L’immeuble Mouchotte

La photographie monumentale d’Andreas Gursky « Paris, Montparnasse II » visible jusqu’au 30 août 2025 à la galerie Gagosian à Paris est l’occasion de parler de l’immeuble Mouchotte conçu par Jean Dubuisson en 1959, dont la façade visible depuis la rue du commandant René Mouchotte ne peut laisser indifférent.

L’opération Maine-Montparnasse

Dans les années 1950, lorsque le projet de déplacer sur l’avenue du Maine la gare de l’Ouest, initialement sise boulevard du Montparnasse, l’idée émerge de réorganiser plus largement le quartier. Cela donne lieu à l’opération Maine-Montparnasse, un chantier qui s’étale sur quatorze ans, de 1959 à 1973, à cheval sur les 14e et 15e arrondissements de Paris, et qui comprend, la nouvelle gare, trois bâtiments reliés par une dalle qui forme un U autour des voies ferrées, l’îlot Vandamme, la tour Montparnasse et son socle. La rue du commandant Mouchotte est percée à cette occasion. Bien que prévu dès l’origine, ce n’est que dans les années 1990, que le jardin Atlantique qui recouvre les voies, est construit et finalise le programme Maine-Montparnasse, mais c’est une autre histoire.

Mouchotte, le plus grand immeuble de logement de Paris

Le projet Maine-Montparnasse prévoit deux immeubles de logements, dont Jean Dubuisson (1914-2011) est l’architecte :

Fils et petit-fils d’architecte, Jean Dubuisson intègre l’école d’architecture de Lille en 1934 puis poursuit ses études à Paris où il obtient son diplôme en 1939. En 1945, il est lauréat du premier Grand prix de Rome. En 1959, on lui commande 1000 logements à Montparnasse : Maine-Montparnasse I, le long du boulevard Pasteur, avec 250 logements de luxe, et Maine-Montparnasse II, rue du commandant René Mouchotte, avec 754 appartements locatifs de 2, 3 et 4 pièces.

Maine-Montparnasse II, qui prend le nom d’immeuble Mouchotte, est le plus grand immeuble d’habitation de la capitale, dont la construction s’étale entre 1959 et 1964, et la livraison en 1966. Il est habité par environ 2000 à 2500 personnes, avec 88 000 m² de logements, des parkings et deux niveaux de caves. Long de 200 m et haut de près de 50 m, l’immeuble Mouchotte comprend 13 cages d’escaliers de A à M et 17 étages.

Une façade en motif écossais

Lors d’une conférence au Pavillon de l’Arsenal, le 14 mars 1991, Jean Dubuisson explique qu’il voulait pour la façade « quelque chose qui ressemble à un [tissu] écossais. » Supportées par une ossature en aluminium rythmée de lignes verticales et horizontales plus ou moins épaisses et rapprochées qui forment la trame écossaise chère à l’architecte, les façades sont recouvertes à 72% de surface vitrée, laissant entrapercevoir l’intérieur des habitations.

En 2010, l’immeuble Mouchotte reçoit le label de Patrimoine du XXe siècle créé par le Ministère de la culture et de la communication qui vise à l’identification et l’étude de l’architecture du 20e siècle afin d’éviter des « pertes irréparables de cet instant de la mémoire européenne. »

L’inspirant immeuble Mouchotte

Le retour sur la rue de l’immeuble Mouchotte, le bâtiment A, a la particularité de proposer des salles communes de réunion ou d’exposition (la bien nommée, salle Modigliani) en rez-de chaussée sur dalle, ainsi que des appartements-ateliers dans les étages pour reloger les artistes du quartier.

A l’occasion des événements de mai 1968, le philosophe Jean-Paul Sartre (1905-1980) l’aurait surnommé l’immeuble rouge, car les drapeaux rouges fleurissaient aux fenêtres de la façade en fonction des convictions politiques de ses habitants.

