Les années folles à La Coupole

Inaugurée le 20 décembre 1927, « La Coupole » est la plus grande brasserie-restaurant de Montparnasse. Depuis plus de 90 ans, célébrités et anonymes s’y donnent rendez-vous. Découvrons un pan de son histoire…

Le jour-même où La Coupole, cette prestigieuse brasserie parisienne du 14e arrondissement de Paris, célébrait ses 70 ans, je posais mes valises dans le quartier du Montparnasse.

Toute à mon installation, je n’ai aucun souvenir de la fête qui a rassemblé près de 2000 personnes le 2 décembre 1997. De toute façon à l’époque, comme aujourd’hui, je ne fréquentais pas d’établissements de cette catégorie. Une seule fois, j’ai eu la possibilité de diner à La Coupole, une parenthèse qui m’a confirmé que c’était un autre monde. Depuis le début, on vient à La Coupole pour se restaurer ou prendre un café-crème, selon sa bourse, retrouver des amis ou faire des affaires, mais surtout pour voir et être vu… et de nos jours aussi un peu pour retrouver l’esprit du lieu.

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La Coupole dans les années 1930 (crédit : Hulton Archive – Source : Getty Images).

Le carrefour Vavin s’agrandit

Pour parler de la naissance de La Coupole, il faut se replonger dans le Paris des années 1920. Après la premières guerre mondiale, Montparnasse est le quartier à la mode. Le monde des lettres et des arts se retrouvent à la Closerie des Lilas, depuis la fin du 19e siècle, au Dôme, fondé en 1898, à la Rotonde, ouvert en 1903, ou au Select, inauguré plus tardivement en 1923, pour ne citer que ceux encore en activité de nos jours. Avec l’ouverture du Jockey en 1923, il est aussi possible de faire la fête une bonne partie de la nuit.
A la même époque deux beaux-frères, Ernest Fraux (1886-1960) et René Lafon (1898-1998), qui ont déjà tenus plusieurs bistrots, comme le Petit-Bar(1), 351 rue de Vaugirard, puis le Bar-Parisien, boulevard de Clichy, cherchent à retourner rive gauche. Pendant un temps ils prennent la gérance du Dôme. Ils y retrouvent beaucoup d’artistes qu’ils ont connus pauvres lorsqu’ils tenaient le Petit-Bar près de La Ruche, le phalanstère d’artistes du 15e arrondissement, et beaucoup d’anciens clients de Montmartre attirés par le succès de Montparnasse. Ils se plaisent beaucoup dans le quartier et cherchent à s’y installer. Ils avaient pour objectif de racheter Le Dôme. Deux fois ils se mettent d’accord sur un prix de vente avec le propriétaire, mais par deux fois Paul Chambon se rétracte. Ne parvenant à reprendre une affaire existante, pourquoi ne pas en monter une de toute pièce ? Le seul espace disponible dans le périmètre du carrefour Vavin (c’est-à-dire le croisement des boulevards Montparnasse et Raspail) est l’affaire Juglar, un vaste dépôt de bois et de charbon au 102 du boulevard Montparnasse(2).

A moins de venir s’y ravitailler, les passants préfèrent éviter le trottoir noir de charbon. A l’époque le bruit court qu’on va y construire un garage.
Finalement Fraux et Lafon font affaire avec le propriétaire et éditeur, Joseph Gabalda (1863-1932) et obtiennent un bail de vingt ans avec promesse de vente à 2 300 000 francs (soit 8 800 euros environ), un loyer mensuel pour le terrain de 800 m² et l’autorisation de construire sur l’emplacement.

Vers 1930, l’enseigne « Charbons Juglar » à gauche indique toujours le chantier disparu sur le trottoir d’en face où se trouve à présent « La Coupole » (crédit : Roger-Viollet – source : Paris en images).

Fort de leurs expériences et partant de zéro, Fraux et Lafon voient grand, très grand : un restaurant sur deux niveaux, un bar, une terrasse de 30 mètres de long sur 3,5 m de trottoir et un dancing en sous-sol, soit 2500 m² de surface.

Sur ce plan de La Coupole, on note la terrasse à droite, les cuisines de forme triangulaire, à gauche, ainsi que la fontaine centrale.

Pour le projet ils choisissent les architectes Barillet et Le Bouc. Les deux fondateurs tiennent à ce que la grande salle ait cinq mètres de hauteur pour ne pas être gêné par la fumée de cigarette, car à l’époque on pouvait fumer dans les restaurants. Le chantier débute en janvier 1927. Pour soutenir la bâtisse de deux étages, vingt-quatre piliers s’enfoncent à plusieurs mètres de profondeur. Des fondations d’autant plus nécessaires que le sous-sol de la zone est truffée d’anciennes carrières.

Pour la décoration intérieure, Alphonse-Louis Solvet et son fils Paul, qui ont déjà travaillé à la Closerie des Lilas, sont aux manettes et prévoient un décor Art déco, mouvement artistique à la mode à partir de la fin de la première guerre mondiale. On retrouve cette inspiration notamment dans les mosaïques du sol et les luminaires.

Le sol en mosaïque du bar, à gauche, a un motif différent de celui de la brasserie et du restaurant, à droite (crédit : Les Montparnos, mars 2021)

Les lustres art déco sont réalisés par le maitre verrier Jean Perzel (1892-1986) – (crédit : Pierre André Leclercq, mai 2014 – source : Wikimedia)

Pour la vaisselle, les décorateurs optent pour de la porcelaine de Limoges aux couleurs du restaurant.

La décoration des trente-deux piliers et pilastres de la grande salle est confiée à une trentaine d’artistes de Montparnasse, pour la plupart élèves de Matisse, Fernand Léger et Othon Friesz, et coordonnés par le peintre Alexandre Auffray (1869-1942). Les toiles sont marouflées sur les faces supérieures des piliers, La Coupole devenant ainsi une sorte de galerie permanente, représentant les courants artistiques d’alors. Les artistes de cette décoration collective ne sont pas bien identifiés, car la seule signature visible est celle du suédois Isaac Grünewald (1889-1946) (3). La mémoire orale retient les noms de Marie Vassilieff (1884-1957), Louis Latapie (1891-1972), Auguste Clergé (1891-1963), Maurice Louis Savin (1894-1973), Jules-Emile Zingg (1882-1942), David Seifert (1896-1980), Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956), …

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La grande salle de La Coupole après la rénovation, en 1988 (crédit : Sergio Gaudenti / Sygma – source : Getty Images).

