. Santos-Dumont, c’est un homme de haute stature (il pèse 102 kilos, juste le double de son célèbre compatriote). Il est député au Parlement brésilien depuis 1891 et, comme homme politique, il occupe une situation très importante dans son pays. Il appartient à l’une des meilleures familles républicaines du Brésil et est un orateur très distingué. Depuis l’âge de 18 ans il s’occupe d’aérostation. […] En 1894, M. Severo a fait construire à Rio un grand dirigeable le Bartholomeo de Gusmao… »

Augusto Severo en 1902 (source : Musée de l’Air et de l’Espace)

Dans Le Figaro (19 janvier 1902), sous la plume de Thomas Beyle, on peut lire que Augusto Severo était « l’un des artisans les plus vigoureux de l’émancipation des esclaves et de la révolution républicaine, cinq années de suite rapporteur du budget de la marine, orateur redouté. » Il prend congé de ses fonctions de député pour venir à Paris et « organiser une hasardeuse expédition, dont il fait seul tous les frais et qui va lui couter plus de cent mille francs. »

A Paris, Augusto Severo a le projet de faire construire un nouveau ballon dirigeable de sa conception qu’il baptise PAX (la Paix). Arrivée le 5 octobre 1901 à Paris, il commande la construction du PAX aux ateliers Lachambre et en moins de deux semaines fait ériger dans le quartier de Vaugirard, un hangar de 35 mètres de long, 17 mètres de haut et 15 mètres de large.

Les ateliers de constructions aéronautiques de Henri Lachambre, fabricant de ballons de baudruche, aérostats, etc. , 24 passages des Favorites à Vaugirard (15e arr.), en août 1883. (crédit : dessin d’Albert Tissandier – source : Wikimedia)

Dans La Revue encore, on trouve une description assez détaillée de l’aérostat : « Le ballon de M. Severo est en forme de cigare, mais peu allongé et asymétrique. Il mesure 30 mètres de largeur et une longueur de 12 mètres à sa plus grande section transversale. Son volume est sensiblement de 2000 m3. […] Dans l’espace inférieur est disposée la nacelle qui pénètre jusqu’au grand axe de l’aérostat. […] L’ossature est construite en bambou et aluminium et l’ensemble est entouré d’une enveloppe protectrice. » Le ballon sera gonflé à l’hydrogène, ce qui lui donnera une force ascensionnelle de 2 200 kilos environ, comme on peut le lire dans L’Événement du 28 janvier 1902.

Carte postale de la nacelle du ballon de Augusto Severo devant la hangar des ateliers Lachambre, à Vaugirard. Évidemment cette photo a été prise bien avant le 12 mai 1902.

Ce qui caractérise l’aérostat de Augusto Severo est la disposition des hélices de propulsion. Je fais appel à mes maigres souvenirs de science physique pour comprendre sa logique. La force propulsive doit être supérieure pour vaincre la résistance de l’air et faire avancer le ballon. Jusque-là, la propulsion s’opérait depuis la nacelle, tandis que la résistance s’exerçait principalement sur le ballon, ce qui pouvait générer de l’instabilité. L’idée de Severo est de placer ces deux forces sur le même axe central du ballon.

Les plans primitifs du PAX, le dirigeable de Augusto Severo (source : La Revue, 2e trimestre 1902)

Pour obtenir ce résultat Severo a placé la nacelle le plus près possible du ballon et l’hélice propulsive de 6 m de diamètre à la poupe sur le grand axe et à la proue est fixée une hélice plus petite de 3 m de diamètre destinée à chasser l’air à l’avant du ballon pour réduire les frottements et la résistance. Avec ce dispositif on pouvait craindre que la nacelle avance moins vite que le ballon, entrainant une inclinaison vers le sol. Pour y remédier, Severo ajoute une hélice compensatrice à l’arrière de la nacelle.

Afin de pouvoir diriger le ballon, il remplace le gouvernail par deux hélices disposées l’une à l’avant et l’autre à l’arrière de la nacelle dans des tubes ad’hoc dont les axes sont perpendiculaires à l’axe avant-arrière du ballon. « Ces hélices lorsqu’on les met en mouvement, permettent de déplacer l’aérostat à droite ou à gauche, c’est-à-dire de le diriger. »

J’ajouterais simplement que la force motrice était produite par deux moteurs à pétrole construits tout spécialement par le motoriste Buchet : l’un de 16 chevaux (150 kg) placé à l’avant pour les hélices avant et l’autre de 24 chevaux (250 kg) placé à l’arrière pour transmettre le mouvement à l’hélice de propulsion et aux hélices arrières (compensatrice et de direction). Severo aurait préféré des moteurs électriques, mais des contraintes de temps et d’argent l’ont fait opter finalement pour des moteurs à pétrole. Pour les passionnés du sujet, je vous recommande la lecture des deux articles de La Revue, dont vous trouverez les liens à la fin de cet article, car il y a de nombreux autres détails sur la conception du PAX.

Messieurs Buchet et Severo examinant un des moteurs du PAX sous le hangar (photo : P. Raffaele – source : « La navigation aérienne » par J. Lecornu)

Avec le PAX, Augusto Severo avait pour ambition de faire le tour de Paris en suivant les fortifications puis de se promener au-dessus des rues et des boulevards, faisant ainsi la démonstration de la maniabilité de son ballon. Mais en janvier 1902 lorsque les journalistes défilent au hangar de Vaugirard, Severo n’a pas encore pu faire ses essais, certains détails de conception devant encore être réglés.

Embed from Getty Images

Augusto Severo et son fils dans le hangar de construction du PAX (source : Getty Images)

Fin avril – début mai 1902, le PAX est prêt. Il aura coûté au final 150 000 francs. Severo guette les conditions météorologiques favorables qui lui permettront de programmer son vol. En attendant, il reçoit de bonne grâce les visiteurs venus admirer le magnifique aérostat dans son hangar. Sa cordialité lui vaut la sympathie de tous, comme le raconte Joseph Lecornu dans son livre sur la navigation aérienne.

Carte postale du Pax sous son hangar.

La journée du 12 mai 1902

La suite de l’histoire est racontée en détail par Georges Caye dans La Revue. Dès la fin avril 1902 et pendant cinq jours, Severo procède au gonflement du ballon afin d’être prêt pour les essais. Après plusieurs jours de conditions météo défavorables, une première sortie est possible dans la matinée du dimanche 4 mai et une seconde le mercredi 7 mai, pour un essai à la corde. La propulsion et la direction sont testées mais le ballon est captif, retenu au sol par des cordes. Les résultats sont concluants. La puissance de propulsion est tellement importante que quinze hommes ne suffisent pas à retenir le ballon au sol et il faut arrêter l’essai de propulsion pour éviter que les ouvriers ne soient projetés contre le mur de clôture du site d’essai. Le temps s’étant couvert et la pluie ayant commencé à tomber les expériences sont interrompues.

Premier essai de l’aérostat dirigeable de M. Severo, le 4 mai 1901. Dans un premier temps le PAX est retenu par des cordes (photo : P. Raffaele – source : L’Illustration, 10 mai 1902)

Les jours qui suivent toute l’équipe de Severo et quelques témoins passionnés, se donnent rendez-vous à quatre heures du matin au parc aéronautique de Vaugirard, le site d’envol. Parfois la météo permet de faire quelques essais, mais ça n’est que le lundi 12 mai 1902 que les conditions sont réunies.

