Fondée en 1854, la Maison Lavenue, aussi appelée l’Hôtel de France et de Bretagne, est située au 1-3 rue du Départ et au 68 boulevard du Montparnasse. Elle donne directement sur la place de Rennes, l’actuelle place du 18 juin 1940, et se trouve juste à côté de l’ancienne gare de l’Ouest.
Je n’ai trouvé aucune information sur les premières années d’exploitation de l’établissement. Les documents que j’ai trouvés, mentionnant Lavenue, datent de la fin du 19e siècle.
Rénovée en 1897, lors du changement de direction, elle est fréquentée par des personnalités des arts et des lettres et propose plusieurs espaces pour des clients plus ou moins fortunés.
Dans le livre « The Real Latin Quarter » de Frank Berkeley Smith publié en 1901, on peut lire que, parmi les habitués de Lavenue, on trouve Auguste Rodin (1840-1917), Paul-Alfred Colin (1838-1916), Alexandre Falguière (1831-1900), Jean-Paul Laurens (1838-1921), Léon Bonnat (1833-1922), James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), John Singer Sargent (1856-1925), Thomas Alexander Harrison (1853-1930), Augustus Saint-Gaudens (1848-1907) et Frederick William MacMonnies (1863-1937).
Lavenue dans la presse
Dans Le Charivari, le premier quotidien illustré satirique du monde, on peut lire le 21 mars 1884 : « La rive gauche n’aura bientôt plus rien à envier à la rive droite, comme confort, et comme élégance de ses établissements publics. Voici par exemple que sous l’impulsion intelligente de son nouveau propriétaire, M. Charuet, le restaurant Lavenue, déjà fort apprécié, vient de subir une transformation complète. Façades élégantes sur la gare et sur le boulevard Montparnasse, installation luxueuse des cabinets, salon-serre, téléphone, et le reste à l’avenant ; sans parler du jardin d’été dont les ombrages inviteront bientôt la clientèle de choix qui prisait déjà chez Lavenue une des première caves de Paris. Avis aux amateurs ».
Dans « Henriette », un feuilleton publié dans Le Figaro du 1er juin 1889, on trouve une description du jardin de Lavenue :
Dans Le Parti ouvrier du 11 février 1890, on apprend que le directeur de Lavenue, M. Charuet, décédé brutalement d’une congestion cérébrale, a prévu de récompenser ses collaborateurs :
Dans Le Figaro du 17 août 1897, on peut se faire une idée des aménagements réalisés lors de la rénovation entreprise par le nouveau directeur, M. Gruffaz : « C’est un coin parisien bien curieux que cette place de Rennes, si animée par un va-et-vient continuel. A côté de la façade sombre de la gare Montparnasse, au coin de la rue du Départ, un somptueux hôtel-restaurant se dresse orgueilleusement , attirant une clientèle aussi nombreuse que choisie. C’est l’ancien restaurant Lavenue, que M. Gruffaz, le directeur actuel, a fait magnifiquement restaurer, sous la direction de l’habile architecte Marnez. Jour et nuit, ce que Paris, la province ou l’étranger comptent de notoriété se réunit soit à l’hôtel, dont le luxe et le confort sont au-dessus de tout éloge, soit au restaurant aux salles spacieuses et claires, décorée avec le meilleur goût. Dans le jardin une nouvelle véranda, dont le plafond a été peint par Martens, donne asile, aux heures des repas, à des financiers, artistes, littérateurs, négociants cotés, qui, en savourant l’excellente cuisine et les meilleurs crus de la maison, font assaut d’esprit. M. Gruffaz a réussi à réunir dans son établissement, dont il conserve la veille renommée, tous les éléments du succès qu’il mérite à si juste titre. C’est là une heureuse innovation et un exemple à suivre « .
Dans Le Journal du 24 août 1897, on trouve une description de l’intérieur du restaurant Lavenue après sa rénovation :
« Les ors des décorations sont discrets ; l’éblouissement cru des blancs est tempéré par des guirlandes de fleurs de teintes tendres, l’air et le jour circulent partout ; les cabinets particuliers n’ont pas la banalité des locaux étriqués des établissements similaires. Ce sont de véritables boudoirs ! Il y a un jardin à ciel découvert avec bosquets pour l’été et un hall vitré orné de plantes vertes, pour l’hiver. »
La petite Bretonne
« Une des curiosités de Paris est, sans contredit, la figure de Bretonne sculptée par le maître Falguière sur la façade du restaurant Lavenue, place Montparnasse. Le propriétaire, M. Gruffaz, a fêté, hier, en un banquet intime cette œuvre magistrale. Cette fête, où le champagne Léon Laurent coulait à flots, a été de tous points réussie » (Le Journal, 7 avril 1898)
Intriguée par cette mention d’une figure sculptée en façade, j’ai tenté d’en savoir plus. Mes premières recherches n’ont rien donné, mais grâce à l’arrière petit-fils du sculpteur Alexandre Falguière (1831-1900), j’ai pu récupérer une image :
La carte ci-dessous pourrait laisser supposer que la sculpture était visible à l’angle de l’établissement, mais je n’ai aucune certitude.