Dans les années 1970, la singularité de la population de Mouchotte fait de cet ensemble un bastion du militantisme culturel, social et politique qui inspire à Bertrand Tavernier Des enfants gâtés (1977), film en partie tourné sur place.
Cet ensemble a inspiré plus d’un artiste puisqu’on retrouve l’immeuble Mouchotte dans plusieurs films, comme décor ou comme élément central de l’intrigue :

Mouchotte vu par le photographe Andreas Gursky

Jusqu’au 30 août 2025 à la galerie Gagosian à Paris, il est possible de voir « Paris, Montparnasse II, 2025 » , l’œuvre monumentale d’Andreas Gursky, pionnier de la photographie numérique, représentant l’immeuble Mouchotte. L’artiste allemand avait déjà réalisé en 1993 une première photographie de la barre de l’architecte Jean Dubuisson. Il raconte dans le journal Le Monde qu’il « a eu envie de revenir à certains endroits pour voir comment le temps s’inscrivait dans l’image. »

Avec Montparnasse II, réalisée trente deux ans après la première version, on note que la technologie a évolué et permet beaucoup plus de détails. Andreas Gursky explique au journal Le Monde « C’est un bâtiment, mais pour moi c’est surtout un microcosme, une allégorie de la vie. La chose la plus intéressante, dans cette image, c’est qu’on peut voir à l’intérieur. Et c’est fou comme chaque fenêtre est différente. Chaque individu est différent, chacun a des goûts et des objets propres. »

Si vous venez à Montparnasse, pour trouver le point de vue qui permet de voir l’immeuble Mouchotte frontalement comme sur la photo, vous risquez de chercher longtemps. En effet il n’est pas possible d’avoir une telle vision en raison de différents obstacles. Le photographe explique qu’il a créé une image composite depuis cinq points de vue différents et sur une période de trois jours, avant de passer plusieurs mois à recomposer l’image sur ordinateur.

Quand je suis allée voir l’image à la galerie Gagosian à Paris, je suis tombée par hasard sur deux résidentes de l’immeuble Mouchotte venues découvrir comme moi l’œuvre de Andreas Gursky.

Quel avenir pour l’immeuble Mouchotte ?

Cette rencontre fortuite m’a permis d’apprendre que l’immeuble Mouchotte était dans la tourmente. En effet une importante partie de l’immeuble (n° 26) est gérée par un bailleur unique qui, voyant venir l’interdiction à la location des passoires thermiques, a décidé d’effectuer une isolation extérieure des appartements, ce qui va modifier substantiellement la façade et oblige le restant des copropriétaires des n° 8 et 20 à s’aligner sur cette décision. Le coût exorbitant de l’opération d’isolation est difficilement supportable par les copropriétaires. Pourtant le changement climatique impose de repenser l’habitat, mais comment le faire en conservant ce témoignage exceptionnel de l’architecture des années 1960 qu’est l’immeuble de Jean Dubuisson. La réponse à ce dilemme sera peut-être dans l’innovation des matériaux et des pratiques architecturales. En attendant une pétition est en préparation. A suivre…


"Paris, Montparnasse II" (2025), d’Andreas Gursky, à la galerie Gagosian, à Paris. Photos : Thomas Lannes/Andreas Gursky/ADAGP, Paris, 2025

ANDREAS GURSKY (jusqu'au 30 août 2025)
La galerie Gagosian expose quatre photographies d’Andreas Gursky dont notamment Paris, Montparnasse II (2025), l'image monumentale de la façade de l'immeuble Mouchotte. Le photographie réexamine cette image en retraçant les changements que le temps a inscrits sur l’architecture et ses occupants depuis la première image réalisée en 1993.
Gagosian - 9 rue de Castiglione, 75001 Paris - site

La maison à gradins

Au 26 de la rue Vavin dans le 6ème arrondissement de Paris, les architectes Henri Sauvage et Charles Sarazin réalisent un immeuble d’habitation de style métro construit entre 1912 et 1914 en suivant les recommandations hygiénistes de l’époque….