Le parc aéronautique de Vaugirard avec le hangar du PAX que Augusto Severo a fait ériger en 15 jours (source : tokdehistoria.com.br)

La nacelle était conçue pour trois aéronautes. L’équipage devait se composer de Augusto Severo, lui-même, son ami Álvaro Reis (fils de l’ingénieur Manuel Pereira Reis) et Georges Saché, le mécanicien de 25 ans. Mais afin de disposer de plus de lest, Severo décide de partir seul avec son mécanicien et de laisser au sol Reis quelque peu dépité. Pourtant cette décision sauvera la vie d’Álvaro Reis.

Álvaro Reis, Augusto Severo et Georges Saché, les aéronautes du PAX (source : La Revue, 2e trimestre 1902)

A 5h15 du matin, ce 12 mai 1902, le ballon sort de son hangar. A 5h25, il quitte le sol, d’abord retenu par des cordes, le temps de s’assurer que moteurs et hélices fonctionnent correctement. Après un dernier adieu à ses amis et un baiser envoyé à sa femme et à son fils ainé présents, le PAX s’élance porté par le vent et décrit des boucles dans les airs afin de tester les hélices de direction.

Georges Caye témoigne qu’à cet instant « la plus grande joie régnait parmi les spectateurs que l’heure matinale n’avait pas effrayés et le signal convenu ayant été donné par M. Severo, tout le monde s’apprêtait à gagner les automobiles pour se rendre au champs de manœuvres d’Issy-les-Moulineaux. »

La chute du PAX après l’explosion. Vue prise depuis le parc aérostatique de Vaugirard (source : La Revue, 1902)

Il poursuit : « Tout à coup un cri déchirant jaillit de toutes les poitrines. Le ballon était en feu ! Une lueur sinistre, partie de l’extrémité arrière de la nacelle, s’élevait vers l’aérostat qui s’enflammait subitement. Une effroyable détonation [provoquée par la combustion subite de 2 300 m3 d’hydrogène] parvenait jusqu’à nous tandis que le Pax et ses deux aéronautes s’abîmaient avec une vitesse vertigineuse à travers l’espace et tombant d’une hauteur de plus de 400 mètres, venaient se broyer effroyablement sur l’avenue du Maine. »

Il me serait impossible de décrire la douleur qui envahit tous ceux qui assistèrent à ce spectacle horrible, plus horrible et plus triste pour nous qui entourions la femme et l’enfant de l’infortuné Severo, pour nous qui venions de serrer la main des deux victimes de cette catastrophe, pour nous qui passions si brusquement de la joie du succès à l’horreur de la mort…

Georges Caye, dans La Revue
Les débris du PAX en travers de l’avenue du Maine, à Paris, 14e arr. (crédit : Ruckert – source : « La vie au grand air » du 17 mai 1902, Retronews)

Le Petit Journal (13 mai 1902) relate comment la catastrophe a été gérée avenue du Maine. Après le premier effroi, plusieurs témoins de l’accident accourent pour porter secours aux aéronautes. Je vous épargne les détails. Les deux hommes sont morts sur le coup. La police immédiatement prévenue fait évacuer les cadavres. Peu à peu plusieurs milliers de badauds viennent voir ce qui se passe.

Illustration réalisée par Achille Beltrame (1871-1945) représentant l’évacuation par la police des victimes de l’accident du PAX, avenue du Maine.

Également prévenus, le colonel Renard, directeur de l’établissement d’aérostation militaire de Chalais-Meudon, et son frère le commandant, arrivent en automobile au bout de trente minutes. De concert avec M. Lachambre, ils font enlever les débris de l’épave qui bloquent la circulation sur l’avenue du Maine et les font porter au hangar de Vaugirard.

Photographies de l’accident du Pax en 1902 à la hauteur du 79-81 avenue du Maine (14e arr.) près de la rue de la Gaité à Paris (crédit : Jules Beau – source : Gallica-BnF)

Spécialistes ou amateurs, tous commentent l’événement et avancent des hypothèses sur les raisons de l’accident. Certains vont même jusqu’à dire qu’il était prévisible étant donné les choix techniques faits par Severo. Je m’abstiendrais d’émettre un avis, mais une fois encore la lecture de La Revue permet d’avoir quelques éléments d’explication que les plus férus voudront certainement lire.

En attendant la veuve de Severo reste seule avec ses sept enfants à élever et se retrouve dans le plus grand dénuement, la fortune de son mari ayant été entièrement engloutie dans le PAX. Émus par cette situation, l’Aéro-Club et l’Auto-Club de Paris lancent une souscription afin de recueillir des fonds au bénéfice des familles des deux victimes, Severo et Saché.

Cet accident a tellement marqué les esprits, que Georges Méliès, pionnier du cinéma, en fit la même année une reconstitution dans « La catastrophe du ballon », film muet d’une minute malheureusement perdu, mais qui apparait au catalogue de Méliès.

En 1913, une plaque commémorative est installée sur la façade de l’immeuble du 79 avenue du Maine. Depuis la construction d’un nouvel immeuble à cet endroit, la plaque se trouve à l’entrée de l’hôtel à cette adresse.

Le Brésil a rendu plusieurs hommages à son compatriote. Des places et même un aéroport portent son nom. Un timbre postal commémore aussi cette désastreuse journée du 12 mai 1902.

De nos jours…

De tout temps la conquête des airs a donné lieu à des accidents. Le dernier qui a marqué les esprits est certainement l’explosion en 2003 de la navette Columbia détruite lors de sa rentrée dans l’atmosphère après une mission de deux semaines, entrainant le décès des sept membres d’équipage. La différence c’est que, de nos jours la nouvelle frontière est l’Espace.

Seule trace du souvenir de ce funeste accident du PAX est les noms des victimes donnés à deux rues du 14e arrondissement qui se rejoignent, proches de l’avenue du Maine, les rues Severo et Georges Saché.

En savoir plus …

Inauguration le 21 mars 2023 du Hangar Y rénové à Meudon
L'épopée du Hangar Y
A défaut de pouvoir se rendre aux ateliers Lachambre ou au hangar du PAX aujourd'hui disparus, visitez le hangar Y, haut lieu de la construction de dirigeables situé au cœur de la forêt de Meudon. Longtemps laissé à l'abandon, le site a été récemment rénové et propose en ce moment "L'épopée du Hangar Y", une exposition en réalité mixte sur l'essor de l'aéronautique en lien avec l'histoire du lieu. Plus d'infos

Les sources pour cet article : « Le dirigeable de M. Severo » par Georges Caye (La Revue, 4e trimestre 1901, p. 550-554), « Le nouveau dirigeable » par Thomas Beyle (Le Figaro, 19 janvier 1902), « Le ballon dirigeable de M. Severo » (Le Journal, 24 janvier 1902) « La question des ballons » (L’Événement, 28 janvier 1902), « Une catastrophe dans les airs » (Le Petit journal, 13 mai 1902), « M. Severo’s airship explodes while over Paris » (The New York Herald, 13 mai 1902), « Une catastrophe aérienne, Mort de M. Severo » (La Vie au grand air, 17 mai 1902), « La catastrophe du Pax » par Georges Caye (L’Illustration, 17 mai 1902), « Le drame du Pax et les mérites de Severo » (La Revue, 2e trimestre 1902, p. 548-557), « La navigation aérienne, histoire documentaire et anecdote » par Joseph Lecornu (Librairie Nony et Cie, 1903, p. 465-467), « La chute du Pax – 90ème anniversaire (Revue d’histoire du 14ème, p.33-44, 1992), « Auguste Severo et Georges Saché » (La Voix du 14ème, 26 novembre 2008), La marche de l’histoire : les dirigeables (France Inter, 8 août 2012), « O Último voo de Augusto Severo » (3 mai 2014).