Quand vient le moment de choisir le nom du restaurant, il se raconte que l’architecte Le Bouc propose « La Coupole« , argumentant que dans le quartier il y a déjà un dôme et une rotonde. La référence à la coupole, plus académique, du quai de Conti n’est pas pour déplaire aux propriétaires du restaurant.

La grande salle de La Coupole à son origine en 1927 (crédit : non identifié – source : « La Coupole, 60 ans de Montparnasse »)

L’inauguration est fixée au 20 décembre 1927. 3000 invitations ont été envoyées. 1200 bouteilles de champagne sont prévues, ainsi que 10 000 canapés, 1000 saucisses et 800 gâteaux. Tout le personnel est sur le pont et se demande si les invités seront au rendez-vous. En effet ce jour-là, il pleut et le trottoir est une vraie patinoire, en raison du froid mordant. Mais la curiosité a été la plus forte et le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Le tout Paris est présent, si bien qu’à minuit le champagne est en rupture et les convives passent aux apéritifs et vins, vidant ainsi les caves de La Coupole. L’inauguration est un succès !

A partir de cette date, La Coupole est ouvert jour et nuit et dès le lendemain de l’inauguration il faut accueillir les premiers curieux venus découvrir ce nouveau lieu hors norme.
En entrant à La Coupole, on trouve à droite le restaurant, au centre la brasserie et à gauche, le bar. La brasserie ne diffère du restaurant que par les nappes qui sont en papier et sur lesquelles on peut griffonner.
Le quartier étant très cosmopolite, Fraux et Lafon proposent des journaux de tous les pays d’origine de ses clients, ainsi que des plats internationaux. Parmi les spécialités de la maison, vous pouvez choisir notamment entre les harengs pommes à l’huile, la choucroute spéciale ou le curry d’agneau. Certains plats sont apportés par un serveur en costume d’apparat, comme pour le curry d’agneau préparé devant les convives par un serveur en habit indien.

Ali dans l’un des douze costumes d’apparat avec lequel il sert le café Cona à La Coupole. Il décèdera des suites d’une opération bénigne et ne sera jamais remplacé (crédit : non identifié – source : « La Coupole, 60 ans de Montparnasse »).
Si vous vous posez la question : Cona est une marque de cafetière à siphon populaire en Europe après 1920.

La Pergola

Au printemps 1928, Fraux et Lafon inaugurent au premier étage La Pergola, un restaurant d’été auquel on accède par le grand escalier (aujourd’hui disparu) à droite de la grande salle. Par beau temps le restaurant de plein air est tout à fait agréable et remporte un vif succès. Le problème vient lorsqu’il se met à pleuvoir, puisque les clients retournent en catastrophe dans la grande salle qui bien souvent est déjà bondée. En 1931, les propriétaires de La Coupole font construire un toit coulissant, pour éviter les déboires saisonniers et ouvrir La Pergola toute l’année.

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Cette photographie de 1929 permet de voir le restaurant La Pergola à l’étage de La Coupole alors qu’il était encore en plein air (source : Getty images)

La Pergola est très apprécié pour les diners officiels, comme le gala en l’honneur des aviateurs Jean Assolant (1905-1942), René Lefèvre (1903-1972) et Armand Lotti (1897-1993) qui ont réalisé le 13 juin 1929 la première traversée française de l’Atlantique Nord.

Le boulodrome du toit de La Coupole servira aussi aux amateurs de pétanque.

Pour jouer à la pétanque sur le toit de La Coupole, le peintre graveur Othon Friesz (1879-1949) est souvent entouré des artistes Edmond Ceria (1884-1955), Charles Despiau (1874-1946), Maurice Savin (1894-1973), Henri Hayden (1883-1970) et Henry de Waroquier (1881-1970), mais sont-ils sur cette photo ? (crédit : non identifié – source : « La Coupole, 60 ans de Montparnasse »)

Le Dancing

A peine un an après l’inauguration, Ernest Fraux et René Lafon ouvrent le dancing au sous-sol. Au programme jazz et tango. Originalité du lieu ? Des miroirs sont installés au plafond, si bien que les danseurs se voient en double. On l’appelle le Dancing à l’envers.

Le dancing de La Coupole (photo du haut) sert de décor de tournage pour le film de Claude Lelouch « Edith et Marcel » (photo du bas) sorti en salle en 1983.

Rendez-vous à La Coupole

Depuis son inauguration la brasserie est ouverte 24h sur 24. Une journée à La Coupole se déroule toujours un peu sur le même rythme, ponctuée de fêtes ou de disputes mémorables et différents publics et nationalité se côtoient. Certains préfèrent venir le matin pour le petit-déjeuner et la lecture des nouvelles du jour. A midi, les hommes d’affaires et les politiques viennent déjeuner. Dans l’après-midi, les amis se retrouvent pour le thé, parfois dansant. En soirée le tout Paris des lettres et des arts, et la bourgeoisie se donnent rendez-vous à La Coupole. Les célébrités telles Mistinguett, Joséphine Baker, les muses telles Kiki de Montparnasse ou Youki, les artistes comme Foujita, Léger, Picasso, Matisse, Giacometti ou les écrivains Hemingway, Dos Passos, Aragon et tant d’autres ont fait la réputation internationale de cette brasserie.

Tel poète obscur, tel peintre qui veut réussir à Bucarest ou à Séville, doit nécessairement, dans l’état actuel du Vieux Continent, avoir fait un peu de service militaire à la Rotonde ou à la Coupole, deux académies de trottoir où s’enseigne la vie de Bohème, le mépris du bourgeois, l’humour et la soulographie.