Nés tous les deux en 1873, Charles Sarazin (1873-1950) et Henri Sauvage (1873-1932) se rencontrent lors de leurs études à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris.

A l’aube du 20e siècle, ils deviennent ensemble architectes de la Société anonyme des logements hygiéniques à bon marché, fondée en 1903, et participent à de nombreuses expositions où leur talent est récompensé, comme à l’exposition universelle de 1906 à Milan où ils obtiennent la médaille d’or des Arts décoratifs. Ils réalisent à Paris des immeubles de rapport.

Au milieu du 19e siècle, l’idée se développe que la réforme sociale passe par la réforme de l’habitat. Les lois sur la salubrité des logements édictées depuis 1850 prévoient de faire rentrer l’air et la lumière naturelle à flots dans les appartements, avec l’objectif de faire disparaître le bacille de Koch et la tuberculose, responsables de plus de 10 000 décès par an dans la capitale.

Henri Sauvage à gauche, à une date indéterminée, et Charles Sarazin à droite, en 1946 (source : Urbipedia / wikimedia commons)

A partir de 1909, poursuivant les réflexions hygiénistes de l’époque sur l’ensoleillement et l’aération des logements, Henri Sauvage développe un ingénieux dispositif d’immeubles à gradins, dont Charles Sarazin et lui déposent le brevet (n° 439.292 ; 23 janvier 1912).

Leurs innovations en matière de design et d’architecture sont remarquées par la presse, comme ici dans le quotidien Le Siècle du 3 juin 1912 :

L’immeuble du 26 rue Vavin est la première construction parisienne à gradins. Le projet comporte des magasins de commerce en rez-de-chaussée sur la rue Vavin. La demande de permis de construire est déposée le 5 juin 1912 par la Société anonyme des maisons à gradins formée par les deux architectes avec quelques amis.

Autochrome de l’immeuble à gradins construits par Henri Sauvage et Charles Sarazin au 26 rue Vavin à Paris (6e arr.), le 10 mai 1918 (crédit : Auguste Léon – source : Département des Hauts-de-Seine, musée Albert-Kahn, Archives de la Planète, A 14 025).

Le premier projet, comportant neuf étages, est rejeté le 17 juin 1912. Les architectes démontrent alors que l’immeuble ne dépasse pas le gabarit, même s’il est plus haut que le voudrait l’usage. La pente des gradins est parfois en deçà du gabarit, et permet un angle d’ensoleillement et un volume d’air plus important qu’une élévation traditionnelle. Sensible à l’argument, l’architecte-voyer* renvoie le deuxième projet, comportant sept étages, en Commission supérieure de Voirie (avec avis favorable). Celle-ci accorde une tolérance le 5 juillet 1912, sous réserves de réalisation d’un contrat de cours communes avec le propriétaire du terrain mitoyen, et de l’avis du Directeur des services d’architecture, Louis Bonnier. Celui-ci reconnaît l’intérêt du projet, mais refuse l’autorisation.

Le 11 septembre 1912, Sauvage et Sarazin présentent l’ultime mouture du projet : « […] Nous n’avons modifié que les coupes et plans des deux derniers étages, de façon à rentrer strictement dans les gabarits qui sont imposés par les règlements. Enfin, il y a eu une modification au plan du terrain […]. Il n’y a donc plus aucune raison de passer un contrat de cours communes […] ». Le projet est adopté le même jour.

Les travaux de construction sont endeuillés par l’accident de l’ouvrier maçon Henri Boulenger, 40 ans, tombé d’un étage élevé de l’immeuble. Dans leur édition du 16 septembre 1913, Le Figaro parle du sixième étage, tandis que Le Gaulois mentionne le quatrième.

Le 25 mai 1914, l’immeuble achevé est certifié conforme. L’ouvrage est salué notamment dans L’Humanité du 28 juillet 1914.