Le Rendez-vous des Bretons

Malgré les pénuries, la première édition du Tour de France après la libération est organisée en 1947. Un breton fera la surprise sur la ligne d’arrivée et son parcours sera particulièrement suivi dans un café du 14e arrondissement, « Le Rendez-vous des bretons ».

L’équipe française ouest à la terrasse du café « Chez Guy – Rendez-vous des Bretons », situé à l’angle de l’avenue et de la rue du Maine, près de la gare Montparnasse à Paris (crédit et source : AKG images).

Au lendemain de la seconde guerre mondiale (1939-1945), en pleine reconstruction de la France, les cartes de rationnement sont toujours de mise et les produits de premières nécessités sont encore difficiles à trouver. Pourtant malgré les pénuries, la première édition du Tour de France après la libération est organisée en 1947 par un nouveau journal : L’Equipe. Comme le raconte Philippe Collin sur France inter « Après sept éditions annulées, le Tour est de retour en 1947. » En manque de divertissement, les français vont se passionner pour cette compétition. Au fil des étapes, l’un des QG pour commenter la course et soutenir le cycliste breton qui fait sensation, se trouve à deux pas de la gare Montparnasse.

Emplacement du café Le Rendez-vous des Bretons au 45 avenue du Maine à l’angle de la rue du même nom (14e arr.).

Le 25 juin 1947, au départ de la 34e édition de la grande boucle, sous l’arc de triomphe à Paris, le grand favori est le leader de l’équipe de France. Il s’appelle René Vietto et il revêt d’ailleurs le maillot jaune dès la deuxième étape.

Personne ne se méfie du Trompe-la-mort, l’un des surnoms donné à Jean Robic (1921-1980), le coureur breton malingre et un peu casse-cou. Tout au long de sa carrière sportive, le cycliste sera affublé de nombreux sobriquets affectueux ou désobligeants, comme Biquet, Robiquet(1), Casque d’or, le Nain jaune, mais …

Qui est Jean Robic ?

Jean Robic voit le jour le 10 juin 1921 à Condé-lès-Vouziers dans les Ardennes, puis il grandit à Radenac, un petit village du Morbihan.

Son père Jean Robic (1897-1945) est charpentier et sa mère Rose Le Lay (1899-1983) est originaire de Pleugriffet (56) et vient d’une famille de sabotier. Démobilisé en 1917, le père décide de rester dans les Ardennes pour participer à la reconstruction de la France. C’est là que nait Jean, le quatrième enfant et le premier garçon de la fratrie, après Bernadette (née en 1915) et les jumelles Marthe et Marie (nées en 1919) (3). Quelques années plus tard, la famille retourne en Bretagne, après une transition de quelques mois à Paris. En 1927, le père de Jean ouvre un magasin de cycles à Radenac (56). Père et fils pratiquent le vélo en amateur et concourent parfois dans les mêmes courses. A la fin des années 1930, le fils récolte les premiers résultats sur des courses locales et intègre un club cycliste à Auray. En février 1940, Jean « monte » à Paris, s’installe chez sa tante et travaille chez un marchand de cycles à Boulogne-Billancourt. En juin 1940, à la débâcle, Jean Robic est de retour à Radenac, mais revient rapidement à Paris. En parallèle de son travail, il continue les courses sur route ou en cyclo-cross. En 1943, il a 22 ans et vit sous la menace du service du travail obligatoire (STO). Il déménage vingt-trois fois pour y échapper. Il se déplace constamment en vélo avec sa valise et parcourt 120 km par jour pour aller sur son lieu de travail à Cormeilles-en-Vexin. Rien de tel pour s’entrainer !

Remarqué par Maurice Evrard, Jean Robic intègre l’équipe Génial Lucifer et passe professionnel en 1944. Il se fait une réputation de « Trompe-la-mort » en terminant Paris-Roubaix 1944 avec un traumatisme crânien.
De retour à Paris, il fait un malaise et est hospitalisé à Boucicaut pour une fracture du rocher, un os au niveau de la tempe. Dans « Robic 47 », Christian Laborde, spécialiste du cyclisme, raconte que Raymonde Cornic, la belle-fille du patron du « Rendez-vous des bretons », une brasserie de Montparnasse , vient le voir « avec, à chaque fois, son sourire et des gâteaux« . Pour impressionner Raymonde, Jean Robic remonte sur son vélo et enchaine les compétitions.
Par la suite, on le voit toujours porter un casque, ce qui lui vaudra d’autres surnoms : Tête de bois, Tête de cuir, L’homme au casque, Casque d’or.
A la mort de son père en 1945, suite à un accident forestier, Jean Robic installe sa mère avec lui à Clamart (92).

La promesse

Christian Laborde raconte aussi que le 21 juin 1947, quatre jours avant le départ de la grande boucle, Jean Robic épouse, à la mairie du 14e arrondissement, Raymonde Cornic et lui murmure à l’oreille :

Je t’épouse, je suis pauvre, le Tour de France sera mon cadeau de mariage

Jean Robic, 1947

Raymonde Cornic, née en 1928, est la fille de Mathurine Gicquel (1898-1961) et Charles Cornic (1894-?). Veuve, Mathurine s’est remariée en 1934 avec Guy Fraboulet (1902-1982), qui tient avec elle le bar restaurant « Le Rendez-vous des bretons – Chez Guy », 45 avenue du Maine (14e arr.), tout près de la gare Montparnasse.

Le mariage religieux de Raymonde Cornic et Jean Robic se déroule à l’église Notre-Dame des champs (2). Vous trouverez des photographies du couple à la sortie de l’église par ici. Cette love story suffit à faire du Tour de France 1947 un Tour inoubliable.

Le Tour est de retour

Le 13 juillet 1947, à la 15e étape entre Luchon et Pau, Vietto est toujours en jaune, mais Robic va frapper un grand coup et surclasser le favori. Il remporte, avec près de 11 minutes d’avance, l’étape de 195 km qui compte pourtant quatre cols de montagne.