Léon Paul Fargue, « Le piéton de Paris » (1939)

La fin d’une époque

Premier coup dur pour le quartier Montparnasse : venus à Paris pour échapper à l’Amérique puritaine et la prohibition, les artistes et écrivains des États-Unis se sont retrouvés à Montparnasse, mais le krach financier d’octobre 1929 les oblige pour la plupart à rentrer, la manne financière s’étant tarie.

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Le restaurant de La Coupole de nuit en janvier 1939 (crédit : Keystone-France / Gamma-Keystone – source : Getty Images)

Le 1er septembre 1939, avec l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes et la mobilisation générale, une chape de plomb s’abat sur l’Europe, sur Paris et sur Montparnasse. Du jour au lendemain La Coupole entre dans une période difficile. Ernest Fraux et René Lafon décident de fermer La Pergola. Le dancing devient un restaurant avec orchestre. Le service 24/24 est terminé, La Coupole ferme à 23h, couvre-feu oblige. Les années folles sont belles et bien finies.

La Coupole au fil des années

Vous l’aurez deviné, La Coupole survit aux années sombres de l’occupation allemande (5). Cette période est racontée dans « La Coupole, 60 ans de Montparnasse » (pp. 141-160), le livre écrit par Françoise Planiol en 1986. Pour ne pas trop vous laisser sur votre faim (ça serait dommage lorsqu’on parle d’un restaurant), vous trouverez ci-dessous quelques images marquant l’évolution de ce lieu emblématique de Montparnasse.

Le boulevard du Montparnasse, à la hauteur de la rue Péguy (6e arr.), en direction de Port-Royal. Sur le trottoir de droite, on reconnait la terrasse de La Coupole (14e arr.). Si on se base sur les voitures stationnées sur le boulevard, la photo date vraisemblablement des années 1940-1950 (crédit : Noël Le Boyer – source : Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diff. RMN-GP).

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La brasserie La Coupole à Montparnasse en janvier 1968 avec sa terrasse fermée. On remarque que le trottoir est beaucoup plus étroit (crédit : Keystone-France/Gamma-Keystone – source : Getty Images). Au printemps de cette année-là, René Lafon a craint pour ses vitrines lorsque le cortège des manifestants de mai 1968 passait sur le boulevard.

En 1988, après 60 ans à sa direction, René Lafon cède La Coupole à Jean-Paul Bucher (1938-2011), patron du groupe Flo, avec l’assurance que les usages de la brasserie seront maintenus.

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Le 5 janvier 1988, Jean-Paul Bucher, Président du groupe Flo (à gauche), a racheté le restaurant « La Coupole » à René Lafon qui l’avait créé et le gérait avec son fils Jean (crédit : Daniel Simon / Gamma-Rapho – source : Getty Images).

La même année, à la faveur de la restauration du lieu une opération immobilière est réalisée. Un immeuble de six étages de bureaux est ajouté au dessus de La Coupole au rez-de-chaussée.

La Coupole a été réhabilité en 1988 à l’occasion de la surélévation du bâtiment : six niveaux de bureaux, derrière une façade censée rappeler l’architecture des années 1930 (crédit : Les Montparnos, mars 2021)

En façade, une entrée centrale est ajoutée. La coupole en verre au centre du plafond de la grande salle est obstruée. L’escalier qui menait à La Pergola au premier étage est supprimé et à la place un 33e pilier encastré dans le mur, ou plutôt un pilastre, est ajouté.

Suivant le principe des autres piliers de la grande salle, on demande à Michel Bourbon de le décorer. Il réalise une toile en hommage aux Montparnos qui ont fait le succès de La Coupole. On peut reconnaitre notamment Kiki de Montparnasse, Pascin, Foujita, Ernest Hemingway, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Marie Vassilieff, Giacometti et René Lafon, le cofondateur du lieu.

La restauration permet également de retrouver le lap(4) d’origine de couleur verte des quatre piliers centraux. En effet en août 1944, la teinte avait été jugée trop proche de celle des uniformes de l’occupant et les piliers avaient été peint en rouge grenat, comme on peut le constater dans la séquence du film « La Boum » tournée dans la grande salle de La Coupole.

Dans le film « La Boum » sorti en salle en 1980, une scène avec Denise Grey, Sophie Marceau et Robert Dalban a été tournée à La Coupole. On note qu’à l’époque les piliers sont peints en rouge (source : photogrammes extraits du film).

Restée soixante ans, de 1927 à 1987, entre les mains des fondateurs, La Coupole va changer plusieurs fois de propriétaires. Après le groupe Flo en 1988, c’est le financier belge Albert Frère qui reprend le restaurant en 1995, pour finalement le revendre au groupe Bertrand en 2017.

Dans la grande salle de La Coupole la fontaine centrale a été remplacée par « La Terre » (1994), une sculpture de Louis Derbré (1925-2011). En 2008, la coupole de 8,5 mètres de diamètre au centre du plafond a été peinte par quatre artistes représentant les quatre points cardinaux : pour le nord/l’Europe, la française Carole Benzakem, pour le sud/ l’Afrique, le marocain Fouad Bellamine, pour l’est/l’Asie, le chinois Xiao Fan et pour l’ouest/les Amériques, l’argentin Ricardo Mosner (crédit : Les Montparnos, mai 2013)

Ce dernier rachat est marqué par une nouvelle inauguration le 26 septembre 2018 donnant lieu à une grande fête costumée :

En 2019, le reportage du magazine Sept à Huit sur TF1 dévoile tout une série de chiffres sur la gestion du restaurant. On apprend par exemple que la grande salle compte à présent 330 places et que La Coupole fait travailler 150 salariés, que les serveurs parcourent en moyenne 10 km durant leur service de 8 heures et que le ticket moyen en soirée est de 58 euros. On découvre aussi le fonctionnement des cuisines et de sa brigade en service jusqu’à minuit. La grande spécialité de La Coupole reste depuis ses débuts le curry d’agneau toujours préparé en salle par un serveur en costume indien.
Chaque mois deux tonnes d’huitres et 1000 bouteilles de champagne sont consommés. Le gérant de La Coupole dépense 250 000 euros pour la nourriture et 100 000 euros de loyer mensuel. Pour être rentable, il faudrait donc faire 650 couverts au minium par jour et idéalement un millier. Mais c’est sans compter la crise sanitaire de 2020…

La belle endormie

Avec la fermeture des restaurants pour cause de pandémie de Covid-19, La Coupole ressemble à un navire déserté par ses passagers et son équipage [NDLR : au moment où cet article est paru La Coupole était fermée, depuis elle a heureusement rouvert]. L’immense terrasse abritée est vide. Par mauvais temps, des SDF s’y réfugient.