Construit en béton armé, recouvert de carreaux en grès émaillé blanc de la maison Hippolyte Boulenger et Cie (qui fournit le réseau du Métropolitain), l’immeuble comporte ascenseurs, monte-charge, chauffage central, nettoyage par le vide, etc. L’absence de murs porteurs permet toutes transformations intérieures. Les chambres de domestiques, sur cour, sont au même étage que l’appartement des maîtres. Aucun staff, ni cheminée, ni glace ne décore les appartements.

Toujours selon les idées « hygiénistes » de l’époque, la céramique permettait de laver les façades à grande eau. L’utilisation de céramique devait aussi protéger le béton, matériau nouveau dont on ne connaissait pas la résistance au vieillissement.

Au centre de l’édifice, un vaste volume central est censé abriter des salles d’escrime, des salles de gymnastique, des bibliothèques ou des ateliers d’artiste. Il n’en sera rien. A la place Henri Sauvage y installe en 1919 son agence d’architecture. L’écrivain Paul Nizan (1905-1940) et le peintre, designer et dessinateur Francis Jourdain (1876-1958) y résideront également.

Les façades et toitures sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 15 janvier 1975.


*Les architectes-voyers exercent des fonctions techniques ou administratives dans les domaines de l’architecture, de l’environnement, de l’urbanisme, de la construction, de l’aménagement foncier et urbain. Ils sont en charge de la voirie et des équipements urbains.

Les sources de cet article : « L’invention du système des immeubles à gradins. Sa genèse à visée sanitaire avant sa diffusion mondiale dans la villégiature de montagne et de bord de mer » de Pierre-Louis Laget (In Situ, 24 | 2014, mis en ligne le 18 juillet 2014), le site de la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’article de Comœdia (1er sept. 1922), « Exposition Henri Sauvage » par l’institut français d’architecture (Colonnes, N° 6 — Septembre 1994), planches du supplément à la Construction moderne, n°51.

Le Grand bazar de la rue de Rennes

Qui pourrait imaginer qu’au début du 20ème siècle, au 136 rue de Rennes à Paris, à la place du bâtiment de la Fnac, existait un splendide édifice Art nouveau hébergeant la quintessence du commerce moderne de l’époque ?

A la fin du 19ème siècle, dans son roman Au bonheur des dames, Émile Zola parle des « cathédrales du commerce moderne », les grands magasins. Dans le contexte de compétition entre les enseignes, plusieurs d’entre eux ont vu le jour dans des quartiers à fort potentiel, comme le Palais de la Nouveauté, boulevard Barbès en 1856, le Printemps, depuis 1865 sur le boulevard Haussmann ou la Samaritaine, fondée en 1870 rue de Rivoli. Implanté rive gauche se trouve également depuis 1852, le Bon marché. En 1906, le Grand bazar, de style Art nouveau, sort de terre rue de Rennes.

L’entrepreneur et homme d’affaires français, Eugène Corbin (1867-1952), fils d’Antoine Corbin, fondateur des Magasins réunis, a considérablement développé le modeste bazar familial nancéien pour en faire une chaîne de grands magasins. Également collectionneur d’art, il est un mécène majeur du mouvement Art nouveau de l’École de Nancy. En 1905, avec d’autres actionnaires, il confit à l’architecte Henry Gutton (1874-1963), la construction d’un nouveau magasin sur la rue de Rennes, à proximité de la gare Montparnasse et juste à côté de l’immeuble Félix Potin ouvert en 1904.

Ce bâtiment à structure métallique était le plus important édifice dans le style de l’École de Nancy présent dans la capitale et constituait en quelque sorte son manifeste. Les poutrelles métalliques de l’immeuble proviennent des ateliers de la rue de Vaugirard d’Armand Moisant (1838-1906), ingénieur et principal concurrent d’Eiffel. Les constructions en structure métallique semblent répandues à l’époque comme on peut le voir aussi à l’église Notre-Dame du travail inaugurée en 1902.

Situé au 136 de la rue de Rennes, à l’angle de la rue Blaise Desgoffe, le magasin est inauguré en grande pompe le 29 septembre 1906.