Parcours du Tour de France 1947 (crédit : Jan Dorrestijn – source : www.touratlas.nl)

Sur RTL, Christian Laborde raconte que ce jour-là « Robic accomplit un exploit fabuleux. La plus grande étape de montagne était l’étape Luchon – Pau. Il attaque dès le départ et franchit les quatre cols Peyresourde, Aspin, Tourmalet, Aubisque, tout seul. Et il gagne l’étape. Ça va fasciner Marcel Cerdan, installé dans la voiture suiveuse, qui dira : celui-là il pédale comme je boxe.« 

L’étape Luchon-Pau du Tour 1947 présente quatre difficultés majeurs : le col de Peyresourde (1569m), le col d’Aspin (1489 m), le col de Tourmalet (2115 m) et le col d’Aubisque (1709 m)
(crédit : L’Équipe / Le Parisien libéré – Source : Le dico du Tour)

Mais n’est-il pas trop tard pour gagner le Tour de France ? Il ne reste qu’une poignée d’étapes pour détrôner le premier au classement général qui a une avance considérable.

Pendant le Tour, Raymonde reçoit des messages de son mari qu’elle partage avec ses proches et leurs nombreux amis du bar restaurant :

Ayez confiance. J’ai le moral !

Jean Robic, juillet 1947

Proche de la gare Montparnasse qui mène à l’Ouest, le Rendez-vous des Bretons – Chez Guy devient le quartier général des admirateurs, tous bretons, du grimpeur. Et chaque jour l’affluence est proportionnelle à la notoriété grandissante du nouveau roi de la montagne. A un journaliste de Ce soir, qui lui demande si ce serait un beau cadeau si son mari gagnait le Tour de France, Raymonde répond : « Oh ! oui, bien sûr ! Mais je n’ose pas trop y croire. Ça risquerait de lui porter malheur. »

A la terrasse du Rendez-vous des bretons, 45 avenue du Maine (14e arr.), Raymonde (debout), Guy Fraboulet, son beau-père, et ses amis suivent les nouvelles du Tour dans la presse (source : Miroir Sprint, 1947)

Le 18 juillet 1947, la caravane du Tour arrive en Bretagne. Le lendemain dans le difficile contre-la-montre de Vannes à Saint-Brieuc, Vietto laisse filer son maillot jaune à l’italien Pierre Brambilla. Quant à Robic, porté par les supporters bretons et Raymonde présente sur le bord de la route, il est désormais troisième au classement général à 2 min 58 du leader.

Sous le maillot blanc de l’équipe de l’Ouest, et sans avoir jamais revêtu le maillot jaune, le breton Jean Robic fait l’exploit et remporte le Tour de l’après-guerre lors de la dernière étape qui mène le peloton de Rouen à Paris.
Jean Robic aura tenu parole et rapporté une dot de 658 000 francs (environ 100 000 €) à sa femme, soit 500 000 F pour le classement général, 158 000 F de prix et primes diverses.

Jean Robic a tenu la promesse faite à sa jeune épouse Raymonde, surnommée affectueusement Choupette, et réussi l’exploit de remporter le 34e Tour de France, celui de l’après-guerre (crédit : anonyme)

Jean Robic participera encore à une dizaine de Tour de France entre 1947 et 1959, dans diverses équipes mais sans jamais égaler son palmarès de 1947. La promesse faite à sa jeune épouse lui aura donné des ailes.

L’un des fameux casques porté par Jean Robic depuis sa fracture du crâne lors du Paris-Roubaix 1944.

Il sera également le premier champion du monde de cyclo-cross, en mars 1950. Les années passent et les équipes de cyclistes continuent de se donner rendez-vous « Chez Guy ».

Dans le cadre du Tour de France 1953, l’équipe française ouest se retrouve au café « Chez Guy – Rendez-vous des Bretons », tenu par Guy Fraboulet, le beau-père de Jean Robic. Le gagnant de l’édition de 1947 est ici appuyé sur son vélo aux côté de Émile Guerinel, Joseph Morvan, Armand Audaire, François Mahe, Léon le Calvez (technicien en chef), Yvon Marrec, Jean Mallejac et Roger Jupin (crédit et source : AKG images).

La reconversion

En 1957, Jean Robic ouvre la brasserie « Chez Robic » au 61 avenue du Maine dans le 14e arrondissement. Le casse-cou devient limonadier, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa femme le quitte et le divorce est prononcé le 2 juillet 1973. Jean Robic vit de petits boulots et de prestations, vendant sa notoriété. L’ancien coureur cycliste Eugène Letendre (1931-2014) qui a investi dans une entreprise de déménagement de bureaux, le fait travailler.

Le dimanche 5 octobre 1980, Robic prend le départ de la course des gentlemen, une course de 35 kilomètres qui réunit des anciennes vedettes de la petite reine. Le beau-père du coureur néerlandais Joop Zoetemelk, et le cycliste Eugène Letendre, qui a trouvé du travail à Jean après son divorce et ses mauvaises affaires dans sa brasserie de Montparnasse, sont à l’initiative de ce rendez-vous amical.
Après la course, le banquet annuel en l’honneur des gloires du Tour du France est organisé à l’auberge Le Gonfalon à Germigny l’Évêque (77). Venu accompagné, Robic retrouve sa bonne amie dans les bras d’un autre champion. La soirée bien arrosée aidant, il entre dans une rage folle et veut repartir sur le champs. Les uns et les autres tentent de l’en dissuader, mais finalement Robic prend le volant, plutôt que de dormir sur place. A 3h30 du matin, il encastre son Audi 100 dans un camion sur la nationale 3, à hauteur de Claye-Souilly et décède sur le coup à 59 ans.
Pour tous les passionnés de cyclisme, il restera toujours le grand vainqueur du Tour de France de la Libération, sans jamais avoir porté le maillot jaune.

Le 45 avenue du Maine à l’angle de la rue du Maine a bien changé depuis les années 1950. A la place du bar restaurant « Le Rendez-vous des bretons – Chez Guy » se trouve une agence de location Hertz.

"Robic 47" par Christian Laborde, éd. du Rocher, 2017
Jean Robic, coureur disgracieux dont on s'est toujours moqué et dont l'équipe de France n'a pas voulu, ne pouvait, aux dires des experts, gagner le Tour. Tous ignoraient la promesse de Robic, la ténacité de Robic, l'endurance de Robic, les talents incroyables de grimpeur de ce vilain petit canard des cycles qui, du haut de son 1m61, a dicté sa loi à tous les héros du Tour sur les routes défoncées d'un pays en ruines.
"Robic 47" est une biographie romancée, enrichie par des photos Collector.
www.christianlaborde.com

(1) L’impasse Robiquet (6e arr.), perpendiculaire au boulevard du Montparnasse, n’a rien à voir avec Jean Robic. Elle porte le nom d’un chimiste et pharmacien Pierre Jean Robiquet (1780-1840).
(2) De cette union nait trois enfants : Jean-Loup en 1948, Alain en 1949 et Marie-Christine en 1952.
(3) Le couple aura encore deux enfants : Pierre (né en 1923) et Janine (née en 1931).