Dans la grande salle, quelques lumières restent allumées pour le plus grand plaisir des passants qui peuvent, le nez collé aux vitres, jeter un œil à l’intérieur et admirer le décor, au-delà du mur de chaises empilées qui fait barrage. La poussière s’est déposée sur les comptoirs et les tables, le courrier s’accumule à l’entrée et des feuilles mortes se sont glissées sous les portes, mais la splendeur est toujours là.

Pendant la pandémie de Covid-19, comme tous les restaurants, La Coupole est fermée une bonne partie des années 2020 et 2021 (crédit : Les Montparnos, mars 2021)
La cloison qui séparait autrefois le bar, de la brasserie a disparu (crédit : Les Montparnos, mars 2021)

Lorsque les restaurants pourront rouvrir, je vous donne rendez-vous pour un café-crème et pour tenter de retrouver l’esprit des lieux… En attendant de célébrer comme il se doit les 100 ans de La Coupole en 2027 !

La terrasse de La Coupole sur une carte postale ancienne non datée, à gauche, et en mai 2010, à droite. On remarque sur la photo de gauche que le trottoir est bien plus large que de nos jours.

La Coupole – 102 boulevard du Montparnasse – 75014 Paris – 01 43 20 14 20 – Site
Le 12 janvier 1988, la grande salle de La Coupole est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

En savoir plus



La Coupole, 60 ans de Montparnasse
de Françoise Planiol, éd. Denoël, 1986
A six ans et demi, quand Françoise Planiol va pour la première fois à La Coupole c'est avec son grand-père pour prendre le thé. Elle y rencontre alors M. Lafon, l'un des fondateurs. Par la suite elle y est retournée de nombreuses fois. Elle raconte...


Visite virtuelle de La Coupole
En attendant de pouvoir se rendre sur place, visitez virtuellement la grande salle et le dancing de La Coupole. 

(1) Le Petit-Bar est proche de la Ruche (rue Dantzig) où beaucoup d’artistes ont leur atelier et bien souvent Ernest Fraux offre le café aux peintres et sculpteurs sans le sou.
(2) A cet emplacement, sous Louis XVI, poussaient les derniers arpents de vigne de l’enceinte des Fermiers-généraux.
(3) La restauration de la grande salle en 1988 a permis d’en savoir un peu plus sur les artistes qui ont décoré les piliers de La Coupole.
(4) Le lap, pour « l’art antique des lapidaires », est un procédé imitant le marbre, mis au point par le physicien Jean-Charles Séailles et son épouse Spéranza Calo, il incorpore des feuilles de cuivre, d’argent, d’or ou de platine qui donnent un effet brillant. La restauration des piliers de La Coupole a été menée par l’artisan d’art Pierre Séailles, fils des inventeurs.
(5) En 1976, Joseph Losey tourne, à La Coupole, une scène de « Monsieur Klein » avec Alain Delon. La grande salle replonge dans l’ambiance de l’occupation le temps d’un tournage.

Les autres sources de cet article : « Les gaîtés de Montparnasse » (Le Carnet de la semaine, 6 mai 1928), « A Montparnasse : à La Coupole » (Excelsior, 24 déc. 1928), avis de création de la SARL Fraux et Lafon (Le Droit, 15 déc. 1928), « Le Coupole » de Emmanuelle Corcellet, Pierre-Jean Remy et Alain Weill (éd. Albin Michel, 1988), « Montparnasse, l’âge d’or » de Jean-Paul Caracalla (éd. La Table ronde, 2005, pp. 99-107), « La coupole de La Coupole » (RFI, 20 oct. 2008), « Montparnasse, les lieux de légende » de Olivier Renault (éd. Parigramme, 2013, pp. 20-25), l’émission « Lieux de mémoire » sur la Coupole de Montparnasse (59 min) sur France culture du 23 octobre 1997, le reportage (7 min) du magazine Des racines et des ailes (18 février 2004), la visite commentée (29 min) par Frédéric Lewino (Le Point, février 2017), le Grand format du magazine 66 minutes (extraits, M6, octobre 2018), le reportage (32 min) du magazine Sept à huit (TF1, 22 septembre 2019), la chanson de Renaud « La Coupole » (1975).

Eugène Atget, photographe

Reconnu comme le père de la photographie moderne, Eugène Atget a documenté en images le Paris en mutation de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Il a habité, près de trente ans, rue Campagne-Première dans le 14e arrondissement de Paris.

Eugène Atget vers 1890 (crédit photo : anonyme – source : BnF).

Longtemps j’ai cru que le photographe Atget était américain et qu’il faisait partie de ces artistes émigrés à Paris au début du 20e siècle. Je prononçais même son nom à l’anglaise. Pourtant Eugène Jean Auguste Atget, dit Eugène Atget (1857-1927), est né le 12 février 1857 à Libourne, en Gironde, dans une famille très modeste d’artisans.

Marchand de journaux sur la place de Rennes, avec l’ancienne gare de l’Ouest, à Montparnasse, en 1898 (crédit : Eugène Atget – source : Gallica – BnF).

Je connaissais ses photographies émouvantes des métiers de Paris sur lesquelles des anonymes posent avec l’attirail de leur profession, ainsi que les images des rues de la capitale avant les grands travaux d’urbanisation, de précieux documents réalisés de manière quasi systématique qui sont autant de témoignages d’un Paris disparu. Je ne savais pas qu’il vouait une passion pour le théâtre et encore moins qu’il avait été mousse.

En découvrant qu’il a habité près de trente ans dans le quartier Montparnasse, au 17 bis rue Campagne-Première (14e arr.), j’ai eu envie d’investiguer.

Marine, théâtre ou peinture ?