L’architecte a voulu une façade entièrement vitrée avec un encadrement métallique peint en vert foncé. Les vitres couvrent la hauteur des deux étages principaux, le plancher intermédiaire est en recul de 0,80 m de la façade et l’architecte prévoit des tablettes vitrées sur toute la hauteur pour servir de vitrine. Au dessus est l’étage de réserve, la façade y présente des parties pleines en briques cachées par des plaques de verre noir sur fond doré. La crête de couronnement est formé de fers en U et en T avec des ornements de cuivre repoussé.

Vue générale de l’intérieur du Grand bazar de la rue de Rennes (Paris, 6ème arr.) à 9h du matin le jour de l’inauguration le 29 septembre 1906.


A l’intérieur la tonalité des peintures est blanc ivoire et or. On trouve le grand hall sous verrière typique des grands magasins au temps ou l’éclairage artificiel était insuffisant. Le grand escalier est lui aussi caractéristique des magasins de l’époque qui ne connaissaient pas les escalators. Il n’y a qu’un ascenseur au fond du magasin. L’étage de réserve est masqué par une frise de staff (moulure).
Le plancher du rez-de-chaussée est en pente pour éviter les marches à l’entrée du magasin car il y a 1,20m de différence de hauteur entre la rue de Rennes et la rue Blaise-Desgoffes.

Le bâtiment s’élevait sur cinq niveaux : un sous-sol, un grand espace au rez-de-chaussée et trois niveaux en galerie au-dessus. Un grand escalier central divisait l’espace en deux. Il permettait d’accéder aux galeries du premier et deuxième étages par des ponts-galeries.

Bien que situé à l’angle de deux rues, le bâtiment n’offre pas de dôme d’angle comme c’est le cas dans les autres grands magasins construits à la même époque.

En revanche, vingt-quatre épis sont dressés en amortissement des piles des travées. Sur un peu plus de cent mètres de façade, dix-sept épis, nettement plus élevés, reçoivent de petits fanions triangulaires et colorés ou des réclames sous formes de bannières.

Comme l’attestent différentes coupures de journaux, toutes les occasions sont bonnes pour proposer des animations et faire venir les clients, comme pour le premier anniversaire du Grand bazar en septembre 1907 ou lors des fêtes de noël.

Qu’est devenu le Grand bazar ?

En 1910, le Grand bazar devient les Grands Magasins de la rue de Rennes, puis la propriété des Magasins Réunis dans les années 1920.

Pendant la 1ère guerre mondiale, les vitrines du Grand Bazar étaient protégées contre les bombardements, comme on peut le voir sur cet autochrome du 10 mai 1918 (crédit : Auguste Léon – source : Département des Hauts-de-Seine, musée Albert-Kahn, Archives de la Planète, A 14 037 S).

Vers 1960, une nouvelle façade plus banale est plaquée sur la façade d’origine de style Art nouveau.

Le bâtiment originel est détruit en 1972, puis reconstruit. En 1974, l’édifice devient un magasin Fnac, le premier magasin de l’enseigne à Montparnasse qui propose des livres.


Mes sources : l’article de Olivier Vayron « Dômes et signes spectaculaires dans les couronnements des grands magasins parisiens : Dufayel, Grand-Bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine. » (2015), Wikipédia, les blogs Paris projet ou vandalisme et Paris 1900, l’art nouveau.

Notre-Dame-du-Travail

Cette église, plutôt sobre à l’extérieur mais surprenante à l’intérieur, a été bâtie pour les très nombreux ouvriers logeant dans le 14ème arrondissement et qui avaient la charge de monter les expositions universelles de Paris du début du XXe siècle. Un lieu qui vaut le détour pour son architecture.