Les sources pour cet article : « Madame Raymonde Robic croit en son mari » (Ce soir, 4 juillet 1947), « Robic gagne en tout 658 000 francs » (France soir, 25 juillet 1947), « Robic et l’équipe Ouest-Nord » (L’Humanité, 28 juin 1949), « Une nouvelle carte du Tour » par Francis Crémieux (L’Humanité, 29 juin 1949), « Un petit bonhomme têtu comme… un breton » par Pierre Portier et Lem (Ce soir, 11 mai 1950), « Robic pourra compter sur toute l’équipe bretonne » (Combat, 12 juillet 1950), Avis de décès (Le Monde, 7 octobre 1980), « La colère noire du Nain jaune » par Jean-Louis Le Touzet (Libération, 5 juillet 2003), « Le destin de Jean Robic, le champion cabossé d’une France cabossée » par Christian Laborde (TV5 Monde, 29 juin 2017), « Un Tour de France 1947 rendu « héroïque » par Jean Robic » (RTL, 25 mai 2017), « Le Tour de France 1947 : le tour de la Libération » par Philippe Collin (France inter, 4 juillet 2020), « Radenac rend hommage à l’enfant du pays, Jean Robic » (Le Télégramme, 28 juin 2021), « Tour de France. Sur les traces de Jean Robic, le héros de l’été 1947 » par Didier Gourin (Ouest-France, 28 juin 2021), Jean Robic, petit Breton et premier champion du monde de cyclo-cross ! (France inter, 27 janvier 2022), le dico du Tour et la page Wikipedia.

La Californie à Montparnasse

Au 19e siècle, pour éviter les taxes sur les marchandises rentrant dans la capitale, de nombreuses guinguettes et gargotes s’installent aux portes de Paris. L’une d’elle, La Californie, sise entre la chaussée du Maine et le boulevard Edgar Quinet, était célèbre pour ses repas aux prix modiques…

La grande salle de La Californie dessinée en 1859 par Léopold Flameng (source : Musée Carnavalet)

Cette histoire débute au début du 19e siècle, à l’époque où Paris ne compte encore que douze arrondissements et est encerclé par le mur des fermiers généraux, limite qui permet de récolter, aux différentes barrières, la taxe sur les marchandises entrant dans la capitale. Extra-muros, l’embarcadère du Maine (ancien nom de la gare de chemin de fer) est mis en service en septembre 1840 et la gare de l’Ouest le remplace intramuros à partir 1852. Ce n’est qu’au 1er janvier 1860 que les limites de Paris sont étendues aux anciennes fortifications de Thiers(1). Un certain nombre de communes sont annexées, en totalité ou en partie à la ville de Paris qui va passer de 12 à 20 arrondissements. Ainsi le petit Montrouge et Plaisance vont former le 14e arrondissement de Paris.

Avant l’annexion, pour éviter cet impôt, de nombreuses gargotes s’établissent au-delà des barrières de Paris. Celle qui nous intéresse aujourd’hui se trouve près des barrières Montparnasse et Maine.

Le Père Cadet

Né à la Lande d’Airou (Manche) vers 1796, Gilles Cadet est tout d’abord ouvrier maçon. On le décrit comme un Hercule. Dans Le Gaulois on apprend qu’en 1838, il se marie à Paris avec la veuve d’un boucher de la chaussée du Maine (l’actuelle avenue du Maine). D’un document d’état civil, je déduis que son épouse est Pauline Thérèse Peigné, née vers 1806. A la tête d’un petit capital, il l’utilise pour fonder au n° 11 de cette chaussée (actuel 41-43 avenue du Maine), La Californie.

Dans « Paris qui s’efface » (1887), Charles Virmaitre (1835-1903) décrit ainsi le Père Cadet (p. 240) : « Ce n’était pas un philanthrope de carton comme le bazardier de l’Hôtel-de-ville. Il était réellement désintéressé, car non seulement il vendait bon marché, mais il distribuait gratuitement, sans affiches et sans réclames trois cents soupes et autant de portions par jour« .

Entre 1848 et 1850, Gilles Cadet est maire républicain de Montrouge. Le Gaulois rapporte dans ses colonnes une histoire se déroulant en 1848 :

Un jour, un radical à tous crins se présente à la mairie, demandant le citoyen Cadet ; on l’introduit dans le cabinet du maire.
– Citoyen, dit-il…
M. Cadet l’interrompt dès le premier mot et lui dit :
– Est-ce au citoyen Cadet ou au maire que tu parles ?… Si c’est au citoyen Cadet, je n’ai rien à dire ; mais si c’est au maire : chapeau bas !
Et joignant le geste à la parole, il saisit le chapeau du voyou et le jette de l’autre côté de la salle.

Le Gaulois, 21 février 1875

Grâce aux actes de mariage retrouvés en ligne, je sais que Gilles et Pauline ont au moins eu deux enfants. Le 2 décembre 1861, ils marient Pauline Marie Joséphine, leur fille de 20 ans, et le 19 février 1874 Paul Louis Philippe, leur fils de 29 ans.

Le réfectoire des pauvres

Peu après la révolution de février 1848, Gilles Cadet fonde au Petit-Montrouge, à l’enseigne de La Californie, un restaurant populaire à bon marché, où rapidement vont se retrouver les ventres affamés à la bourse plate. Le nom de l’établissement est certainement une allusion aux chercheurs d’or et à la ruée vers la Californie qui s’est amorcée à partir de 1848(2).

Pour avoir une description de La Californie, il faut croiser les textes contemporains ou posthumes à la gargote du Père Cadet. On peut lire le chapitre que lui a consacré Alfred Delvau (1825-1867) dans « Paris qui s’en va et Paris qui vient » édité en 1860. C’est d’ailleurs dans cet ouvrage que l’on trouve la gravure de Léopold Flameng (1831-1911) en tête de cet article :

« Quand on sort de Paris par la barrière Montparnasse, […] on a devant soi une Gamaches permanente, c’est-à-dire une collection aussi variée que nombreuse de cabarets, de popines, de gargotes et autres buvettes : Les Mille Colonnes, Richefeu, les Deux-Edmond, le Grand Vainqueur, etc. En prenant le boulevard à droite, on longe rapidement quelques maisons jaunes, à persiennes vertes, à physionomie malsaine et débraillée; puis, on arrive à une allée boueuse, bordée d’un côté par un jeu de siam et, de l’autre côté, par une rangée de vieilles femmes qui débitent, moyennant un sou la tasse, une façon de brouet noir qu’elles voudraient bien faire passer pour du café. C’est l’Estaminet des pieds humides […]. Au bout de cette boue est la Californie, c’est-à-dire le réfectoire populaire et populacier de cette partie de Paris.« 

Peut-être que ces plans vous aideront à vous situer en suivant la description à partir de la barrière du Mont-Parnasse :

« La Californie est enclose entre deux cours. L’une, qui vient immédiatement après le passage dont nous venons de parler, et où l’on trouve des séries de tables vermoulues qui servent aux consommateurs dans la belle saison. On l’appelle orgueilleusement le jardin, je ne sais trop pourquoi,— à moins que ce ne soit à cause des trognons d’arbres qu’on y a jetés à l’origine, il y a une dizaine d’années, et qui se sont obstinés à ne jamais verdoyer. L’autre cour sert de vomitoire à la foule qui veut s’en aller par la chaussée du Maine.
Le réfectoire principal est une longue et large salle, au rez-de-chaussée, où l’on ne pénètre qu’après avoir traversé la cuisine, où trône madame Cadet, — la femme du propriétaire de la Californie. Là sont les fourneaux, les casseroles, les marmites,tous les engins nécessaires à la confection de la victuaille.
 » (Alfred Delvau, 1860)

Dans l’ouvrage « Montparnasse hier et aujourd’hui » (1927) de Jean Emile-Bayard (1893-1943) précise qu’il y a plusieurs accès pour rejoindre La Californie. « Le fameux cabaret et restaurant populaire créé par le père Cadet […] se carrait entre la Chaussée du Maine (depuis l’avenue du Maine) et le boulevard de Vanves (aujourd’hui le boulevard Edgard Quinet). Par le passage des vaches, depuis passage Poinsot, ou par une ruelle de l’avenue du Maine ou bien encore par une étroite cour de la rue du Maine […] on accédait à La Californie ».