Orphelin à l’âge de cinq ans, Eugène Atget est élevé par ses grands-parents maternels. Après sa scolarité, il s’embarque très tôt comme mousse dans la Marine marchande. En 1878, il s’installe à Paris avec l’intention de devenir acteur. Il tente une première fois sans succès d’entrer au Conservatoire nationale de musique et d’art dramatique et commence une carrière d’acteur. Il débute en parallèle son service militaire qui dure à l’époque cinq ans. En 1879, il réussit à entrer au Conservatoire et fait la connaissance d’André Calmettes (1861-1942), acteur, qui restera toute sa vie son ami. Menant de front ses études d’acteur et le service militaire, il échoue à l’examen final du Conservatoire en 1881. Atget passe un an au régiment de Tarbes. En 1882, il est libéré de ses obligations militaires avec un an d’avance et revient à Paris. Il publie une feuille humoristique intitulé Le Flâneur qui aura quatre numéros et dans lesquels il fait quelques dessins.

Couverture du premier numéro de la feuille humoristique Le Flâneur, dirigée par Eugène Atget et dans laquelle il lui arrive de dessiner, comme sur la page de droite (source : Gallica – BnF)

Eugène Atget joue dans une troupe des troisièmes rôles en banlieue parisienne et en province et fréquente les peintres et les artistes. D’ailleurs il s’essaie aussi à la peinture. En 1886, il rencontre Valentine Compagnon (1847-1926), elle aussi actrice, qui partagera sa vie jusqu’à sa mort.

« Cour de maison avec linge séchant », peinture de Eugène Atget (source : Musée Carnavalet, Wikimedia commons)

… Ça sera la photographie

En 1887, victime d’une affection des cordes vocales, il est contraint d’abandonner la pratique du théâtre. En 1888, il s’installe dans la Somme et c’est probablement là qu’il commence à photographier. De retour à Paris en 1890, il décide d’être photographe professionnel, inscrit sur sa porte « Documents pour artistes » et fait publier dans la Revue des Beaux-Arts, en février 1892, une annonce décrivant son travail : “Paysages, animaux, fleurs, monuments, documents, premiers plans pour artistes, reproductions de tableaux, déplacements. Collection n’étant pas dans le commerce”.

Carte de visite de Eugène Atget vers 1892 (source : Exposition Eugène Atget, Voir Paris, 2021)

Loueur de bateaux au jardin du Luxembourg, dans la série « Vie et métiers à Paris », en 1898 ou 1899 (crédit : Eugène Atget – source : Gallica – BnF)

En 1897, il commença la prise de vue systématique des quartiers anciens de Paris et de ses environs, organisant son travail en séries thématiques telles que Petits métiers de Paris, L’Art dans le vieux Paris ou Paris pittoresque.

Au tournant du XXe siècle, les petits métiers de Paris disparaissent progressivement sous l’effet de l’industrialisation et de la diffusion des grands magasins. Photographies de la série « Vie et métiers à Paris » : chiffonnier, rémouleurs et fleuriste (crédit : Eugène Atget – source : Gallica – BnF)

À partir de ces séries, Atget confectionne des albums destinés à la vente. Ces albums sont constitués de feuilles de papier pliées puis brochées, comportant des fentes taillées en biais dans lesquelles Eugène Atget glisse des tirages de 22 x 18 cm.

A gauche, « L’art dans le vieux Paris », un album de 60 photographies prises entre 1908 et 1911 par Eugène Atget et à droite, l’album « Coins du vieux Paris pittoresques et disparus » acquis par le Musée Carnavalet en 1921 (source : Exposition Eugène Atget, Voir Paris, 2021).
Cabaret au 18 rue du Four et au coin de la des Ciseaux dans le 6e arr. de Paris, en 1903 – Page extraite de l’album « Enseignes et vieilles boutiques du vieux Paris » (crédit : Eugène Atget – Source : Gallica-BnF


Il vend ses « documents pour artistes » à des peintres tels que Derain ou Utrillo mais aussi et surtout à des institutions telles que la Bibliothèque nationale et le musée Carnavalet qui lui achètent des milliers d’épreuves entre 1898 et 1927.

En 1898, Atget emménage rue Campagne-Première (14e arr.), dans le quartier du Montparnasse.

Une plaque a été posée sur la façade de l’immeuble dans lequel Eugène Atget a vécu de 1898 à son décès en 1927 au 17 bis rue Campagne-Première, 14e arr. de Paris (crédit : Les Montparnos, octobre 2020).

A l’aube du 20e siècle, Atget photographie les éléments décoratifs des façades, des balcons, des portes, puis travaille sur les cours, les escaliers, les cheminées et les intérieurs d’hôtels particuliers.

Cette série de photos de 1910 est intitulée « Petit intérieur d’un artiste dramatique : M. R., rue Vavin ». Il s’agit en fait du propre intérieur d’Atget qui donne un titre faux pour brouiller les pistes (source : Ville de Paris / Bibliothèque historique)

Pendant la première Guerre mondiale, Atget ne prend progressivement plus de photographies et entrepose ses négatifs sur verre dans la cave de son immeuble afin de les protéger des risques de bombardements. Après la guerre, il reprend la photographie.

La postérité

En 1920, Paul Léon (1874-1962), le directeur des Beaux-Arts achète sa collection sur l’art du vieux Paris et le Paris pittoresque, soit 2 621 négatifs pour 10 000 francs.

A la même époque, Atget rencontre Man Ray (1890-1976), peintre et photographe américain, arrivé à Paris depuis peu et qui habite dans la même rue que lui. L’américain lui achète une quarantaine d’images dont quatre sont publiées en 1926 dans La Révolution surréaliste.

Plusieurs images d’Eugène Atget sont publiées dans la Révolution surréaliste du 15 juin 1926, comme celle en couverture (source : Gallica-BnF)

En 1925, l’assistante de Man Ray, Berenice Abbott (1898-1991) découvre les photographies d’Atget et lui rend régulièrement visite pour lui acheter des tirages.
En 1927, Atget vient se faire tirer le portrait dans le studio de Berenice Abbott au 44 rue du Bac (7e arr.).