Deux édifices ont précédé l’église Notre-Dame-du-Travail dans le quartier Plaisance du 14ème arrondissement de Paris. En 1840, la construction de la gare de l’Ouest (future gare Montparnasse) développe les alentours et multiplie la population. La petite chapelle qui s’y trouve est insuffisante pour accueillir les fidèles. Vers 1845, une chapelle de secours est édifiée en bois. Elle sera agrandie en 1865. Mais la population continue de s’accroître.

Depuis que les expositions universelles se tenaient au Champ de Mars, les centaines d’ouvriers chargés d’œuvrer à ces manifestations logeaient dans le 14ème arrondissement. Notre-Dame de Plaisance (photo ci-contre) est devenue trop petite.

Un nouveau vicaire, le dynamique père Soulange-Bodin, est nommé en 1884. Celui-ci a la fibre sociale. Il lance une souscription nationale pour bâtir une nouvelle église. Selon ses vœux, elle devra dégager une atmosphère familière aux ouvriers.

Érigée sur un nouveau terrain, elle est construite, à partir de 1897, par Jules-Godefroy Astruc (1866 – 1955) et est inaugurée en avril 1902.

Aux façades extérieures en meulières, moellons et pierres de taille, de style roman, l’architecte a opposé un intérieur aux voûtes formées d’arceaux métalliques, portées par de fines colonnettes en fer, qui donnent à l’édifice une clarté et une légèreté exceptionnelles. Les fermes de fer proviendraient du Palais de l’industrie construit pour l’exposition universelle de 1855 et démoli en 1899 pour faire place aux Grand et Petit Palais. De même, les moellons des façades latérales proviendraient du Pavillon des tissus de l’exposition universelle de 1900. Un moellon est une pierre à bâtir en général de calcaire, plus ou moins tendre et légère.

L’autel de l’église Notre-Dame-du-Travail.
Tous les vitraux, tableaux et sculptures présents au sein de cette étonnante église rendent hommage aux travailleurs et à la condition ouvrière (crédit : Les Montparnos, août 2020).

La cloche

La cloche est une prise de guerre de Sébastopol (1854), pendant la guerre de Crimée, offerte par Napoléon III aux habitants de l’ancienne commune de Plaisance et placée dès 1861 dans l’ancienne église. La cloche fut baptisée le 14 juin 1860 et l’impératrice Eugénie et le prince impérial en étaient la marraine et le parrain.

L’orgue

Dès la fin de la première guerre mondiale, la tribune de Notre-Dame du Travail est dotée d’un orgue, construit par la maison Mutin Cavaillé-Coll. En dépit de transformations effectuées à partir des années soixantes, il était à bout de souffle en 1985. Une expertise montra que le coût d’une remise en état dépasserait la valeur de l’instrument.
Compte tenu de la rénovation du quartier, de la restauration de l’intérieur de l’église, de l’acoustique exceptionnelle de cet édifice révélée par des concerts réguliers, la Ville de Paris a décidé la construction de l’orgue actuel en 1987. Construit par le facteur d’orgue lorrain Théodore Haerpfer (1946-1999), il est mis en service le 24 décembre 1990.

L’orgue installé en tribune de Notre-Dame-du-Travail a été construit par Théodore Haerpfer et mis en service le 24 décembre 1990. (crédit : Les Montparnos, août 2020)

Le classement en monument historique

Le 15 juillet 1976, deux arrêtés protègent l’église au titre des monuments historiques : un classement pour l’intérieur de l’église et une inscription pour les façades et toitures. Ceux-ci sont abrogés par l’arrêté portant classement de la totalité de l’église le 5 juillet 2016.