A noter, de l’autre côté de la chaussée du Maine, se trouvait le café de la Mère Saguet également fondé par le père Cadet, fréquenté parfois des littérateurs et des artistes, comme les peintres militaires Charlet et Raffet ou par l’historien journaliste Auguste Mignet (1796-1884) et le politicien Adolphe Thiers (1797-1877), mais c’est une autre histoire. (Le Gaulois, 22 février 1875)

Dans les documents déposés aux Archives de Paris par Adolphe L’Esprit (1853-1937), fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, j’ai consulté une note manuscrite reprenant des passages du Larousse, le grand dictionnaire universel du XIXe siècle (1874-1875), au mot Montparnasse : « L’établissement le plus curieux du quartier est le restaurant de La Californie qui n’est qu’un vaste hangar muni de tables et de bancs massifs. Autrefois on se défiait si bien des consommateurs que les ustensiles de table, l’assiette, et le gobelet étaient rivés au bois par une chaine de fer, ce qui n’empêchait la clientèle d’être fort nombreuse« .

Feuillet consacré à La Californie, issu de la collection Adolphe L’Esprit (source : Ville de Paris/Bibliothèque historique).

En parlant des consommateurs qui fréquentent La Californie, Delvau décrit : « Ainsi, le pauvre honnête y coudoie le rôdeur de barrières, l’ouvrier laborieux y fraternise avec le gouâpeur(3) ; le soldat y trinque avec le chiffonnier, l’invalide avec le tambour de la garde nationale, le petit rentier avec l’ouvreuse de loges. C’est un tohu-bohu à ne pas s’y reconnaitre, un vacarme à ne pas s’y entendre, une vapeur à ne pas s’y voir.« 

Dans La France du 22 février 1875, on peut lire que Victor Hugo (1802-1885) aurait déjeuné à La Californie le 18 avril 1842. Est-il venu y faire une étude de mœurs et croquer quelques profils typiques du Paris populaire pour un de ses romans ou l’une de ses pièces ? On peut l’imaginer, car c’est la période où il se heurte aux difficultés matérielles et humaines.

Au menu de La Californie

Depuis toujours La Californie est la cantine destinée « aux ouvriers, aux travailleurs des rues, aux chiffonniers et à tous les pauvres diables qui se présentent. Là moyennant dix centimes – deux sous – payés d’avance, on reçoit un plat de viande que l’on peut manger debout ou emporter dans les deux grandes salles destinées aux consommateurs. » (L’Ordre de Paris, 25 novembre 1873)

Les témoignages sur la nourriture servie à la Californie sont parfois contradictoires. Alfred Delvau écrit : « Pour entrer dans ces hôtelleries de bas étage, il faut avoir nécessité bien urgente de repaître, c’est-à-dire avoir les dents aiguës, le ventre vide, la gorge sèche et l’appétit strident. » Et poursuit : « La cuisine de la Californie a affaire à des estomacs robustes et à des palais ferrés, — et non à des gourmets et à des délicats. Tels gens, tels plats. Le populaire ne connaît qu’une chose : le fricot. » Le plat principal est donc un ragout de viande avec des pommes de terre.
Charles Virmaitre raconte en 1887 que « la nourriture était excellente et la cuisine fort propre, la mère Cadet était impitoyable à ce sujet, elle boitait outrageusement, on l’avait surnommée la mère cinq et trois font huit(4), quand elle arrivait, les cuisinières criaient tout bas [sic] : Gare v’là le gendarme !

A en croire Delvau, « 5 000 portions sont servies par jour découpées dans un bœuf, dans plusieurs veaux et dans plusieurs moutons.
8 pièces de vin,— pour aider ces 5,000 portions à descendre là où faire se doit.
1 000 setiers de haricots par an.
2 000 setiers(5) de pommes de terre,
55 pièces de vinaigre d’Orléans — ou d’ailleurs.
55 pièces d’huile à manger, dans la composition de laquelle le fruit de l’olivier n’entre absolument pour rien
« .

A La Californie, il existe un abattoir et la viande toujours fraiche est découpée sur place. Une cinquantaine de femmes s’emploient à éplucher les légumes et les ragoûts sont préparés dans des marmites aussi grandes que des cuves.

Alfred Delvau parlant de la gravure de Léopold Flameng qui représente le réfectoire de La Californie : « Je ne puis que constater l’exactitude de son dessin et la véracité de son récit. Il raconte bien ce qu’il a vu et ce qui est visible tous les jours à l’œil nu, — depuis neuf heures du matin jusqu’aux dernières heures de la journée. Allez-y demain, allez-y après-demain,— vous y rencontrerez les mêmes acteurs jouant la même pièce : elle est encore au répertoire pour longtemps !« 

« En tout cas, on ne saurait se montrer exigeant — vu la modicité du prix des plats. Savez-vous que pour huit sous on peut dîner — et même copieusement — à La Californie ?… »

Alfred Delvau précise en note de son article que l’annexion en 1860 des communes de la banlieue à Paris va modifier l’organisation de La Californie. Son propriétaire, M. Cadet, paye à la commune de Montrouge une redevance quotidienne de 152 francs. Une fois dans Paris, il lui faudra payer à la ville la somme de 400 francs par jour, de quoi réduire considérablement ses marges.

Dans Le Nouvelliste de Bellac du 19 octobre 1872, on apprend le décès du chef cuisinier de La Californie, nommé Baron, qui occupait les fourneaux de l’établissement depuis son origine. L’article rappelle que lors du siège de 1870, « alors que les restaurateurs, traiteurs et marchands de vin avaient épuisé toutes leurs provisions et que les marchés étaient vides, seule La Californie a tenu table ouverte jusqu’à la fin du siège ». On peut se demander ce que le chef cuisinier servait à ses clients.

Et après…

Le Père Cadet décède le 18 février 1875. Plusieurs journaux lui rendent hommage à cette occasion, mais ne sont pas d’accord sur son âge (75 ans pour La France et 79 ans pour Le Gaulois). Il avait déjà passé le flambeau depuis la fin des années 1860.

En 1906, un décret prévoit le prolongement de la rue du Départ jusqu’à l’avenue du Maine, entrainant la destruction de plusieurs bâtiments. Dans le compte rendu de la commission du Vieux Paris du 25 mai 1907, Pierre Louis Tesson (1855-1923) rappelle l’histoire de ce pâté de maisons et de La Californie. La commission décide alors d’en prendre une photo avant sa destruction. Grâce à l’aide des documentalistes des fonds d’archives de Paris, j’ai pu identifier la photographie qui a été prise du 41 avenue du Maine en juillet 1907.