Eugène Atget décède chez lui le 4 août 1927. André Calmettes, son ami de toujours, s’occupe de la succession. Berenice Abbott achète en 1928, 1 787 négatifs, les albums et plusieurs milliers de tirages qui restaient chez Atget. Elle emporte ce fonds documentaire aux États-Unis où elle le fait connaître auprès de la génération de Walker Evans (1903-1975). Son statut d’ancêtre et de précurseur de la modernité est consacré par l’acquisition en 1968 de la collection de Berenice Abbott par le Museum of Modern Art (MoMA) de New-York. Aux États-Unis, Atget a considérablement influencé certains photographes tels que Berenice Abbott, Walker Evans, Lee Friedlander (1934-2002) ou Gary Winogrand (1928-1984). C’est peut-être pour cela que j’ai longtemps cru qu’il était américain.

Dans cette vidéo de la série « Une brève histoire de la photographie », on comprend mieux comment Eugène Atget s’inscrit dans la photographie documentaire du 20e siècle.

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Exposition Eugène Atget, Voir Paris
À partir des collections du musée Carnavalet ‑ Histoire de Paris, l’exposition présentée à la Fondation HCB est le fruit d’un long travail de recherche entrepris conjointement par les deux institutions. Le résultat est une exposition exceptionnelle autour de l’œuvre d’Eugène Atget (1857-1927), figure atypique et pionnière de la photographie.
Fondation HCB, du 3 juin au 19 septembre 2021 - Plus d'infos


Exposition virtuelle Eugène Atget
Je vous recommande vivement l'exposition virtuelle sur Eugène Atget, réalisée en 2007 par la Bibliothèque nationale de France (BnF). On y trouve de précieuses informations sur sa vie et son œuvre, ainsi que de nombreux clichés représentatifs de son travail. Le site propose également un dossier pédagogique bien utile pour l'éducation aux images.
Accédez au site


Eugène Atget
La personnalité singulière d'Eugène Atget (1857-1927) est devenue légendaire. Sans avoir reçu de formation, il embrasse la profession de photographe après s'être essayé, sans grand succès, à divers métiers. On peut considérer que ses œuvres marquent les origines de la photographie «documentaire» du XXe siècle.
Ouvrage collectif édité par Gallimard à l'occasion de l'exposition au Musée Carnavalet (18 avril-29 juillet 2012, Paris).

Les sources pour cet article : « An Imager Of Paris » (The Chicago Tribune and the Daily News, New York, 4 novembre 1928), « A New Mythology » (The Chicago Tribune and the Daily News, New York, 10 mars 1929), « Le centenaire de la photographie » (Marianne, 11 janvier 1939), « Eugène Atget » (Les Cahiers du cinéma, janvier 1983), le fonds Eugène Atget sur Gallica-BnF avec plus de 7400 images, les études du site « L’histoire par l’image« , « La photographie au tournant du siècle du Pictorialisme à Eugène Atget » sur le site du Musée d’Orsay, « Atget, figure réfléchie du surréalisme » par Guillaume Le Gall (Études photographiques, mai 2000).

La maison à gradins

Au 26 de la rue Vavin dans le 6ème arrondissement de Paris, les architectes Henri Sauvage et Charles Sarazin réalisent un immeuble d’habitation de style métro construit entre 1912 et 1914 en suivant les recommandations hygiénistes de l’époque….

Nés tous les deux en 1873, Charles Sarazin (1873-1950) et Henri Sauvage (1873-1932) se rencontrent lors de leurs études à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris.

A l’aube du 20e siècle, ils deviennent ensemble architectes de la Société anonyme des logements hygiéniques à bon marché, fondée en 1903, et participent à de nombreuses expositions où leur talent est récompensé, comme à l’exposition universelle de 1906 à Milan où ils obtiennent la médaille d’or des Arts décoratifs. Ils réalisent à Paris des immeubles de rapport.

Au milieu du 19e siècle, l’idée se développe que la réforme sociale passe par la réforme de l’habitat. Les lois sur la salubrité des logements édictées depuis 1850 prévoient de faire rentrer l’air et la lumière naturelle à flots dans les appartements, avec l’objectif de faire disparaître le bacille de Koch et la tuberculose, responsables de plus de 10 000 décès par an dans la capitale.

Henri Sauvage à gauche, à une date indéterminée, et Charles Sarazin à droite, en 1946 (source : Urbipedia / wikimedia commons)

A partir de 1909, poursuivant les réflexions hygiénistes de l’époque sur l’ensoleillement et l’aération des logements, Henri Sauvage développe un ingénieux dispositif d’immeubles à gradins, dont Charles Sarazin et lui déposent le brevet (n° 439.292 ; 23 janvier 1912).

Leurs innovations en matière de design et d’architecture sont remarquées par la presse, comme ici dans le quotidien Le Siècle du 3 juin 1912 :

L’immeuble du 26 rue Vavin est la première construction parisienne à gradins. Le projet comporte des magasins de commerce en rez-de-chaussée sur la rue Vavin. La demande de permis de construire est déposée le 5 juin 1912 par la Société anonyme des maisons à gradins formée par les deux architectes avec quelques amis.

Autochrome de l’immeuble à gradins construits par Henri Sauvage et Charles Sarazin au 26 rue Vavin à Paris (6e arr.), le 10 mai 1918 (crédit : Auguste Léon – source : Département des Hauts-de-Seine, musée Albert-Kahn, Archives de la Planète, A 14 025).

Le premier projet, comportant neuf étages, est rejeté le 17 juin 1912. Les architectes démontrent alors que l’immeuble ne dépasse pas le gabarit, même s’il est plus haut que le voudrait l’usage. La pente des gradins est parfois en deçà du gabarit, et permet un angle d’ensoleillement et un volume d’air plus important qu’une élévation traditionnelle. Sensible à l’argument, l’architecte-voyer* renvoie le deuxième projet, comportant sept étages, en Commission supérieure de Voirie (avec avis favorable). Celle-ci accorde une tolérance le 5 juillet 1912, sous réserves de réalisation d’un contrat de cours communes avec le propriétaire du terrain mitoyen, et de l’avis du Directeur des services d’architecture, Louis Bonnier. Celui-ci reconnaît l’intérêt du projet, mais refuse l’autorisation.