Ne cherchez pas la Tête de Bretonne sur la façade du 1-3 rue du Départ. Elle ne s’y trouve plus. Laurent Falguière, l’arrière petit-fils du sculpteur, précise qu’elle été aperçue chez un antiquaire parisien. Une photo prise « sans doute avant 1977 » conservée à la documentation du Musée d’Orsay en atteste. Malheureusement depuis il a perdu sa trace. Évidemment si vous, lecteur de ce blog, avez des informations sur sa localisation, laissez un commentaire !
Un menu pour toutes les bourses
« Il y en a pour toutes les bourses, les petites comme les grandes, d’autant que, près du grand établissement destiné à la vie luxueuse des gens fortunés, un restaurant plus modeste, mais aussi plus pratique, et qui dans peu sera célèbre sous le nom de Petit Lavenue, fonctionne pour les humbles » (Le Journal, 24 août 1897).
Les encarts publicitaires publiés dans la presse sont une bonne indication pour voir l’évolution des prix au Petit Lavenue : Le repas (sans boisson) est à 12 francs en octobre 1924. Il passe à 15 francs en juin de l’année suivante (Le Matin, 2 juin 1925)
Le grand hôtel-restaurant Lavenue est littéralement pris d’assaut par le Tout-Paris élégant et gourmet. […] M. Gruffaz a su exalter encore le vieux renom de ce luxueux établissement où l’on est traité princièrement à des prix très raisonnables. (Le Figaro, 12 oct. 1897)
« Tout ce que le Quartier Latin a possédé de jeunes artistes et de jeunes littérateurs pendant ces vingt-cinq dernières années, a passé par la maison Lavenue »
A. Pallier, La Liberté, 30 mars 1898
« Des concerts symphoniques, par des artistes des Concerts-Lamoureux, Colonne et de la garde républicaine, auront lieu tous les soirs, dans les jardins de la maison Lavenue, à partir du 15 mai « (Le Figaro, 3 mai 1898).
L’établissement est référencé dans de nombreux guides comme dans le Guide des plaisirs à Paris de 1927 qui en fait la description suivante : « Maison connue par tous les viveurs pour sa chère succulente, ses vins de derrière les fagots et ses cabinets particuliers… dont on dit merveille. On vient de tous les coins de Paris diner chez Lavenue« .
Voici un des menus proposé par Lavenue en 1935 pour 60 francs :
Faits divers…
Il est amusant de lire la description d’une bagarre chez Lavenue parue le 12 juillet 1893 dans deux journaux différents : Le Petit Parisien, l’un des principaux journaux sous la Troisième République créé en 1876, et La Liberté, un quotidien parisien fondé en 1860 :
L’Intransigeant, quotidien français initialement d’opposition de gauche, évolue rapidement vers des prises de position nationalistes. En 1919, le journal interpelle en une les directeurs de Lavenue à propos du non affichage des tarifs majorés lors des concerts :
Place aux grands travaux
La revue hebdomadaire d’architecture, La Construction moderne (19 avril 1931) présente les travaux réalisés par l’architecte Fernand Rimbert à la demande de M. Prévost, président de la Société des « Hôtel-Restaurant Lavenue » pour pallier le charme désuet passé de mode de l’établissement. Les travaux prévoient une modification radicale des sous-sols et du rez-de-chaussée. En raison du climat maussade, le jardin est abandonné et remplacé par une nef en fer formant l’ossature de la grande salle du restaurant-dancing. « Les nouveaux aménagements ont été conçus pour permettre un service discret et facile, dans un cadre chaud et intime pour la Brasserie et élégant pour le Restaurant-Dancing. »
Un plan et quelques clichés permettent de mieux se rendre compte des modifications.
Les volumes et le style Art-déco du restaurant-dancing ne sont pas sans rappeler La Coupole inaugurée quelques années plus tôt, en décembre 1927.
Est-ce que l’ouverture circulaire placée en façade au dessus de l’entrée du 1-3 rue du Départ est une réminiscence de la décoration Art-déco du restaurant-dancing ? Je n’ai aucun élément qui me permette de l’affirmer, mais j’aime à le penser.
Malheureusement ces nouveaux aménagements ne semblent pas suffisant pour assurer le succès de l’établissement qui fait faillite en 1937 :
Dans l’Echo de Paris (4 juin 1937), on peut lire : « Lavenue disparait à son tour […] C’est chez Lavenue, gloire du Montparnasse, que la Patrie Française présidée par Jules Lemaître, donnait ses diners auxquels assistaient Maurice Barrès, Gabriel Syveton, le doux poète François Coppée… Encore un souvenir du vieux Paris qui disparait. Les gastronomes regretteront ce restaurant Lavenue, son jardin d’hiver, ses bosquets et surtout sa cuisine et ses vins sincères.«
Jusqu’à nos jours…
Certains se souviennent que dans les années 1980, le restaurant Dupont laisse la place à une Taverne de Maître Kanter jusqu’en 1994. Aujourd’hui c’est un restaurant Hippopotamus qui fait l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue du Départ.
The Real Latin Quarter (1901) de Frank Berkeley Smith (1869-1931) Le chapitre 5 est consacré au déjeuner au restaurant Lavenue. Feuilletez le livre en ligne - Écoutez le livre audio (en anglais)
Les sources pour cet article : « Chronique d’art » par A. Pallier (La Liberté, 30 mars 1898), Numéro consacré à Alexandre Falguière (La Plume, 1er juin 1898), « Café-Restaurant « Lavenue » à Paris par Fernand Rimbert, architecte D.P.L.G. » (La Construction moderne, 19 avril 1931).