De nos jours l’environnement a bien changé…


(1) L’enceinte de Thiers se situe alors entre les actuels boulevards des Maréchaux et l’emplacement du boulevard périphérique.
(2) Rien qu’en 1848-1849, 76 tonnes d’or sont extraites dans cet état des États-Unis. Référence : Philippe Jacquin, Daniel Royot, Go West ! (p. 130)
(3) Gouâpeur : gourmand, libertin, ivrogne.
(4) Expression pour évoquer la démarche bancale d’un boiteux.
(5)
Le setier est une ancienne mesure de capacité, de valeur variable suivant les époques, les régions, et la nature des marchandises mesurées. L’auteur précise que dans le cas des pommes de terre, il est de 132 kg au setier.

Les références pour cet article : « Les barrières de Paris » dans Le Siècle (20 février 1857), La Californie dans « Paris qui s’en va et Paris qui vient » (1859-1860) de Alfred Delvau, chronique dans La Patrie (15 juillet 1860), La Californie dans « Histoire anecdotique des cafés et cabarets de Paris » (1862) de Alfred Delvau , « Vulgarisation de la science » dans Le Tintamarre (15 février 1863), fait divers de vol a l’étalage dans Le Petit Journal (10 mars 1867) et dans Le Figaro (11 mars 1867), arrestation de deux malfaiteurs dans Le Soir (7 janvier 1872), brève dans Le Gaulois (21 février 1875), hommage au Père Cadet dans La France (22 février 1875) et Le Soleil (24 février 1875), « Quelques gargotes » dans Le Petit Journal (23 février 1875), une brève dans Le Soir (25 février 1875), « Coups de sifflet » dans Le Sifflet (28 février 1875), « Paris qui s’efface » (1887) de Charles Virmaitre, « Paris, promenades dans les vingt arrondissements » (1892) de Alexis Martin (p. 86), « Artistes et gens de lettres » dans Paris (8 septembre 1900), « Disparition de la Californie » dans Le Soir (30 septembre 1907), brève dans La Libre Parole (30 septembre 1907), « La vie sur les barrières » dans L’Éclair (25 avril 1909), « Soirée d’adieu au théâtre Montparnasse » dans Comœdia (30 juillet 1924), « La cité californienne, le restaurant pittoresque du père Cadet » dans L’Intransigeant (8 août 1925), Le cabaret de la Californie (1849-1869) dans « Montparnasse, hier et aujourd’hui » (1927) de Jean Émile-Bayard, « Montparnasse Again » dans The Chicago Tribune and the Daily news (21 août 1927), « Montparnasse jadis et aujourd’hui » dans La Liberté (21 septembre 1927), « A la recherche du quartier le moins cher de Paris » dans L’Ami du peuple du soir (13 mai 1932), « Les collines de Paris » dans Le Monde illustré (29 août 1936), liste des maires de Montrouge.

La manufacture d’orgues Cavaillé-Coll

La réputation des orgues Cavaillé-Coll n’est plus à faire, mais savez-vous que plusieurs des orgues emblématiques de cette illustre maison ont été fabriqués dans le quartier du Montparnasse ?

Illustration de l’hôtel particulier et des ateliers d’Aristide Cavaillé-Coll, situés au 13-15 avenue du Maine, dans le 15ème arrondissement à Paris (source : Loïc Metrope, « La Manufacture d’Orgues Cavaillé-Coll, Avenue du Maine »)

Une déambulation dans le quartier du Montparnasse est souvent l’occasion de remarquer une plaque sur l’histoire passée du lieu. Vous l’aurez peut-être compris, j’aime beaucoup partir de ce type d’indice, aussi infime soit-il, pour remonter le fil du temps et voir ce qu’internet me permettra de trouver. Ainsi au 15 avenue du Maine dans le 15ème arrondissement de Paris, trouve-t-on une plaque qui indique « Ici étaient les ateliers d’Aristide Cavaillé-Coll, facteur de Grandes Orgues 1811-1899« . En l’occurrence, l’exercice n’a pas été trop difficile car les orgues Cavaillé-Coll sont réputés et de nombreux sites existent sur le sujet. Comme toujours cet article met en avant le lien avec le quartier du Montparnasse.

La tradition familiale

Aristide Cavaillé-Coll nait le 4 février 1811 à Montpellier dans une famille de facteurs d’orgues qui remonte à l’époque du dominicain Joseph Cavaillé (1700-1767), frère de l’arrière-grand-père d’Aristide.

Portrait d’Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) peint par François Grenier en 1850 (crédit photo : Emmanuel Grevaux, 1921 – source : BnF Gallica)

Grâce à ses compétences scientifiques et des expériences dans différents ateliers, il devient lui aussi constructeur d’instruments guidé par de solides principes de mathématiques et de physique. Il se distingue pour ses hautes compétences techniques et pour les innovations qu’il a introduites dans la construction des instruments. Il s’est fait des amis parmi les scientifiques, les littéraires, les peintres. En 1833, Aristide vient conquérir le marché de la capitale. Dans un premier temps, son atelier est installé au 14 rue Neuve-Saint-Georges dans le 9ème arrondissement, près de l’ église Notre-Dame-de-Lorette. Son premier ouvrage majeur est l’orgue de la basilique de Saint-Denis, construit entre 1837 et 1841.

En avril 1854, Aristide Cavaillé-Coll déménage l’atelier au 94 rue de Vaugirard, dans le 6ème arrondissement, à l’emplacement de l’actuel 123 rue de Rennes.

L’atelier est aménagé à l’intérieur de l’ancienne Salle de Concerts Spirituels, ancien siège du Conservatoire de Musique religieuse, où le facteur d’orgue a à sa disposition une grande salle avec un haut plafond. En 1856, Aristide fonde et prend la direction de la société anonyme A. Cavaillé-Coll Fils & Cie.

L’atelier de l’avenue du Maine

En 1866, l’entreprise doit quitter les locaux de la rue de Vaugirard, le bâtiment étant exproprié pour être démoli dans le cadre du prolongement de la rue de Rennes.

L’avocat de Cavaillé-Coll plaide pour 750 000 francs d’indemnisation, mais le tribunal tranche pour 500 000 francs. 
En 1868, Aristide Cavaillé-Coll achète un terrain de 2279 m², clos de murs, situé au 15 avenue du Maine pour en faire son nouveau siège social. Anciennement à l’usage d’un bal public et d’un limonadier, le site est composé d’un jardin arboré, d’une maison, qui devient la résidence du facteur d’orgue, d’une ancienne salle de danse, transformée en salle d’exposition des nouveaux instruments, et de divers bâtiments utilisés pour l’industrie. Le temps des travaux, Aristide Cavaillé-Coll loue une maison juste en face, sise impasse du Maine (l’actuelle rue Antoine Bourdelle).

En 1876, un départ d’incendie s’est déclaré chez le facteur d’orgue de l’avenue du Maine. Heureusement la catastrophe a été évitée, comme on peut le lire dans La Liberté du 26 décembre :

Les orgues emblématiques

Grâce à la renommée acquise avec la construction de l’instrument de la basilique de Saint-Denis inauguré en 1841, il reçoit de nombreuses commandes. Ses réalisations les plus célèbres sont les orgues majeures de l’église Saint-Sulpice (1862) et de la cathédrale Notre-Dame (1867) à Paris et de l’église abbatiale Saint-Ouen à Rouen.