Le 11 septembre 1912, Sauvage et Sarazin présentent l’ultime mouture du projet : « […] Nous n’avons modifié que les coupes et plans des deux derniers étages, de façon à rentrer strictement dans les gabarits qui sont imposés par les règlements. Enfin, il y a eu une modification au plan du terrain […]. Il n’y a donc plus aucune raison de passer un contrat de cours communes […] ». Le projet est adopté le même jour.

Photographie ancienne de la façade sur rue de l’immeuble en gradins du 26, rue Vavin bâti entre 1912 et 1914 par les architectes Henri Sauvage et Charles Sarazin (source : I.F.A., fonds Sauvage).

Les travaux de construction sont endeuillés par l’accident de l’ouvrier maçon Henri Boulenger, 40 ans, tombé d’un étage élevé de l’immeuble. Dans leur édition du 16 septembre 1913, Le Figaro parle du sixième étage, tandis que Le Gaulois mentionne le quatrième.

Le 25 mai 1914, l’immeuble achevé est certifié conforme. L’ouvrage est salué notamment dans L’Humanité du 28 juillet 1914.

Construit en béton armé, recouvert de carreaux en grès émaillé blanc de la maison Hippolyte Boulenger et Cie (qui fournit le réseau du Métropolitain), l’immeuble comporte ascenseurs, monte-charge, chauffage central, nettoyage par le vide, etc. L’absence de murs porteurs permet toutes transformations intérieures. Les chambres de domestiques, sur cour, sont au même étage que l’appartement des maîtres. Aucun staff, ni cheminée, ni glace ne décore les appartements.

Le revêtement en carreaux de grès blancs est du même type que les revêtements du métro ; il est égayé de quelques carreaux bleus (crédit : Les Montparnos).

Toujours selon les idées « hygiénistes » de l’époque, la céramique permettait de laver les façades à grande eau. L’utilisation de céramique devait aussi protéger le béton, matériau nouveau dont on ne connaissait pas la résistance au vieillissement.

Au centre de l’édifice, un vaste volume central est censé abriter des salles d’escrime, des salles de gymnastique, des bibliothèques ou des ateliers d’artiste. Il n’en sera rien. A la place Henri Sauvage y installe en 1919 son agence d’architecture. L’écrivain Paul Nizan (1905-1940) et le peintre, designer et dessinateur Francis Jourdain (1876-1958) y résideront également.

Les façades et toitures sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 15 janvier 1975.

L’immeuble à gradins de Sauvage et Sarazin, au 26 rue Vavin dans le 6e arr. de Paris (crédit : Les Montparnos, février 2021)

*Les architectes-voyers exercent des fonctions techniques ou administratives dans les domaines de l’architecture, de l’environnement, de l’urbanisme, de la construction, de l’aménagement foncier et urbain. Ils sont en charge de la voirie et des équipements urbains.

Les sources de cet article : « L’invention du système des immeubles à gradins. Sa genèse à visée sanitaire avant sa diffusion mondiale dans la villégiature de montagne et de bord de mer » de Pierre-Louis Laget (In Situ, 24 | 2014, mis en ligne le 18 juillet 2014), le site de la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’article de Comœdia (1er sept. 1922), « Exposition Henri Sauvage » par l’institut français d’architecture (Colonnes, N° 6 — Septembre 1994), planches du supplément à la Construction moderne, n°51.

Qui est Noé ?

Si vous habitez Paris ou êtes de passage dans la capitale, le portrait d’un enfant affiché sur la façade de la Tour Montparnasse ne vous aura pas échappé…

Contrarié, boudeur ou accusateur, il est difficile, à première vue, d’interpréter le regard de cet enfant qui nous interpelle depuis les hauteurs de la Tour Montparnasse.

Sur la façade de la Tour Montparnasse, campagne contre le cancer des enfants

Accompagné de la phrase « Un cancer à 7 ans, sérieux ? », nous aide à comprendre le contexte. Il s’agit de la campagne d’appel aux dons du centre de lutte contre le cancer, Gustave Roussy, incarnée depuis 2017 par le visage de Noé Lemos. Mais qui est Noé ?

En 2011, à l’âge de 7 ans, Noé a été diagnostiqué d’un cancer au cerveau. « La cheffe de service de neurochirurgie de Necker nous annonce en même temps que notre fils a un cancer, que cette tumeur est cancéreuse et qu’il va mourir de façon certaine et rapide » se souvient le père de Noé. Frédéric et Magali, les parents du petit garçon, ont rencontré 20 équipes médicales dans 11 pays, mais au bout de 3 ans, l’état de santé de Noé s’est dégradé.

Pour Brut., Frédéric Lemos, le père de Noé qui est également le président du comité de la campagne « Guérir le Cancer de l’Enfant au 21e siècle » témoigne :


Source : l’article de France TV info du 19 février 2021.

Ma tour Montparnasse

Hommage en images à ma tour Montparnasse… Lire la suite

De la réclame au marketing

Alors qu’on trouve encore des traces de réclames peintes sur certains murs du quartier, voici un aperçu des campagnes publicitaires aperçues à Montparnasse… Lire la suite

Les sculptures funéraires du cimetière Montparnasse

Parcourir le cimetière du Montparnasse à la recherche de sculptures emblématiques est une activité comme une autre quand on est en manque de musée…

Je lisais récemment un article sur les rebondissements judiciaires du conflit qui opposent les pouvoirs publics aux héritiers de Tania Rachevskaïa, suicidée le 12 décembre 1910 par chagrin d’amour*.

La photo de Tania Rachevskaïa sur sa tombe au cimetière du Montparnasse (crédit : Les Montparnos, février 2021).

L’objet de la discorde ? La sculpture qui orne la tombe de la jeune exilée russe de 23 ans : deux amants enlacés qui s’embrassent. Évidemment il ne s’agit pas de n’importe quelle œuvre. Le Baiser a été réalisé par le sculpteur franco-roumain, Constantin Brancusi (1876-1957).

Le Baiser de Brancusi sur la tombe de Tania Rachevskaïa, avant que la sculpture ne soit recouverte d’un coffrage en bois (source : Wikimedia commons).