Notre-Dame-du-Travail photographiée depuis le square du cardinal Wyszynski (crédit : Les Montparnos, août 2020)

Église Notre-Dame-du-Travail – 59 rue Vercingétorix, 75014 Paris – Site – M° Pernety (ligne 13)

L’immeuble Félix Potin

Rue de Rennes, impossible de passer à côté de l’immeuble Félix Potin sans le remarquer, tellement son architecture dénote par rapport aux bâtiments environnants. Pendant longtemps il était en piteux état, les mosaïques se délitaient, les corniches manquaient de se détacher et des filets de sécurité le balafraient. Depuis sa restauration en 2017-2018, il est à nouveau resplendissant. Découvrez son histoire au travers d’archives…

Au 140 rue de Rennes, à l’angle de la rue Blaise-Desgoff, en levant les yeux on ne peut manquer la tourelle d’angle, couronnée d’un campanile (certains parlent de bouchon de champagne), où se lit toujours le nom de Félix Potin. Pour les moins de 30 ans, Félix Potin était une enseigne française de distribution créée par l’épicier Félix Potin au milieu du XIXe siècle, et qui perdura jusqu’à la fin du XXe siècle.

Qui est Félix Potin ?

Jean Louis Félix Potin (1820 – 1871) est le fondateur de l’enseigne française de distribution du même nom. Né à Arpajon, il monte à Paris en 1836 où il est commis épicier pendant huit ans. Il s’installe à son compte en 1844 au numéro 28 de la rue Neuve-Coquenard dans le 9e arrondissement de Paris. Sa conception novatrice du métier d’épicier fait son succès. Parmi ses innovations il y a le respect du client, les prix fixes, la vente à la gâche et au comptant, la réduction des intermédiaires, la livraison à domicile, …

L'immeuble Félix Potin, rue de Rennes à Paris, vers 1900
L’immeuble Félix-Potin au 140 rue de Rennes, vers 1905, alors que la tour Montparnasse et l’immeuble de la Fnac n’existent pas encore. Au bout de la rue Rennes, on reconnait l’ancienne gare Montparnasse. Sur la droite, on note que le Grand Bazar, inauguré en 1906, n’existe pas encore (Crédit: © Neurdein/Roger-Viollet).

Après le décès du fondateur en 1871 et de sa veuve 1890, ce sont leurs fils et gendres qui continuent l’aventure. Le développement de l’enseigne passe par l’ouverture de nouvelles succursales et par la construction de l’immeuble monumental de la rue de Rennes qui ouvre en 1904. Cet immeuble, œuvre de l’architecte Paul Auscher (1866 – 1932), est le premier grand magasin à utiliser le béton armé dans sa construction.

Le bâtiment est une grande surface alimentaire de six étages richement décorée en style Art nouveau qui propose notamment un « service de cuisine pour la ville » avec son rayon traiteur.

La disposition à l’intérieur du magasin a été voulue aérée et ordonnée afin de permettre une circulation facile. Un des premiers tapis roulant permet d’accéder à un salon de thé et à un salon de photographie situés à l’entresol. Malheureusement je n’ai trouvé aucune archive de l’intérieur du bâtiment à cette époque. On peut éventuellement se faire une idée du possible agencement intérieur en consultant celui de l’établissement Félix Potin du boulevard Sébastopol en 1931.

A la fin des années 1970, l’enseigne TATI, en pleine expansion, s’installe rue de Rennes dans l’immeuble Félix Potin. Mais c’est surtout l’attentat du 17 septembre 1986 qui coûta la vie à sept personnes et fit une soixantaine de blessés qui reste dans les mémoires. Une plaque apposée en façade rappelle ce triste événement.

Après le départ du magasin TATI en avril 1999, le bâtiment a été remanié, mais le nom Félix Potin en façade est resté car depuis le 15 janvier 1975, la façade et la toiture sont classées monuments historiques. Après TATI, les enseignes se succèdent (Monoprix, Zara) et le propriétaire actuel est AGF.

Rue de Rennes à Paris, vers 1900
Dans l’enfilade de la rue de Rennes sur la gauche, on devine l’immeuble Félix Potin à sa tourelle d’angle. Paris (VIème arr.), vers 1900. (Crédit : © Léon et Lévy / Roger Viollet)

Pour en savoir plus sur Félix Potin, consultez la page wikipedia ainsi que le site Félix Potin. Pour le bâtiment, voir aussi les sites L’Art Nouveau, Le piéton de Paris.