Grand orgue de Saint-Sulpice, travaux en cours par Charles Mutin, 1920 (Photo : Eugène Atget)

Le grand orgue de l’église Saint-Sulpice, à quelques rues de Montparnasse, dans le 6ème arr., a été construit par François-Henri Clicquot (1732-1790) entre 1776 et 1781 et installé derrière le buffet dessiné par Jean-François Chalgrin (1739-1811), orné des statues de Clodion (1738-1814). L’instrument fut reconstruit en 1862 par Aristide Cavaillé-Coll en réutilisant ce que ses prédécesseurs avaient conservé de l’orgue de Clicquot (crédit : Eugène Atget – source : BnF Gallica)

Avec 102 jeux et environ 7300 tuyaux, l’orgue de Saint-Sulpice était le plus grand de France lors de sa fabrication. Aujourd’hui, il est le troisième plus grand orgue de France, après ceux de Saint-Eustache et de Notre-Dame.
Dans cette vidéo, écoutez l’orgue de Saint-Sulpice tout en découvrant les coulisses de l’instrument :

Au cours de sa vie de chef d’entreprise, Aristide Cavaillé-Coll a construit quelques 500 instruments pour les églises, les salles de concerts ou les salons privés. Certains instruments ont même vocation à partir à l’étranger, comme on peut le lire dans les colonnes de L’Opinion nationale du 4 avril 1872, sous la plume de J.-A. Barral : « La construction des instruments de musique est une des industries qui gardent en France une supériorité marquée. Cela est surtout vrai pour celle des grandes orgues ; et nous venons de le constater encore en assistant, il y a quelques jours, dans la grande salle de la manufacture de M. Cavaillé-Coll, avenue du Maine, à l’audition d’un orgue qui a été commandé à cet habile constructeur par l’église du Sacré-Cœur de Valparaiso (Chili).« 

Audition d’un orgue à la manufacture Cavaillé-Coll (source : L’Illustration, n° 1411, Volume 55, 12 mars 1870)

Avant que l’instrument ne soit livré à son propriétaire, la fin de la construction d’un orgue donne lieu à des auditions publiques, sur le site de l’avenue du Maine, annoncées dans la presse.

Comme on peut le lire dans La Liberté du 17 juin 1881, la manufacture propose aussi les concerts des élèves de l’école de musique fondée en 1853 par Louis Niedermeyer.

Les auditions à la manufacture Cavaillé-Coll de l’orgue monumental destiné à la basilique Saint-Pierre de Rome est l’occasion pour Louis Hadolff de retracer, dans le quotidien Paris du 31 août 1887, l’histoire des orgues aux travers des âges.

Le grand orgue de Notre-Dame de Paris qui a été reconstruit par Cavaillé-Coll de 1863 à 1868 a été restauré par le même facteur en 1894 (à lire dans La Liberté du 28 juillet 1894).

La succession

Le Maison Cavaillé-Coll a été plusieurs fois au bord de la faillite. Le 28 janvier 1891, avec la mort de Gabriel Reinburg, le meilleur intoner* de l’entreprise, la manufacture entame un rapide déclin. Endetté, la liquidation judiciaire frappe Aristide en 1892. Un concordat le sauve tout juste :

Mais les dettes sont trop importantes. Un jugement rendu le 5 novembre 1891 par la chambre de saisies immobilières du Tribunal civil de la Seine confirme l’adjudication de l’immeuble le 8 février 1892. Par la suite, les ateliers et les machines sont vendus au riche marchand Émile Cholet, fils d’un boulanger de Gien. La survie du facteur d’orgue l’intéresse à la condition de ne pas perdre trop d’argent. Ainsi il permet à Aristide Cavaillé-Coll de poursuivre la fabrication d’orgues contre le versement d’un loyer. Par ailleurs, la maison est attribuée à l’Institution de Barral, une école privée en charge de l’enseignement scolaire de plus de cent jeunes filles, de 10 à 20 ans, spécialement anglaises et roumaines.

Aucun de ses fils n’étant repreneurs, Aristide vend l’entreprise le 18 juin 1898 à Charles Mutin (1861-1931), un de ses collaborateurs depuis plus de deux décennies. Mutin restera à la direction de la manufacture d’orgues jusqu’en 1924.

Le dernier grand orgue construit par Cavaillé-Coll est celui installé en 1898 dans le gigantesque château du Baron Albert de l’Espée (1852-1918) à Biarritz, le richissime misanthrope ayant développé une passion inconsidérée pour cet instrument. Plus tard l’instrument a été vendu à la basilique du Sacré-Cœur de Paris .

Suite à la vente de son entreprise, Aristide Cavaillé-Coll emménage dans un appartement au 21 rue du Vieux-Colombier, avec sa fille Cécile. L’année suivante, le 13 octobre 1899, il y décède.

Les obsèques ont eu lieu le 16 octobre en l’église Saint-Sulpice et le même jour le corps est enterré dans la tombe familiale, au cimetière de Montparnasse. Il était considéré comme le plus grand représentant de la construction d’orgue romantique français et l’un des plus importants constructeurs d’organes de tous les temps.

Même après le décès de son fondateur, la maison Cavaillé-Coll restaure encore des orgues emblématiques comme celui de la Madeleine (Le Journal, 9 décembre 1927) ou celui de Notre-Dame à Paris (L’Aube, 1er juin 1932) :

Malgré les différentes tentatives pour renflouer l’entreprise, la faillite de la manufacture d’orgues Cavaillé-Coll, Mutin, A. Convers & Cie est annoncée dans la presse (Le Petit Journal, 12 décembre 1930)

Charles Mutin n’aura pas survécu longtemps après la liquidation de l’entreprise dans laquelle il a travaillé depuis l’âge de 14 ans. Il décède le 29 mai 1931 à Paris. L’Intransigeant lui rend hommage le 7 juin.

Jusqu’à nos jours…

Dans Le Journal du 28 juillet 1939, on apprend que les anciens ateliers Cavaillé-Coll servent de lieu de répétition. Voici la description qui en est faite : « pièces vétustes où flottent parmi les lambeaux d’étoffe de glorieux souvenirs. Les chaises modernes et neuves, les pupitres brillants semblent autant de fausses notes en ce lieu vénérable et décrépit« .


"La manufacture d'orgues Cavaillé-Coll, avenue du Maine" par Loic Metrope

"La manufacture d'orgues Cavaillé-Coll, avenue du Maine" 
par Loïc Metrope
Ouvrage paru en 1988, épuisé mais disponible en version numérique

*L’intoner est celui qui travaille la sonorité des tuyaux de l’orgue.

Les sources pour cet article : l’article « Les orgues Cavaillé-Coll » par Loïc Métrope dans l’ouvrage « Montparnasse et le XIVe arrondissement » (pp. 181-184), les sites de l’Association Aristide Cavaillé-Coll , « La semaine musicale » (La Presse, 1er avril 1900, p. 3), « L’orgue » (Comœdia, 30 juin 1929, p.2)