A l’époque, arrivé à Paris en 1905, Brancusi ne s’est pas encore fait un nom et la sculpture a été achetée 200 francs par la famille de la défunte. Depuis les six héritiers souhaitent la récupérer pour la vendre à un marchand d’art, arguant que l’œuvre n’a pas été faite spécifiquement pour la tombe. Le 21 mai 2010, la sculpture et son socle formant stèle sont classés par arrêté. La procédure dure depuis plus de 10 ans. Jusqu’à présent, la justice avait toujours donné raison à l’État, mais un arrêt du 11 décembre 2020 de la cour administrative d’appel de Paris accorde aux héritiers le droit de récupérer l’œuvre. En juillet 2021, le Conseil d’État considère que la sculpture ayant été achetée dans l’unique but d’être scellée sur la tombe de la jeune femme, elle constitue un monument funéraire indivisible. À ce titre, ce monument doit être considéré comme un immeuble par nature au sens de la loi, ce qui autorise l’État à l’inscrire comme monument historique sans l’autorisation de ses propriétaires (décision du 2 juillet 2021).

Ce Baiser n’est pas unique, il en existe des dizaines de versions, réalisées entre 1907 et 1945 par l’artiste. L’œuvre n’en reste pas moins estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Ce reportage de France 3 réalisé en 2019 résume l’affaire, avant le rebondissement de décembre 2020.

Piquée par la curiosité, j’ai voulu voir de quoi il s’agissait. Un gardien du cimetière Montparnasse, à qui je demandais où se trouvait la tombe, a tout de suite refroidit mes espoirs. Depuis 2018, la sculpture est sous un coffrage en bois, surveillée par plusieurs caméras.

La tombe de Tania Rachevskaïa (concession n° 191P1910, section 22, n° 265) au petit cimetière du Montparnasse. « Le Baiser », la sculpture de Constantin Brancusi est sous le coffrage en bois (crédit : Les Montparnos, février 2021).

Déçue de ne pouvoir admirer l’œuvre de Brancusi, je décide de poursuivre ma déambulation en quête des autres sculptures remarquables du cimetière. En voici une sélection, non exhaustive :

La tombe du sculpteur César Baldaccini, dit César (1921-1998), 3e division (crédit : Les Montparnos, déc. 2020)
« L’Oiseau » de Niki de Saint-Phalle, en hommage « A mon ami JeanJacques, un oiseau qui s’est envolé trop tôt, Niki« , 18e division (crédit : Les Montparnos, janv. 2021)
Sur la tombe de Ricardo Menon, décédé en 1989, Niki de Saint-Phalle compose, pour son assistant et ami, un chat en mosaïque d’environ 1,50 m de haut, 6e division. L’épitaphe a été rédigé par l’artiste : « À notre ami Ricardo qui est mort trop tôt, beau, jeune et aimé » (crédit : Les Montparnos, février 2021)
La tombe du géographe Antoine Haumont (1935-2016), sculptée par Etienne Pirot, dit Etienne, 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sur la tombe du sculpteur Léopold Kretz (1907-1990) une de ses œuvres, « Le prophète », a été placée le 4 février 1991, 14e division (crédit : Les Montparnos, février 2021).
Buste réalisé par le sculpteur André-Almo Del Debbio (1908 – 2010) qui a longtemps eu son atelier impasse Ronsin dans le 15e arr., près de celui de Constantin Brancuși. Sa sépulture se trouve dans la 6e division du cimetière Montparnasse (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« La Douleur » par Henri Laurens (1885-1954), sculpteur, sur sa sépulture, 7e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sculpture d’oiseau de Denis Mondineu, sur la tombe du peintre Gérard Barthélémy (1937-2002), 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« Le Pèlerin » (1992) de Baltasar Lobo (1910-1993), sur la tombe du sculpteur espagnol de la Nouvelle École de Paris, 8e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sur la tombe de Alex Berdal (1945-2010), peintre sculpteur, prix de Rome, son « Poisson-sirène », au dos duquel on peut lire la phrase énigmatique « Il fait son choix d’anchois et dine d’une sardine », 1e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Tombe de Laurent Simonpaoli, dit Laurent (1965-1994), et Yves Simonpaoli, dit Paoli (1928-2018), 15e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
Sépulture de Cicero Dias (1937-2003), peintre brésilien, 9e division (crédit : Les Montparnos, août 2010).
La sculpture de la tombe d’Honoré Champion (1846-1913), libraire et éditeur, a été réalisée par Albert Bartholomé (1848-1928), 3e division (crédit : Les Montparnos, février 2021).
Tombe-monument de la famille Charles Pigeon (1838-1915) inventeur et entrepreneur qui a produit et commercialisé un appareil d’éclairage portatif à essence breveté, ininflammable et inexplosible, reconnaissable par le dessin d’un pigeon posé sur un globe terrestre tenant en son bec une lampe. Sur cette tombe Charles-Joseph Pigeon est représenté sur un lit à colonnades avec sa femme Marie, tenant un carnet et ayant la révélation -réelle ou légendaire- de ce qui allait devenir son invention. L’œuvre classée à l’Inventaire des Monuments Historiques est non signée, 22e division (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).
« Les disparus ne sont pas des absents » (crédit : Les Montparnos, fév. 2021).

Cette sélection sera augmentée au fur et à mesure des découvertes. Et je suis évidemment à l’écoute de vos suggestions que vous pouvez partager avec nous en commentaire ci-dessous.

Plan affiché aux entrées principales du cimetière du Montparnasse permettant d’identifier les divisions et la localisation des sépultures de personnalités.

*Le roman de Sophie Brocas, Le Baiser (Julliard, 2019), raconte cette histoire sous la forme d’un journal fictif.

Pour en savoir plus : Le site du cimetière du Montparnasse sur lequel on peut trouver différents plans (les sépultures les plus demandées, les femmes célèbres, le parcours accessible aux personnes à mobilité réduite), la liste des personnalités inhumées au cimetière du Montparnasse, l’article de l’Express (5 janvier 2019) et le podcast de l’Express (2019).